Présentation

Après avoir découvert la déclaration d’amour de Marianne enregistrée sur une audiocassette, Philippe d’un passage par les studios de BFBS (British Forces Broadcasting Service) pour lui dédicacer un disque en direct à l’antenne. Il improvise une véritable performance électro-acoustique en s’appropriant l’équipement technique du studio, et donne ainsi libre cours à sa virtuosité de compositeur pour machines et bandes magnétiques.

Activité
Comment s’exprime la maîtrise radiophonique de Philippe ?




Installation sonore

Pour s’adresser à Marianne, Philippe a choisi un titre du groupe The Undertones, Teenage Kicks (1978). Mais au moment où Dan, l’animateur de la BFBS, lui demande pourquoi il a choisi ce morceau en particulier, le jeune homme s’avère dans l’impossibilité de formuler la moindre phrase. La raison de son choix ne sera accessible qu’au seul spectateur, par le biais d’une voix off commentant rétrospectivement la situation (« « Because I want to hold her tight », c’est tout ce que j’avais à dire. Ça m’apparaissait comme le comble du ridicule »).

Pendant que l’animateur gère comme il peut le silence de son invité, Philippe trouve néanmoins les ressources nécessaires pour s’exprimer à sa façon. Il se lève et décroche l’une des enceintes du studio, au-dessus de laquelle il fait se balancer plusieurs microphones, ce qui génère un effet de larsen intermittent. Le geste de Philippe évoque le fameux Pendulum Music (1968) de Steve Reich, où le compositeur américain invente une installation musicale pour microphones animés d’un mouvement de balancier, tel un pendule, placés au-dessus de haut-parleurs, produisant de la sorte des phénomènes sonores avec un certain degré d’aléatoire.

Ensuite, Philippe investit la cabine de régie, qu’il utilise comme un laboratoire expérimental. Il créé une boucle infinie (une sorte de « sample » artisanal) en plaçant une tasse à café sur le plateau d’un tourne-disque ; puis il réquisitionne les lecteurs de bandes magnétiques pour produire des nappes de sons qu’il mélange à la déclaration enregistrée de Marianne et à une chanson de variété populaire française. À l’écran, la dextérité quasi démiurgique de Philippe est traduite par un découpage qui privilégie les gros plans sur les gestes enchaînés avec frénésie, tandis qu’une vue en plongée totale sur la régie souligne la maîtrise de ce soliste hors normes, qui semble faire corps avec les machines transformées en instruments.

Ressources complémentaires
 Music For The Gift de Terry Riley
 Pendulum Music de Steve Reich



Schönberg : de Claude-Michel à Arnold

La chanson de variété populaire que Philippe intègre à sa composition acousmatique mérite que l’on s’y attarde. Il s’agit d’un morceau intitulé Le Premier pas, qui parle d’un homme trop timide pour déclarer son amour à la femme qu’il convoite et qui rêve qu’elle prenne l’initiative de l’aborder et d’entamer une conversation avec lui. Le sujet de la chanson fait donc écho à la situation de Philippe et en offre une manière de commentaire. Ce titre de variété est interprété et signé par Claude-Michel Schönberg, lequel, comme son patronyme le laisse deviner, est apparenté au grand compositeur Arnold Schönberg, chef de file de la Seconde École de Vienne et inventeur du dodécaphonisme, qui aura une influence marquante sur une grande partie de la musique du vingtième siècle.

La technique de composition élaborée par Schönberg donne une importance égale aux douze sons de la gamme chromatique. En cela, le dodécaphonisme contourne le principe de tonalité, où il y a une sorte de hiérarchie entre les notes de la mélodie et de l’harmonie, pour créer des tensions et des détentes. La musique dodécaphonique peut être sérielle, ce qui signifie que les fameux douze sons sont utilisés en séries d’intervalles. Ces séries peuvent être renversées, jouées à l’envers ou transposées, selon des pratiques d’agencements qui recoupent celles auxquelles s’adonne fébrilement Philippe dans le studio de la BFBS. Comme on peut ainsi le mesurer, le choix de chaque morceau de la bande originale des Magnétiques a fait l’objet d’une attention très précise.


L’animateur Dan, alias John Peel

La pièce musicale improvisée par Philippe se clôt sur le single de The Undertones, qu’il souhaitait initialement dédicacer à Marianne. Teenage Kicks (1978) est un titre très représentatif de la pop de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, à la fois énergique et mélodique, où les guitares forment une sorte de mur du son. Ce morceau est également connu pour avoir été ardemment défendu par John Peel, l’animateur vedette de la BBC, personnalité mythique dans le milieu musical et incontournable découvreur de talents. À la fin de la séquence, Philippe est félicité pour sa performance par Dan, signe de bon augure pour l’artiste en devenir.