Radiographie de l’écosystème cinématographique régional
– par Céline MalewanczykLe Rex, à Villedieu-Les-Poêles.
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« Il existe en Normandie un maillage assez exceptionnel des salles sur le territoire. »
Agathe Fourcin, coordinatrice de MaCaO 7e art.
Vous avez dit MaCaO ?
Si MaCao évoque quelque terre lointaine, archipel exotique au large des côtes chinoises et dernière colonie de notre vieille Europe, c’est pourtant le nom d’une association bien normande, plus exactement l’acronyme de Manche Calvados Orne, les trois départements de feu Basse-Normandie, déjà baptisée par certains Normandie « occidentale », auxquels il faudra donc ajouter ceux de la Normandie « orientale » qui compte déjà quelques adhérents.
Tolérante et ouverte aux migrations, MaCao 7e art se définit comme un « réseau de salles » dont la mission principale est la « promotion et la diffusion en région du cinéma art et essai ». Un projet d’agrandissement à l’échelle de la grande Normandie est du reste à l’étude avec, d’après Agathe Fourcin « de l’envie de part et d’autre mais l’attente de financements adéquats. »
Des fédérés
Née d’une initiative assez rare en France, la structure a été créée en 1992 par des exploitants de salles privées bas-normandes, suite, entre autres, aux transformations du métier liées à l’apparition du numérique. « Inspirés par le modèle du réseau Génériques, issu de la Ligue de l’enseignement, œuvrant pour aider les cinémas en milieu rural, les exploitants de salles privées de la région ont éprouvé le besoin de se fédérer pour échanger sur les problématiques liées à leur profession : l’évolution des technologies, la formation, les difficultés de programmation, l’animation ou encore l’accompagnement des films en salles… » explique Agathe Fourcin. A ces salles privées indépendantes (comprendre n’appartenant pas aux géants comme Pathé & Co), se sont adjoints des exploitants de salles municipales et associatives, jusqu’à former le réseau actuel de 48 salles participant aux actions proposées par MaCao.
Une boîte à outils
« Nous ne sommes pas programmateurs, précise Agathe Fourcin, mais une force de proposition en termes de programmations et d’animations. Nous sommes comme une boîte à outils où chacun prend ce dont il a envie. » Parmi les propositions, des options de programmation, savamment sélectionnées à Cannes, Paris ou via divers distributeurs ou autre GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) et projetées lors de journées de prévisionnement. « Une fois par mois, on montre aux exploitants 4 ou 5 films sur la journée en essayant de répartir équitablement sur le territoire les salles qui accueillent », indique la coordinatrice.
Un temps de rencontre très suivi puisqu’une cinquantaine d’exploitants s’y retrouvent chaque mois, et saisissent ainsi l’occasion de « découvrir un cinéma ami ». En février c’était Le Viking de Saint- Lo, en mars ce sera le Café des images d’Hérouville et en avril Le Concorde à Pont-l’Evêque. Un rendez-vous régulier qui permet également de consolider le lien et de favoriser l’entraide.
« Dans le monde du cinéma, on est les champions de la mutualisation. »
« Dans le monde du cinéma, on est les champions de la mutualisation, car on a peu de moyens, humains comme financiers » résume Agathe Fourcin. En effet, il faut savoir que pour obtenir un film à programmer, il est nécessaire de proposer quatre semaines d’exploitation, ce qui est énorme pour une petite structure avec peu de salles. Les réseaux comme MaCaO, entre autres, permettent de partager les copies entre différentes salles de la région et de pouvoir ainsi accueillir plus de films. C’est le cas, par exemple, du Rex à Villedieu-les-Poêles (voir focus).
Le second axe de travail de MaCaO, ce sont ses actions en direction du jeune public. « Le but est de faire découvrir dès le plus jeune âge un autre cinéma que celui des grands studios, dans une vraie salle de cinéma » avance Agathe Fourcin. Avec des propositions à la carte comme le « Cinéfilou », projection de courts utilisant diverses techniques d’animation suivie d’un goûter, ou « Clap ou pas clap », succédant au Ciné-Kid imaginé par le Café des images, sorte de ciné-club pour les 8-12 ans avec projection d’un grand film et intervention d’un professionnel, monteur, animateur audio-visuel, conteur…
Enfin, des actions pour la défense du cinéma art et essai, qu’il s’agisse du cinéma de patrimoine avec le dispositif « Révisons nos classiques » qui accompagne la projection de chefs-d’oeuvres de l’histoire du cinéma avec l’intervention d’un spécialiste (Youri Deschamps), ou de la diffusion et de l’accompagnement de films ayant bénéficié de l’aide à la création de la Maison de l’Image.
