Le Café en revue La Maison de l'Image et ses habitants
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La Maison de l’Image et ses habitants

par Céline Malewanczyk

La Maison de l'image, à Caen. (photographie de Céline Malewanczyk).

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Céline Malewanczyk poursuit sa radiographie de l’écosystème cinématographique régional avec la Maison de l’Image.


L’esprit du lieu

Comme son nom l’indique bien, la Maison de l’image est un lieu abritant une famille, celle de l’image, sous toutes ses formes. L’image au cinéma, bien sûr, mais aussi, plus largement, l’image au sein du vaste monde de l’audio-visuel.

Nouvellement installée dans le bâtiment de la rue de la Masse qu’elle partage avec d’autres structures comme, entre autres, MaCaO 7e art, et dotée à présent d’une salle de projection et de montage, la Maison de l’image voit converger en son sein bon nombre d’acteurs de la famille. Pourtant sise sur un seul et même étage du bâtiment, la Maison de l’Image œuvre sur trois « niveaux », qui ont la particularité de communiquer et se répondre entre eux : le soutien à la création, l’aide logistique aux tournages et l’éducation à l’image.

Trois directions, toutes développées à l’échelle de la région.

Pourtant, un seul esprit anime ces trois pôles, celui de favoriser le développement du cinéma et de l’audio-visuel dans la région. « Créer de la rencontre entre les artistes, les professionnels du cinéma et les publics, quels qu’ils soient » précise Philippe Dauty, directeur du lieu.

La mission de la Maison de l’image ? : « Créer de la rencontre entre les artistes, les professionnels du cinéma et les publics, quels qu’ils soient ».

D’autres régions développent ces trois axes complémentaires, mais « rarement dans la même structure », assure le directeur. La force de la Maison de l’image, notamment par rapport à l’ACCAAN (structure créée dans les années 70 à laquelle elle a succédé après sa dissolution et qui ne comprenait pas la dimension de soutien à la création), c’est de croiser les fils de ses missions en favorisant une dynamique de réseau. « Les auteurs qu’on soutient grâce au fonds d’aide à la création proposent souvent des interventions dans le Pôle d’éducation à l’image. Par exemple, tout récemment, Guillaume Grosse, scénariste de Toril, film qu’on a aidé à l’écriture, est intervenu auprès de lycéens de Cherbourg sur la question de l’écriture de scénario qui est à leur programme de spécialité du baccalauréat ».

Et la Maison de l’Image, ce sont 10 salariés de l’association présidée par Geneviève Troussier, ex-directrice du Café des images, qui travaillent à faire vivre l’esprit du lieu grâce aux financements conjoints du Conseil Régional, de la DRAC, des Conseils départementaux du Calvados, de la Manche et de l’Orne, de la ville de Caen et du CNC.

Aide à la création

Valeur ajoutée de taille dans la région, et « reconnue au niveau national » si l’on en croit Laurent Teyssier, réalisateur de Toril, film récemment soutenu par la MDI, le fonds d’aide à la création et à la production, a soutenu plus de 400 projets depuis 2005 (sur près de 3000 projets présentés) dont un peu moins de 200 ont abouti à une diffusion.

Outre l’aide à la production pour le court-métrage ou pour le documentaire de création destiné à une diffusion télévisuelle, la Maison de l’image propose une aide à l’écriture, à la fois pour le documentaire « télé » et le long-métrage de cinéma. « Cette aide à l’écriture qui peut aller jusqu’à 12000 €, est essentiellement financière, contrairement à des structures comme Le Moulin d’Andé qui propose des résidences et un accompagnement, mais le fait de soutenir les auteurs en début de processus, alors qu’ils n’ont écrit qu’une ébauche de projet, au moment où ils sont encore fragiles permet d’apporter parfois un co-scénariste, un consultant, des aides qui pourront être déterminantes pour la finalisation de leur projet » indique Fanny Chéreau, responsable Création /Production.

C’est ce qui s’est passé pour Sacha Wolff aidé à l’écriture par la MDI en 2011 et dont Mercenaire, premier long-métrage de fiction, a été sélectionné à la quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année. « Quand j’ai passé l’oral pour défendre mon projet, j’avais seulement un traitement (résumé visuel d’une vingtaine de pages qui pose le film dans ses grands mouvements), très différent de ce qu’est devenu le film par la suite, avec seulement le personnage principal, Soane, comme fondement central » se souvient le cinéaste. « Obtenir cette aide à l’écriture a été crucial à la fois pour moi qui l’ai vue comme le premier signe me permettant d’envisager que le film se fasse et pour les partenaires financiers à qui cela a donné une vraie confiance. Cette aide à l’écriture porte bien son nom car sans elle je n’aurais jamais pu faire le voyage en Polynésie indispensable pour nourrir mon écriture. »

Affiches de films soutenus par la Maison de l'image, et présentés au Café des images.

Affiches de films soutenus par la Maison de l’image, et présentés au Café des images.

