La belle et les bêtes
La première partie de la séquence souligne le contraste entre la timide fragilité de la chanteuse et l’agressivité des soldats. La jeune femme est par ailleurs exhibée comme un véritable animal de foire dans ce cabaret improvisé, par un Monsieur Loyal dont la gouaille se fait d’emblée égrillarde : « Je vous l’accorde, elle est assez limitée […] Sauf… Eh bien, elle a un petit talent naturel », affirme-t-il en désignant sa frêle silhouette, ajoutant le geste à une parole déjà fort démonstrative et sexuellement orientée. Les sifflets et le chahut des soudards résonnent dans l’espace sombre et souterrain de ce beuglant livré aux pulsions, dont l’aspect terreux n’est pas sans rappeler l’univers des tranchées.
Le chant donneur
Dès que la jeune allemande laisse entendre un mince filet de voix, le calme et le recueillement ému s’installent presque instantanément dans la salle. La mise en scène réagit en conséquence : aux plans de groupe désignant la meute prédatrice en demi-ensemble, succède alors une série de 26 plans rapprochés-poitrine, qui montrent chaque auditeur saisi de manière individuelle, partageant visiblement la même émotion, dans un moment de communion musicale qui culmine par un zoom-avant sur la larme épaisse qui coule sur la joue d’un soldat lambda, saisi en flagrant délit d’humanité, fredonnant la langue de l’Autre, de l’Ennemi, de l’Allemand. Les opposants officiels, la jeune prisonnière et les soldats, semblent ainsi se réconcilier le temps d’une chanson.