La carte et le territoire
Mais MaCaO, c’est aussi une structure qui a une excellente connaissance de l’écosystème cinématographique régional. Une région où la culture du cinéma, comme celle du spectacle vivant, est ancrée de longue date et où les salles obscures bénéficient de ce « maillage assez exceptionnel » que met en avant Agathe Fourcin, en donnant une image radiographique précise de ces terres cinématographiques. Selon elle, en considérant les 48 adhérents du réseau, on peut observer une région contrastée, entre l’ex-Basse-Normandie, relativement homogène en population, plutôt rurale et agricole, qui compte, par conséquent, bon nombre de petites salles en mono-écran et l’ex-Haute-Normandie, plus fournie en grosses agglomérations à population concentrée et donc davantage de grosses salles multi-écrans. Des salles dont la capacité d’accueil va de 2 places (pour la « plus petite salle du monde » du Lux à Caen) à 350 places pour Le Palace à Equeurdreville, mais dont « le socle commun » est d’être « pour la plupart des salles généralistes, c’est-à-dire qui ne font pas que de l’art et essai, à l’exception du Café des images, du Lux et de l’Odéon à Cherbourg ».
Avec de nombreuses salles qui défendent leur spécificité, comme l’Etoile à Mortagne-Au-Perche qui jouit d’une précieuse collection d’objets optiques des premiers temps du cinéma et propose une exposition permanente, ou comme Le Grand Mercure à Elbeuf qui fait un travail rare en France sur la projection en 70 mm.
Mais aussi de nombreuses salles qui proposent des festivals aussi variés que « Doc doc doc entrez ! » au Rex de Villedieu-Les-Poêles (voir focus), le festival de cinéma champêtre du Rexy à Saint-Pierre sur Dives, le festival ciné-environnement du Rex de Sées ou encore le festival autour du polar au Palace d’Equeurdreville.
Une diversité qui mérite bien un petit tour d’horizon régional des écrans…
Premier arrêt sur image : le Rex à Villedieu-Les-Poêles
Au cœur du département de la Manche, Villedieu-les-Poêles, chef lieu de canton de 4000 âmes, auxquelles il faut ajouter celles des 2000 habitants des petites communes alentour, s’inscrit, avec sa salle mono-écran, au centre d’un pentagone géographique de salles diverses et variées. Côté mer : Coutance à 30km (2 salles), Granville à 25km (3 salles) et Avranches à 30km (3 salles) et côté terres : Vire à 30km (2 salles) et Saint-Lo à 35km, offrant un multiplexe de 8 salles, 1400 places et tout ce qui va avec.
Pour la salle, pourtant en constante évolution depuis sa création, quelque part au milieu des années 1920, l’enjeu est de fidéliser ce qu’on appelle les « jeunes », tranche d’âge aussi flottante qu’instable. « Depuis le renouvellement du lieu il y a à peine deux ans, nous accueillons en moyenne 21 000 spectateurs par an, explique Christophe Lapeyre, directeur du cinéma, mais un public qui a entre 3 et 13 ans ou plus de 40 ans. On a du mal à toucher les 15-35 ans » Un public auprès duquel rien n’est jamais acquis et qui a du mal à cesser de voir la salle de Villedieu comme l’ancien « cinéma vieillot avec des sièges en bois qui diffuse les films des semaines après leur sortie »
Pourtant, ce temps de l’antique cinéma communal est bien loin. Après une fermeture au milieu des années 1980 faute de combattants, des volontaires ont répondu à l’appel de la mairie pour reprendre le cinéma en 1992. Une association formée de bénévoles a alors pris les rênes du lieu, n’embauchant un directeur que quatre ans plus tard.
