Train de banlieue
Le plan d’abord assez large dissimule en partie les filles par les dossiers des sièges au premier plan. La profondeur de champ est suffisamment nette pour laisser voir les autres passagers du wagon. Marieme se fond dans le décor par la couleur violette de son sweat identique à celle des sièges. Elle est assise seule et le couloir délimite sa séparation avec les autres. Son sweat l’éloigne aussi du code vestimentaire des autres filles qu’elle observe une à une dans une série de plans serrés. Les moqueries étouffées de deux des filles semblent dirigées contre celle qui n’est pas encore intégrée.
La galerie commerciale
La parole se libère et les filles font des commentaires désobligeants sur les passants, mais qu’elles gardent pour elles-mêmes. Elles occupent aussi une surface beaucoup plus grande du cadre. La caméra les accompagne dans leurs déambulations avec une focale de plus en plus longue qui rend flou leur environnement. Marieme reste constamment en retrait à l’extrémité du groupe dans les plans de face et en arrière dans les plans montrant les filles de profil.
La boutique de vêtements
Dans la boutique de vêtements, la bande se confronte directement à une vendeuse blanche et blonde. Filmée en plans serrés, cette séquence montre les trois filles envahir totalement l’espace du cadre tandis que Marieme, toujours à l’écart, ne parvient pas à se l’approprier : d’abord absente de l’écran, elle survient par la gauche à l’arrière-plan. Dès qu’elle est visible en gros plan, la vendeuse vient parasiter en arrière-plan sa prise de possession de l’espace, puis lui adresse la parole en hors-champ ; Marieme esquive en bifurquant perpendiculairement (ces effets de bifurcation sont très présents dans l’ensemble du film ; on voit rarement Marieme avancer sur des trajectoires rectilignes) avant d’être rattrapée par l’avant ou l’arrière-plan. Marieme finit par capituler en sortant du cadre par la gauche, dans une nouvelle bifurcation qui marque son échec.
Mais la surveillance de la vendeuse n’a pas échappé à la bande qui va littéralement la cerner au centre du cadre pour protéger la nouvelle venue qu’elles ont adoptée. Lady entre par la gauche, Adjatou et Phili par la droite, se plaçant l’une à l’arrière-plan, l’autre à droite, la dissimulant presque à nos yeux, tout cela sous le regard de Marieme qui n’a qu’à constater l’efficacité du groupe. Lady met en évidence le travail « d’esclave » de la vendeuse en soulignant plus ou moins consciemment sa volonté de revanche sur l’Histoire. À la sortie du magasin, Marieme n’est plus à l’extrémité du groupe mais entre Adjatou et Lady et prend part aux rires moqueurs.
La station de métro
Dans la station de métro, les filles ont une altercation très vive avec une autre bande. Les trois filles de la bande sont d’abord réunies dans un plan fixe et élargi autour du portable. Lady est au centre du groupe. L’autre bande qui arrive sur le quai d’en face est leur reflet exact : trois filles affranchies dont l’une tient un téléphone portable et une autre dont les vêtements plus sages tranchent avec ceux du reste de la bande.
Filmées en plans serrés, les invectives des deux groupes occupent cette fois également tout l’espace sonore de la station. L’arrivée de la rame couvre difficilement leurs cris et la violence s’intensifie avec les filles qui frappent les vitres et Adjatou qui sort son couteau. L’impression de voir des animaux en cage est renforcée par la multiplication des cadres dans le cadre et le plan serré qui enferment littéralement les corps à l’étroit et qui manquent de place.
Dans toute cette séquence, Marieme est de nouveau restée à l’écart. D’abord sur la droite au début de la séquence, d’abord assise, elle rejoint le groupe au milieu des invectives à l’arrière-plan du cadre. Même si elle reste muette, elle fait partie de la bande au regard de l’autre groupe. Elle est absente du cadre au moment de la manifestation physique de la violence.
Elle réapparaît ensuite dans un bref et léger travelling vers la gauche cadrée avec Lady tandis que Phili et Adjatou sont en contrechamp. Lady sourit à Marieme qui répond franchement à ce sourire. Cela va marquer l’intégration de Marieme par Lady au sein du groupe.
La rame de métro
Les filles occupent encore tout l’espace visuel et sonore. Elles investissent un lieu statique par excellence en le transformant en piste de danse et de karaoké au son du titre hip-hop WOP de J. « Dash » Johnson sur lequel Lady et Marieme danseront plus tard à la Défense au début de l’acte IV. La caméra fait des allers-retours entre le visage de Lady (avec Adjatou et Phili en arrière-plan) et celui de Marieme, qui est désormais plus intégrée. Les autres passagers restent flous comme s’ils n’existaient pas pour les filles qui se sont totalement approprié l’espace de la rame.
Conclusion
Il s’agit à chaque fois de transgresser les règles établies pour imposer celles de la bande. Et l’autorité de Lady est manifeste dans tous les plans. Elle est la reine du groupe et entre elle et Marieme s’est instauré un jeu de fascination réciproque qui laisse cette fois-ci davantage à l’écart les deux autres membres de la bande.
Les objets symboliques
Plusieurs objets liés à l’intégration de Marieme sont apparus dans cette séquence :
– le téléphone portable de Lady est mis en évidence par de nombreux gros plans (dont certains en point de vue interne), montrant le désir de Marieme d’en posséder un. Ce sera le premier cadeau de Lady à Marieme pour marquer son appartenance à la bande (avant le collier avec l’inscription « Vic », parfaitement identique au sien) ;
– le couteau Laguiole d’Adjatou, avec lequel elle menace les filles de l’autre bande dans la rame de métro. Dans la séquence suivante, Marieme en vole un similaire dans l’appartement de sa famille ;
– enfin le thème du travestissement est aussi mis en place par l’attirance des filles pour les robes et autres accessoires de mode féminins. Lady parle d’abord d’un sac à main puis propose avec humour une robe à fleurs à Phili (qui annonce le fou rire à l’hôtel lié à la robe léopard). Dans la boutique, on peut apercevoir derrière Marieme une série de robes bleues (elle en portera une à l’hôtel).
Ce qui relie l’ensemble de ces objets est leur origine douteuse, liée à une transgression. Bébé souligne que le téléphone est certainement « tombé du camion » ; Marieme vole un couteau similaire à celui d’Adjatou dans l’appartement de sa famille, qu’elle utilisera plus tard pour marquer sa victoire dans le combat contre la chef d’une bande rivale. Enfin, les robes des filles à l’hôtel portent encore leur antivol.
L’intégration de Marieme dans la bande passe donc par la transgression de toutes les règles qui marquaient jusque-là son code de conduite. Dans la séquence qui suit, on la voit d’abord mentir à sa mère sur son avenir scolaire (« Je passe en seconde »), puis voler le couteau, et enfin, au début du deuxième acte, racketter une fille dans la cour du collège.