Présentation

À l’issue d’un entretien d’orientation conflictuel avec son professeur principal, Marième est interpelée par une bande de filles.

Activité
Observer l’utilisation du hors-champs pour souligner les émotions et les motivations des personnages.





Marieme et la bande : une communication difficile

Le plan d’ensemble par lequel débute notre séquence, occupé presque totalement par la tour au pied de laquelle se situe le collège, suggère l’absence d’horizon pour Marieme, absence redoublée presque aussitôt par son cheminement le long d’un mur de briques rouges.

La première manifestation du hors-champ est liée à l’interpellation de Lady qui l’a repérée, mais ce hors-champ se matérialise aussitôt comme une perspective d’avenir possible : Céline Sciamma inscrit rapidement dans le même cadre la bande des trois filles et Marieme. Assises toutes les trois sur un banc dont la couleur rouge attirante contraste avec le reste du décor, elles semblent parfaitement à l’aise dans un espace que Marieme ne fait que traverser dans un mouvement de fuite momentanément stoppé.

Pour le moment, comme dans la séquence avec le professeur principal, Lady et sa bande demeurent un certain temps hors-champ lors des premiers échanges de paroles. On ne voit pas Lady prononcer « T’as l’air vénère » et Marieme reste seule dans le champ. À l’inverse on ne voit pas Marieme donner son nom suite à la demande de Lady. La difficulté à communiquer est renforcée par quelques champs-contrechamps légèrement désynchronisés (on entend la fin de l’interpellation violente de Lady, « J’te parle-là » quand on cadre Marieme par exemple). Le mur de briques apparaît enfin constamment en arrière-plan derrière Marieme, soulignant ainsi métaphoriquement le mutisme de la jeune fille.

On remarque au passage que la bande obéit à des codes de hiérarchie stricts. Seule Lady, assise au centre du groupe, qu’elle domine de sa stature, adresse la parole à Marieme. L’absence de participation à l’échange des deux autres filles est relayée par leur relégation hors-champ au moment le plus fort de la confrontation entre Marieme et Lady. Quand Marieme disparaît du cadre en obéissant à l’injonction blessante « casse-toi », les deux autres filles reviennent l’une après l’autre dans le champ, se tournant chacune vers Lady pour faire un commentaire allant dans le même sens que celle qu’elles reconnaissent comme leur chef. Mais Lady n’a d’yeux que pour Marieme qu’elle suit du regard, reléguant de nouveau les deux autres filles hors du cadre.






Filles et garçons

Marieme a bifurqué. Elle tourne momentanément le dos à la bande qui occupe toujours son esprit (à l’arrière-plan du cadre) et remarque l’arrivée des garçons dont on entend d’abord les voix en hors-champ, puis Ismaël apparaît de dos par la gauche et enfin quatre autres garçons. Elle-même reste hors de leur champ de vision : bien que présente dans le champ, elle demeure invisible à leurs yeux. La mise au point se fait sur l’arrière-plan et les deux bandes qui se saluent tandis que le visage de Marieme au premier plan devient flou.

La solution passe par l’intégration dans la bande de filles. Marieme réinvestit le champ par la gauche (on voit d’abord ses cheveux de manière floue au bas de l’écran quand elle passe devant Ismaël) puis par la droite en venant se placer aux côtés de Phili.

La caméra semble filmer à égalité les deux groupes comme des reflets l’un de l’autre par une série de champs-contrechamps en plans serrés, mais les garçons provoquent les filles par des allusions au fait qu’elles soient toujours ensemble et en prétendant qu’une bande rivale a dit qu’elle étaient lâches. Lady s’engage aussitôt sur la voie de la riposte immédiate envers les autres filles. Cet échange apparemment anodin soulève le réel problème de ces filles constamment manipulées par les garçons (rien ne prouve que l’autre bande les a réellement insultées). Plus tard, après sa défaite, Lady sera d’ailleurs humiliée par le même groupe de garçons. Dès le départ, la réalisatrice montre donc en filigrane que la supposée égalité entre filles et garçons permise par la bande n’est qu’une illusion.

Mais Marieme n’en est pas encore là, et pendant que Lady parle, elle sourit, puis serre longuement la main d’Ismaël qu’elle suit du regard quand il disparaît du champ. Sa motivation est claire : si elle décide d’intégrer la bande, c’est pour être vue d’Ismaël, pour entrer durablement dans son champ de vision, car il est l’objet de son désir amoureux.

Quand la bande des trois filles s’apprête à partir pour Paris, Marieme surgit maintenant derrière le corps de Lady qui la masquait au spectateur (c’est par Lady que passe l’intégration) et se positionne à sa gauche. La hiérarchie se rétablit aussitôt : les deux autres filles s’effacent sur le côté gauche de l’image, tandis que Lady repose des questions à Marieme. Marieme est ensuite cadrée seule, avec le mur de briques rouges (mais qui est devenu flou derrière elle). Lady la rejoint ensuite dans le champ jusqu’à la fin de la scène. En lui demandant violemment si elle a peur d’elle, elle impose définitivement son autorité et Marieme encore désemparée peut être admise au sein de la bande.