


Invitée surprise
Cette séquence constitue le pendant de la scène de rencontre entre Danny et Lorna, où le jeune homme s’était introduit chez les Philips sans que personne ne lui ouvre la porte. Ici, la situation s’inverse totalement : la famille de Danny n’a pas été informée de l’invitation, mais lorsque Lorna se présente à leur domicile, Arthur, le père, la reçoit tout de même et la prie d’entrer. À priori, Lorna fait donc figure de « corps étranger » dans cette fête d’anniversaire, puisque personne ne sait qu’elle y a été conviée. Mais une nouvelle fois, comme très souvent dans le film, c’est la musique qui va servir de vecteur d’unification. D’ailleurs, le montage anticipe cette règle : en un raccord « cut » très elliptique, on passe directement du trouble passager causé par la présence de Lorna, à une scène de table où tous les convives semblent visiblement ravis d’être rassemblés.
L’interrogation de Lorna au sujet du prénom inscrit sur le gâteau (« Sam ») est d’emblée balayée par Danny, qui lui répond que « pour les anniversaires, on est tous Sam ». Contrairement à la jeune fille, le spectateur sait que ce prénom est celui du gardien qui a été mutilé lors de l’attentat du laboratoire orchestré par les Pope dans le passé. La famille continue ainsi de porter la trace de cet acte dans les moments les plus intimes, comme pour maintenir vivante une forme de culpabilité partagée. Ce rituel a aussi l’avantage de neutraliser toute question sur leurs véritables identités, toujours mouvantes au gré des fuites successives.


Remise des cadeaux
Le moment de la remise des cadeaux à Annie est particulièrement touchant. Harry lui offre une petite baleine sculptée en bois : un cadeau simple, fait main, fidèle aux habitudes de la famille Pope, qui refuse les objets achetés et valorise l’inventivité et le bricolage. Ce geste enfantin, tendre et maladroit, exprime l’attachement spontané du cadet à sa mère, et l’émotion sincère qu’il éprouve en voyant son plaisir.
Danny choisit, quant à lui, d’offrir une partition. Ce cadeau reconnaît explicitement le rôle fondateur qu’Annie a joué dans sa formation musicale : il la remercie pour la passion qu’elle lui a transmise et qui constitue désormais une part essentielle de son identité. Le présent de Lorna — un collier fabriqué à partir d’un coquillage ramassé sur la plage — est accueilli avec la même chaleur. Danny lui avait expliqué auparavant que, chez les Pope, un cadeau ne doit jamais être acheté : Lorna a respecté cette règle avec une délicatesse qui touche Annie.
Après cet échange, la famille se divise un instant entre ceux qui débarrassent la table (Arthur, Harry et Lorna) et ceux qui restent assis (Annie et Danny). Cette brève séparation reconduit le lien privilégié entre la mère et son fils aîné : Annie confie à Danny qu’elle apprécie beaucoup Lorna, comme pour valider silencieusement l’attachement naissant entre les deux adolescents.


Dynamique musicale
Le retour de Lorna dans le champ, et le suivi de son trajet jusqu’à la cuisine par la caméra, qui réamorce la réunion du groupe familial, comportant désormais un membre supplémentaire. De « corps étranger », Lorna devient « corps familier ». L’adéquation entre Arthur (le père) et l’invitée surprise semble couler de source et trouve sa plénitude lorsque la musique résonne. La synchronisation parfaite de la musique avec le déplacement de la jeune fille donne alors le sentiment d’une sorte d’accord magique. Tout se déroule comme si la mélodie de James Taylor, Fire And Rain (« Le feu et la pluie », deux éléments habituellement contraires) découlait naturellement de ce trait d’union harmonieux que Lorna dessine entre les deux pôles de l’espace domestique.
Quand toute la famille se retrouve réunie pour chanter et pour danser, tous les clivages sont abolis et toutes les associations de cavaliers sont désormais possibles : le petit Harry grimpe sur les épaules de son père pour pouvoir danser avec sa mère, ce qui permet à Danny et Lorna de s’octroyer plus d’intimité. Via la musique et la dance, l’espace familiale devient le lieu du rassemblement, non plus aliénant mais épanouissant, si bien que les paroles de la chanson de James Taylor sont entonnées à l’unisson : « J’ai vu le feu et j’ai vu la pluie / J’ai vu des jours ensoleillés que je pensais ne jamais voir finir / J’ai vu des moments solitaires où je ne pouvais pas trouver un seul ami / Mais j’ai toujours pensé que je te reverrais ».
Ce moment d’osmose entre tous les personnages sera réentendu sur la bande sonore de la scène finale (avec paroles et rires intégrés) où, contre toute attente, le père de Danny autorisera son fils aîné à vivre sa propre vie et à aller retrouver Lorna.