Sacha Wolff raconte qu’il avait une « envie floue » de faire un film sur le rugby autour d’enjeux à la fois physiques et sociaux quand il a rencontré un joueur venu de Wallis lui relatant la difficulté de s’intégrer en France pour les ressortissants des territoires d’outre-mer. Redoutant de « faire un film de blanc sur un peuple lointain », c’est véritablement l’aide à l’écriture qui lui a permis la phase de documentation indispensable avec le joueur consultant qui joue aussi un personnage dans le film. « Ces cinq semaines en Calédonie m’ont permis d’écrire la première version du scénario, tourner deux séquences grâce à l’atelier Emergence et obtenir toute une série de financements par la suite. » Tout frais sorti de la Fémis, avec quelques moyens-métrages, notamment documentaires à son actif, Sacha Wolff avait besoin de temps pour « construire un film dans la durée ». C’est l’aide de la région qui le lui a donné, permettant de donner naissance à une fiction enracinée dans le « vu et le vécu » de l’immersion en Calédonie, son quotidien et ses rituels.

Concrètement, pour être éligible à l’aide à l’écriture en long-métrage, il suffit d’avoir écrit ou réalisé au moins deux films (court-métrage, documentaire ou long-métrage) portés à l’écran ou présentés en sélection officielle d’un festival tandis que pour l’aide à l’écriture du documentaire de création audio-visuelle le seul critère d’éligibilité est d’habiter ou d’avoir un sujet en lien avec la région (avec la possibilité de bénéficier conjointement de l’aide au développement et l’aide à la production).

Chaque dossier déposé est examiné par une commission composée de professionnels du cinéma et de l’audio-visuel (auteurs, réalisateurs, producteurs), lesquels font une première sélection qui donne lieu à une réunion plénière où les candidats défendent leur projet face à la commission. « Au total, sur la centaine de dossiers déposés dans l’année, 12 seront soutenus par le fonds d’aide » résume Fanny Chéreau. C’est elle qui recrute les « lecteurs » composant la commission pour une durée de 2 ans maximum, en faisant attention à la variété des regards : « des hommes et des femmes, de sensibilité différentes qui évaluent les enjeux artistiques des projets, en terme de narration et de dramaturgie mais aussi de faisabilité tout en privilégiant les films proposant une vision singulière, de cinéaste ». Ces professionnels sont les seuls à voter pour l’attribution de l’aide qu’ils proposeront aux représentants de la région.

Mais, en bout de course, l’aide à la création se double d’une aide à la diffusion car la mission de la MDI, c’est aussi et surtout que le public rencontre ces films émergents. « Le CNC nous aide pour que ces films fragiles soient diffusés en salle, grâce au concours de MaCaO, ou des salles régionales, notamment le Lux et le Café des images. On peut également réaliser des documents d’accompagnement, des DVD distribués dans les médiathèques, financer des rencontres avec les réalisateurs dans des petites salles locales »

Quant à l’aide à la production du court-métrage, « format » qu’il est de plus en plus difficile de faire exister, l’aide financière est plus importante (jusqu’à 35 000 €) mais les auteurs doivent s’engager à tourner en région, « de façon à employer les techniciens et les prestataires locaux » indique Fanny Chéreau. Il s’agit d’une aide à la production classique mais qui a pu donner lieu à de belles découvertes, comme Les Paradis perdus d’Hélier Cisterne, variation délicate autour des événements de 1968, Prix Jean Vigo 2008 et nominé au César du court en 2009.

Soutien logistique aux tournages

A l’inverse de l’aide à la création, le bureau d’accueil de tournage offre « une aide essentiellement logistique » aux équipes de tournages venues de France, de Navarre et d’ailleurs pour élire domicile en Normandie. Johanne Prat, responsable du bureau d’accueil offre sa connaissance du territoire et de ses ressources, tant géographiques qu’humaines, en proposant des lieux adaptés, des techniciens ou des figurants régionaux, en mettant en relation les équipes avec les administrations ou les prestataires locaux.

«  Le bureau d’accueil des tournages a été mis en place dans les années 90, du fait de la délocalisation des tournages dans les pays de l’est pour réduire les coûts de production, analyse Johanne Prat. L’idée était de créer une dynamique pour relocaliser les tournages en France et mettre les territoires régionaux en valeur. »

C’est souvent pour le littoral que la Normandie est sollicitée, mais pas seulement. La mission de la Maison de l’image va alors du simple repérage à la proposition d’un décor précis pensé d’après la demande de la production. « Nous ne sommes pas là pour nous substituer aux techniciens spécialistes des repérages, souligne Johanne Prat, mais plutôt pour mettre en relation les équipes de tournage et des professionnels compétents en région ».

La Maison de l’Image a ainsi créé la base TAF, un fichier riche et sans cesse actualisé de Techniciens, Artistes et Figurants normands, sur le modèle anglo-saxon des « film commission » apparu dans les années 60 aux États-Unis en parallèle des grands Studios. Beaucoup d’offres d’emploi liés aux tournages venus des quatre coins de la France et même de l’étranger transitent par la Maison de l’Image, même si « il ne s’agit pas d’être les agents des techniciens et artistes de la région car on n’a pas de travail pour tout le monde ».

