Présentation

N’étant pas parvenu à se faire réformer, Philippe accomplit son service militaire en Allemagne. Avant son départ, Marianne lui a offert des audiocassettes. Philippe découvre inopinément que l’une de ces compilations musicales comprend une déclaration d’amour enregistrée. En écho à la scène de la conception du jingle dans le studio de « Radio Warsaw », la voix de Marianne se manifeste dans ses écouteurs et envahit alors tout l’espace sonore.

Activité
Par quels moyens la mise en scène exprime-t-elle le caractère libérateur de la musique des années 70-80 ?




Le walkman libérateur

La séquence s’ouvre sur un plan d’ensemble du réfectoire où Philippe est en train de débarrasser les tables. Filmé en plongée, l’endroit impose son organisation martiale : les tables sont toutes disposées symétriquement à intervalles réguliers, et l’espace baigne dans une lumière uniformément blanche et crue, presque clinique. De surcroît, la surface de l’image est légèrement courbée en raison de l’utilisation d’un objectif de très grand angle, ce qui donne l’impression que le soldat est comme épié par une instance supérieure et invisible.

D’ailleurs, Philippe jette un coup d’œil à droite et à gauche avant de se munir de son baladeur, afin de s’assurer que personne ne l’observe. Un gros plan détaille la nature de l’appareil : il s’agit d’un walkman Sony TPS-L2, véritable fétiche des années quatre-vingt, première version d’une longue lignée dont il s’est écoulé plus de cinquante millions d’exemplaires sur les dix ans qui ont suivi sa création en 1979. L’invention du walkman a été en effet un véritable phénomène de société autant qu’une vraie révolution pour tous les amateurs de musique, dans la mesure où il a permis une utilisation mobile et privative, ce qui n’était pas possible auparavant. Et c’est bien l’usage que le conscrit en fait ici : en ajustant les écouteurs de cet ancêtre du lecteur MP3, Philippe allège sa corvée et se soustrait discrètement à la pesanteur d’une journée ordinaire.

Cette libération temporaire se traduit par un moment d’exaltation corporelle : le jeune soldat introverti s’affranchit de ses inhibitions en improvisant une danse endiablée, où l’espace normé du réfectoire devient le terrain de l’expression personnelle et spontanée, soulignée par différents mouvements de caméra en travellings latéraux, qui accompagnent le danseur.

Le titre que Philippe écoute sur son walkman nous parvient en son subjectif, comme si le spectateur avait lui-même le casque sur les oreilles. Il s’agit d’un morceau du groupe britannique Gang Of Four, intitulé Damage Goods, extrait de leur premier disque, Entertainment !, l’un des meilleurs de la période, fort d’une postérité importante (Kurt Cobain, le leader de Nirvana, déclarera à maintes reprises que cet album fut pour lui une inestimable source d’inspiration).

Le choix de ce groupe n’est évidemment pas anodin, car Gang Of Four a été la première formation à mêler une rythmique funk à l’agressivité du punk-rock, où les riffs de guitare s’égrènent en phrases hachées et saccadées – un type de fusion qui n’est pas si éloigné des compositions sonores auxquelles s’adonne Philippe.



Une antenne métaphorique

Damage Goods, le morceau libératoire, raconte l’histoire d’une rupture entre deux amants. Mais avant de quitter sa compagne, l’homme éprouve des remords et se souvient des nuits qu’ils ont passées ensemble. À peu de choses près, la chanson relate l’idylle de Philippe et de Marianne, mais à la manière d’une antiphrase absolue, étant donné qu’à ce stade de l’intrigue, les deux jeunes gens n’ont même pas encore échangé un seul baiser (si ce n’est de façon métaphorisée).

Toujours est-il que c’est lors de l’écoute de cette chanson emblématique que la voix de Marianne s’invite dans les oreilles de Philippe. En sautant sur le sol depuis une table, il perd son casque. Et lorsqu’il le réajuste, il découvre le message enregistré que lui a adressé la jeune femme. Littéralement bouche bée, Philippe s’immobilise tandis que la caméra recule lentement en travelling arrière. L’ouverture progressive du champ dévoile que le soldat figé tient dans ses mains un impressionnant amoncellement de pichets à eau. À un niveau purement figuratif, cet empilement de récipients en inox évoque l’idée d’une antenne télescopique, grâce à laquelle Philippe pourrait « capter » en direct les ondes émises par celle qui lui déclare sa flamme.

Au-delà de son caractère presque saugrenu, la situation propose en somme une déclinaison aussi subtile que discrète du moment où leurs yeux se sont longuement croisés une première fois, autour d’un micro sensuel dans le local de « Radio Warsaw ».

Ressource complémentaire
 Bande musicale originale du film