Carnets

Cannes des Images (4)

par Maud Wyler

« Finalement, dit-elle, je vous fais confiance à présent. Je vous confie l’oiseau qui n’est pas entre vos mains parce que vous l’avez vraiment attrapé. Regardez comme elle est belle cette chose que nous avons faite — ensemble. »

Toni Morrison.

Bonjour jour, J’ai déménagé. Ce matin j’ai dû quitter le Martinez. Enfin c’était un peu plus compliqué que ça, mais le fait est que j’ai fini par fourrer en boule toutes mes affaires dans un gros sac et choper un taxi pour l’appartement d’une petite rue calme sur les hauteurs cannoises. Je n’entendrai donc plus les réactions hystériques des fans face aux lâchers de fauves-égéries L’Oréal, soigneusement orchestrés depuis le hall dudit hôtel Martinez. Ni cet obscur objet de déplaisir : le morceau en boucle que s’écoutait ma voisine de chambre, voisine que j’appellerai içi, la « 340 ». (Appelez-moi, moi, la 341). Ça, c’était vraiment dégueu. C’était d’ailleurs 2 morceaux. Un pour la douche du matin et celui du soir-tard pour l’auto-debrief quotidien à l’oreiller. Les 2, déguelasses. Et les 2 consciensieusement bloqués sur Repeat One. Bon je vois bien que je gagne du temps. Que j’esquive le mammouth Ma Loute. Bordel de bordel. Bon, je vous livre ma vérité. Tout ce que j’en dirai sera retenu contre moi.

Le film s’ouvre sur des moules et la famille de Ma Loute, de sales gosses qui remplissent de gros sacs de fruits de mer. La cueillette finie, leur route croise celle de gros sacs de bourgeois. Là je m’arrête 2 secondes pour exprimer ma reconnaissance envers Valeria Bruni-Tedeschi qui exprime avec sincérité sa version de l’opulence. Car nous est montrée ici la vision tranchée du monde selon Bruno Dumont, à savoir l’opposition riche-pauvre. Et le désir burlesque se muera parfois en pétard mouillé. Moi, j’aime les blagues. Et les personnages qui commencent leur scène par une chute peuvent d’emblée gagner ma sympathie. Il y a par exemple dans Ma Loute un expert en chutes, et d’ailleurs, en déplacements en tout genre : Didier Desprès dans le rôle d’Alfred Machin, qui a pour mission de résoudre le mystère des disparitions en série qui sévit dans la baie. Didier Desprès fait exprès de tomber. Et c’est rigolo. Ce qui n’est pas toujours le cas, chez d’autres personnages. Vive l’inventivité vive les envolées lyriques et réelles. Cependant, parce qu’il est impossible d’être un spectateur objectif, et que mon regard est celui d’une comédienne, que je me sens toujours (le mot est moche) collègue, j’éprouve ici une gêne. Il me semble que Dumont met à mal ses acteurs. Il les filme, surtout les « connus », avec peu de bienveillance. Il est crédité au montage, je m’en suis aperçu au moment du générique et je dois dire que les scènes de repas chez les riches m’apparaissaient comme presque dérythmées. Je n’arrête pas de lire ce film dans ses sous-textes, dans ses jugements de valeurs envers ses personnages, et par zoom arrière, envers l’humanité. Tiens justement… J’ai appris plus tard que la projo à l’époque de ce film, L’humanité, avait été passablement huée. Alors, règlements de compte « Je ne vous aime pas non plus! »? En arrivant dans la salle, Bruno D. a pris soin de saluer les gens d’en haut, c’est-à-dire, à Cannes, dans la salle Lumière, les gens d’en bas. Passons l’éponge, et pour le prochain film, je ferai le premier pas. Quart d’heure américain.

P.S. : La palme de la roue libre (je vole l’expression à ma voisine de palais, que nous appellerons içi par son vrai nom, Sabrina Seyvecou), revient à Mr Luchini. « Hellooooooooooo qu’est-ce que tu fais Fabrice, bourreaux des textes? » Il me répondrait peut-être, « je m’amuse » et alors, et alors seulement, je comprendrais.

Oui, c’était un PS au milieu de nulle part, (comme oui, la Place de La République- comment ça va d’ailleurs?), j’ai des problèmes de prises de notes. Là je vous écris de la plage Nespresso, et j’ai effectivement pris plusieurs cafés. Hier soir j’ai été invitée au dîner officiel des sélectionnés, organisée donc par Pierre Lescure et Thierry Frémaux. Le beau monde, en tout cas les très très bien habillés par de très très grandes marques, y était. Mais j’ai surtout et plutôt adoré échanger avec ma voisine de table, que nous appellerons là aussi, et pas par manque d’imagination, par son nom, Florence Aubenas. Alors, ce dîner tout à fait protocolaire, est devenu rock n’roll. Du bon rock n’roll.