Présentation

À l’issue de son dialogue avec Norman dans le petit salon, Marion décide de renoncer à l’argent volé puis va prendre une douche. L’efficacité dramatique de cette célèbre séquence de meurtre tient à son esthétique de la suggestion. La stridence obsessionnelle de la musique, la brutalité du montage et l’hystérie des cadrages suscitent une intense implication émotionnelle du spectateur.

Activité
– Analyser la scène de l’attaque de Marion : cadrages, montage, musique.
– Analyser les motifs géométriques dans la séquence.


La cuvette de la rédemption

Après avoir fait les comptes de l’argent volé, Marion décide de déchirer la note et dépose les morceaux de papier dans la cuvette des toilettes. Ce geste exprime sa décision de renoncer à son projet de fuite en restituant l’argent dérobé. L’évacuation par la chasse d’eau plutôt que dans la corbeille à papier possède une valeur métaphorique : Marion considère le vol commis comme une salissure morale, l’associant à une déjection qu’elle élimine dans un geste libérateur et irrévocable.


La douche comme purification morale

Filmée de manière frontale, Marion exprime un plaisir intense à l’irruption de l’eau du pommeau de la douche. Cette expression de volupté, déclinée avec insistance dans les plans suivants, est motivée par le sentiment de purification ressenti par le personnage après son renoncement à l’argent volé. La symbolique de l’eau rédemptrice est par ailleurs cohérente avec le sous-texte chrétien introduit par le tableau Suzanne et les vieillards (ou Suzanne au bain).


La douche comme spectacle érotique

L’expression extatique de Marion en plan rapproché, suite au plan montrant la silhouette de son corps nu derrière le rideau de douche, confère à la scène une forte dimension érotique. Basculant de la salle de bain à l’intimité de la douche, le spectateur est ici mis en situation de voyeur, thème introduit dès le début du film par l’intrusion de la caméra dans la chambre de Sam et Marion et relayé de manière explicite par le plan subjectif de Norman épiant Marion depuis le salon. La mise en scène met ainsi le spectateur en position de désir vis-à-vis de Marion, qui s’offre ici avec plaisir à son regard. L’agression à venir sera ressentie comme d’autant plus traumatisante qu’elle interrompra la relation intime instaurée par la mise en scène entre Marion et son spectateur voyeur.



Le surgissement du tueur

La mise en scène de l’arrivée du tueur articule deux temps distincts :

1. Préparation
Marion est filmée en plongée dans un plan décadré pour rendre visible l’apparition progressive dans son dos d’une ombre menaçante. À l’échelle de ce seul plan, Hitchcock suscite un petit suspense préparant l’agression : anticipation par le spectateur d’un danger imminent ignoré du personnage, étirement de la durée par la lenteur de l’approche menaçante.

2. Surprise
Mais la scène s’inscrit globalement dans une stratégie de la surprise, marquée par l’écartement brutal du rideau laissant place à l’agresseur sur une musique de corde stridente. La figure du tueur en contre-jour expressif (non cohérent avec l’éclairage de la scène) apparaît d’autant plus menaçante qu’elle relève de l’abstraction. Les motivations de l’agression demeurent impénétrables au spectateur, le confrontant à l’image d’un monstre spectral dont le geste hiératique met en évidence le couteau dans une posture quasi sacrificielle.




Le meurtre : violence de la représentation

La brutalité du meurtre est exprimée par la scansion rapide et répétitive des gestes, cris et coups d’archet dans cette scène proposant une trentaine de plans montés cut en 20 secondes.

Cadrage et montage
Le meurtre est filmé en une succession de plans très courts montrant alternativement Marion et le tueur, au rythme rapide et saccadé des coups de couteau. Les variations brutales d’échelle de plans et d’angle de prise de vues suscitent une impression de confusion et d’impuissance dans cette séquence multipliant les positions de caméra sans aucune échappatoire.

Les plans sur le visage de Marion qui introduisent le meurtre manifeste ce choix d’un montage expressif : Marion est cadrée en trois plans successif raccordés dans l’axe, créant une saute visuelle pour aboutir à la bouche béante exprimant la terreur dans une image qui empreinte sa force expressive au Cri d’Edvard Munch.

