Présentation

Dans la scène du procès, la mise en scène de Kubrick s’écarte scrupuleusement de tout point de vue « à hauteur d’homme », pour au contraire privilégier les angles très marqués et les compositions de cadres hyper-géométrisées. Parce qu’ici, précisément, l’humain n’est plus qu’une simple variable au sein du dispositif militaro-judiciaire.

Proposition d’activité
Relever les plans qui vous paraissent souligner visuellement le caractère arbitraire du procès.


L’audition de l’espace

Avant même que le procès ne commence, les accusés sont en quelque sorte condamnés spatialement. Dès l’ouverture, la caméra embrasse en effet la quasi-totalité de la salle gigantesque, en une contre-plongée combinée à un mouvement de panoramique, filmée avec un objectif grand angle créant un effet d’écrasement des personnages. Une plongée en plan d’ensemble dévoile ensuite la décoration du sol, où un large cercle en mosaïque figure comme une cible, désignant d’emblée les accusés comme des coupables en ligne de mire. Au regard de sa taille, le lieu fait montre par ailleurs d’un dépouillement solennel et intimidant (quelques meubles seulement), tandis que le bruyant mouvement de l’escorte et des bottes qui claquent, achèvent de donner à ce tribunal hâtivement mais luxueusement aménagé, l’allure d’un véritable peloton d’exécution, qui préfigure donc le sort réservé aux trois accusés.


L’espace de l’audition

Assis seul sur un canapé, le Général Mireau affecte une sorte de détachement mondain, comme s’il était au théâtre ; ce qui s’avère d’ailleurs bien être le cas, dans la mesure où l’on comprend rapidement que le rôle de chacun a été répété en coulisses, et que la parole de la défense se bornera surtout à une défense de parole. En effet, Dax a beau tenter plusieurs manœuvres oratoires en faveur de ses hommes, il est immédiatement renvoyé à sa fonction de « figurant », et joue « les utilités ». Ses fameuses « balles verbales » (son sens de la répartie et son aptitude à l’insoumission critique) se heurtent désormais aux murs de la formalité militaire, que la sur-composition des cadrages ne fait qu’amplifier davantage.



Procès formel et formalisme visuel

Ainsi, Lorsque Férol est appelé à témoigner et qu’il est filmé de face, en plan rapproché, l’usage de la très courte focale déforme la perspective et procure à la scène une tonalité toute kafkaïenne, où l’accusé semble répondre à une instance invisible et supérieure.

La parole est verrouillée et ne circule que de manière illusoire, comme l’articulation étanche des différents espaces tend à le souligner avec toujours plus d’insistance. On remarque effectivement que lors des interrogatoires, la caméra se place presque systématiquement derrière les juges de la cour martiale, dont on voit les têtes et les épaules en contre-jour à l’avant-plan, si bien que leur présence est ressentie comme une sourde menace.

À cette parodie de justice et à ce procès purement formel, Kubrick répond par un formalisme visuel, de plus en plus marqué à mesure que le simulacre de ces auditions devient évident, pour les accusés comme pour le spectateur. La pièce est déjà jouée, et le rideau-couperet déjà tombé.