Au total, le Bureau d’accueil des tournages accueille « une trentaine de productions dont au moins une fiction longue par an sur une centaine de sollicitations ». Avec, à la clé, des retombées économiques et sociales non négligeables, liées à l’hébergement et la restauration des membres de l’équipe, les frais de location des lieux de tournage, mais aussi les salaires des artistes, techniciens ou figurants locaux.

A titre d’exemple, les 27 jours de tournage de Marguerite et Julien de Valérie Donzelli en 2014, ont généré des dépenses locales estimées à 500 000 € (sur un budget total de 6 millions d’euros). Quant aux 30 jours de tournage de Comment c’est loin d’Orelsan, ils ont consommé 310 000 € du budget total de 1 800 000€ sur le territoire Normand…

Et au bout de la chaîne, la Maison de l’Image a mis en place une autre base de données, la bien nommée « La Vie des films » qui permet un suivi et un archivage des données de production des films accueillis en tournage par le Bureau d’accueil.

Tournage à Barfleur de Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli.

Tournage à Barfleur de Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli.

Tout ceci constitue un domaine d’expertise, qui – associé à celui de l’aide à la création – a fait naître un partenariat de formation sur le Master Production créé par l’Université de Caen en 2012. La Maison de l’Image a été sollicitée pour être associée à la conception du parcours d’enseignement, du fait de son réseau de professionnels et de ses compétences en accompagnement multiples à la création et à la production. Fanny Chéreau et Johanne Prat assurent d’ailleurs chacune un cours au sein de ce master tout en suivant les étudiants sur leur recherche de stages, la rédaction de leur mémoire et la préparation de leur soutenance. « Pour nous, il s’agit d’un réel aboutissement des partenariats que peut proposer une structure comme la nôtre », note Philippe Dauty.

Éducation à l’image

Pour favoriser la rencontre des publics et des œuvres, rien de tel qu’une vraie politique d’éducation à l’image, développée dès les origines de la structure.

L’idée, comme l’explique Jean-Marie Vinclair, responsable du Pôle, c’est de « favoriser la transmission du cinéma et de l’image en mouvement pour tous, par le biais de temps d’expérience encadrés par des professionnels. Ces professionnels sont là pour transmettre mais aussi pour questionner le septième art, questionnement nourri par leur activité de réalisateur, de critique, d’enseignants ou d’historiens du cinéma. »

Cette mission de « culture pour tous », de sensibilisation des publics les plus larges à la diversité artistique et culturelle, se construit dans la multiplicité des partenariats menés par la Maison de l’Image.

« Notre priorité, c’est de faire du lien, décloisonner, expérimenter, ouvrir sur des pratiques novatrices, ce qui permet parfois la libération infime d’un espace d’expression. »

S’il est difficile de les citer tous, on peut mentionner un partenariat sur la coordination de Collège au cinéma dans tout le Calvados (5505 élèves sur 50 collèges de 38 communes et 22 salles de cinéma) qui touche le plus grand nombre, des partenariats plus pointus comme des ateliers de pratique artistique avec 6 collèges de la région, des partenariats avec les sections cinéma dans 4 lycées ou encore un partenariat avec la ville de Caen sur le thème de la justice dans le cadre du contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance mis en œuvre dans 2 lycées et 2 collèges, ou dans le cadre du dispositif Culture/Justice en direction des mineurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou au Centre pénitentiaire et à la Maison d’arrêt de Caen. A noter également, le partenariat sur des actions « Passeurs d’images » en direction des publics de MJC, Centre sociaux ou associations de réinsertion… Sans oublier les partenariats avec l’Université de Caen, la Maison de la Recherche en Sciences Humaines qui, par exemple, a mené un atelier de réalisation associant de jeunes chercheurs en sciences humaines et de jeunes réalisateurs.

« Notre travail, c’est d’inventer des formes d’intervention adaptées en fonction des demandes et des besoins des uns et des autres, résume Jean-Marie Vinclair. Faire de l’ingénierie culturelle, en privilégiant toujours l’association entre le « faire » et le « voir », créer de la rencontre autour de la pratique… »

Ces trois mots-clés, « faire », « voir » et « montrer » résument la philosophie du Pôle d’éducation à l’image puisque quel que soit le type de public, l’idée est d’associer la transmission d’œuvres à des ateliers de fabrication et à la diffusion des produits filmés pour élargir l’action et favoriser de nouvelles rencontres.

A plus forte raison dans le cas des publics défavorisés, comme le souligne Thomas Senk, chargé de mission « Passeurs d’images » : « Notre priorité, c’est de faire du lien, décloisonner, expérimenter, ouvrir sur des pratiques novatrices, ce qui permet parfois la libération infime d’un espace d’expression chez les personnes qu’on arrive à toucher, un décalage, même léger, de leur vision du monde, et la possibilité de sortir du formatage imposé par la société ».

«  Nous sommes des passeurs mais aussi des semeurs, conclut Jean-Marie Vinclair. On sème des graines plus ou moins fertiles, mais tant qu’une graine pousse, même un tout petit peu, c’est que nous avons rempli notre mission ».