Musique et bruitage
La répétition de coups d’archets stridents contribue à l’impact de la séquence en évoquant sous une forme musicale expressive les cris de la victimes sous les coups obsessionnels du tueur. Cet ostinato au volume puissant couvre les sons « réalistes » du meurtre : cris de Marion et bruit du couteau pénétrant les chairs.



La chute de Marion

La mort de Marion est traitée comme une lente chute à caractère pathétique avant le plan la montrant basculer brutalement sur le bord de la baignoire dans une composition en oblique :
– les coups d’archets sont plus mesurés et d’une tonalité plus grave ;
– Marion s’affaisse lentement dans une composition qui met en évidence le motif géométrique des carreaux de la baignoire ;
– elle tend la main vers le spectateur, en écho à l’appel vers Dieu de Suzanne dans le tableau, comme un ultime et dérisoire appel à l’aide ;
– le décrochement des anneaux du rideau de douche possède une valeur à la fois métonymique en indiquant sa chute et métaphorique comme expression de son agonie.





Les métamorphoses du cercle

La séquence de la douche est composée autour de motifs formels récurrents :
– les carreaux de la douche qui dessinent un espace de claustration froid et mortifère ;
– le jet oblique de l’eau qui continue obstinément à couler, de manière dérisoire, après la mort de Marion.

Le motif du cercle, notamment inscrit dans le pommeau de la douche, est présenté de manière particulièrement insistante :

1ère interprétation
Le pommeau de la douche et le vigoureux jet d’eau expulsé sont tout d’abord associés à l’ exaltation vitale : jouissance du corps érotique et « renaissance » morale. La figure du cercle est ensuite relayée par les deux motifs jumeaux exprimant la mort de Marion dans un passage de la métaphore à la représentation directe : la bonde insondable dans laquelle s’écoule le sang laisse place à l’oeil du cadavre. Ces deux motifs sont associés par un fondu enchaîné et par la figure de la spirale : le tourbillon de l’eau mêlée de sang en travelling avant sur la bonde est suivi d’un travelling arrière avec mouvement circulaire de la caméra sur l’oeil. Le motif du cercle accompagne donc formellement le basculement dramatique de la vie à la mort évoqué par la séquence, dans un effet de cohérence forme/contenu emblématique de l’esthétique du cinéma classique.

2ème interprétation
Le pommeau de la douche est montré pour la première fois en amorce, surplombant Marion dans le prolongement du regard du spectateur, puis en contre-plongée subjective permettant de l’associer à un œil. On peut interpréter ce pommeau de la douche récurrent comme une métaphore du voyeurisme inhérent au spectacle cinématographique : plaisir de voir un corps érotique mais aussi plaisir cathartique de la vision du meurtre de Marion. Cette interprétation est cohérente avec le dispositif d’espionnage de Norman, véritable caméra obscura, dont le spectateur partage le regard sur Marion en amont de la scène. Elle peut aussi s’appuyer sur la représentation abstraite du tueur, ombre fantasmatique se dévoilant sur l’écran du rideau de douche.

La scène de la douche est envisagée, dans cette perspective, comme une métaphore réflexive sur la relation du spectateur à la fiction, fondée sur les mécanismes d’empathie sollicités par la mise en scène.



D’une fausse piste à l’autre

Un lent travelling autonome montre d’abord l’argent laissé sur la table de nuit puis la maison de la mère d’où s’échappe en voix off le cri horrifié de Norman la dénonçant comme meurtrière.

Le premier mouvement indique au spectateur que l’argent n’est pas le mobile du crime. Le réalisateur manifeste ainsi le statut de McGuffin de cet argent volé, pur prétexte à la première partie du récit consacrée à la fuite de Marion. Par ce travelling, le narrateur dévoile le caractère manipulateur de la narration car l’argent volé avait été à plusieurs reprise désigné par des travellings avant similaires comme enjeu dramatique majeur. Le plan fonctionne donc à la fois comme une illustration du caractère dérisoire et immotivé de la mort de Marion mais aussi comme un pied-de-nez ludique aux attentes du spectateur suscitées par le réalisateur.

La deuxième partie du travelling réoriente l’intrigue vers la question de la résolution du crime en désignant clairement la mère. Ce mouvement introduit la seconde fausse piste qui trouvera sa résolution dans le dévoilement final du meurtrier, Norman. Ce mouvement de caméra interventionniste témoigne donc d’une narration roublarde et virtuose, attachée à diriger l’attention du spectateur pour ménager ses effets de surprise.