Autogestion
Aujourd’hui, ce sont encore les 40 bénévoles de l’association qui font battre le pouls de la salle. Ils font tout, de l’administration à la projection en passant par la trésorerie et la programmation. « Se formant les uns les autres, ils sont parfaitement autonomes et gèrent leurs plannings via internet, sur le modèle du Doodle » se félicite Christophe Lapeyre. Même si les choses n’ont pas toujours été aussi faciles… « A la réouverture du cinéma en 1992, on n’avait pas de lieu pour se réunir et on ne projetait que 3 films par semaine, se souvient Gérard Le Cann, bénévole chargé de la programmation. Et puis on gérait la programmation via La Soredix, une plateforme qui nous attribuait des films en fonction de ce qu’ils pensaient devoir nous correspondre, et passant parfois 8 semaines après leur sortie. Ils avaient décrété par exemple que Land and freedom de Ken Loach n’était pas adapté à notre public, et nous n’avons pas eu le droit de le passer ! » C’est MaCao qui leur a suggéré quelques années plus tard de faire appel au réseau Génériques pour construire une programmation cohérente. « On nous a dit : il n’y a pas de raison que vous n’ayez pas de films en sortie nationale, raconte Gérard Le Cann. C’est la première fois qu’on entendait ça ! » Et avec l’apparition du numérique – comme quoi certains y trouvent des avantages – la salle peut partager des « copies virtuelles » avec des cinémas même éloignés, partage sur plusieurs semaines mais aussi sur la même journée, à condition que les séances ne se déroulent pas en même temps . « Alors qu’avant il fallait cavaler avec les bobines de pellicule sous le bras entre cinémas partenaires » rappelle Gérard Le Cann.
Rénovation
En 2014, forte de l’expansion de son activité, la belle équipe quitte la salle communale. Mais le lieu flambant neuf s’est fait attendre. Désir émergé au sein de l’association au début de l’an 2000, il est le fruit de « longues années de gestation » et d’âpres négociations avec la municipalité, portant grande part au financement. « La salle communale n’étant plus aux normes, nous avons travaillé à ce projet de nouveau lieu, bien situé dans Villedieu, car on ne voulait pas d’un mauvais hangar en périphérie, indique Christophe Lapeyre. Nous voulions deux salles, mais ça n’a pas été possible et nous avons dû reconduire le principe – répandu en milieu rural et pas toujours commode – d’une salle mixte cinéma et théâtre.»
Aujourd’hui le Cinéma-Théâtre peut accueillir 190 spectateurs et, excepté le lundi, projette un à deux films par jour, dont une dizaine de sorties nationales par an. Pour cette salle généraliste, des événements comme Tuche 2, qui a explosé les scores récemment, permettent de pouvoir faire des choix plus pointus par ailleurs : « des documentaires ou des films à la durée hors-norme ».
Du reste, « le cinéma s’est fait une image cinéphilique et est devenu un établissement ressource pour les écoles et les associations de la région, ouvert à toutes les propositions » souligne Christophe Lapeyre.
Exploration
Outre les dispositifs MaCa0 comme « Clap ou pas Clap » ou « Révisons nos classiques » dans lequel le cinéma s’inscrit, il explore depuis 2003 les terres riches et toujours neuves du documentaire, à travers un festival, facétieusement nommé « Doc doc doc entrez ! ». C’est suite à la rencontre, au Café des images, entre Gérard Le Cann et le critique Patrick Leboutte, spécialiste du documentaire et enseignant d’Histoire du cinéma à l’INSAS que naît l’idée de monter un festival sur ce que d’aucuns nomment le « cinéma du réel ». Rencontre déterminante, s’il en est, puisque Patrick Leboutte n’est autre qu’un des ardents défenseurs, à la suite notamment de Jean-Louis Comolli d’un cinéma différent, échappant à toute forme de standardisation, proposant un regard juste et singulier sur le monde. « C’est Geneviève Troussier, alors directrice du Café des images qui m’a présenté Patrick, pensant que nous pourrions travailler ensemble », se souvient Gérard Le Cann. Pensée à la hauteur de la collaboration fidèle de l’essayiste avec le collectif de bénévoles menés par Gérard Le Cann depuis plus de 10 ans.
Avec, à l’arrivée, un rendez-vous de 5 jours chaque année, début avril, et une offre d’une quinzaine de documentaires, sortis dans l’année ou pas, pour certains n’ayant même pas de distributeurs, mais correspondant tous à une ligne éditoriale aussi éclectique qu’exigeante. Des films accompagnés, pour la plupart, par des rencontres avec leurs réalisateurs, et de vraies découvertes, comme « Paul dans sa vie de Rémi Mauger que nous avions programmé bien avant l’engouement général pour le film» assure Gerard Le Cann.
Un beau travail de défrichage, en somme, mené par l’équipe passionnée et passionnante d’un cinéma plongé au cœur du territoire normand…