Présentation

L’enfermement des jeunes filles est évoqué dans une suite de séquences décrivant leur condition de détenues. Tout en demeurant dans le registre de la chronique réaliste, la réalisatrice confère une valeur générale aux épisodes représentés par le recours à la voix off et à de nombreux motifs métaphoriques mettant en évidence leur assujettissement.

Proposition d’activité

– Analyser les motifs métaphoriques de l’enfermement : objets, composition d’image, montage.
– Relever les références au conte.




Confiscation

La séquence s’ouvre sur la façade en bois de la maison familiale. Filmée en contre-plongée, la bâtisse paraît écrasante. Elle semble aussi inaccessible qu’un donjon, ce que confirmeront les barreaux et les murs rehaussés qui seront installés par la suite. Le cadre se resserre sur les fenêtres de la demeure, qui donnent sur les chambres des filles. Le passage de l’extérieur à l’intérieur se déclenche à cet instant précis.

Dans ce lieu qui n’aura bientôt plus rien d’intime, la grand-mère vide les placards de tous les objets qui pourraient pervertir la fratrie. La réalisatrice filme ses gestes nerveux, rapides et efficaces en une succession de gros plan montés cut*. L’enfermement passe par la rupture des communications avec l’extérieur : portables, téléphone et ordinateur sont mis sous clé, ainsi qu’une reproduction du tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple, symbole manifeste de la privation de liberté des filles.

L’auteure de cette blitzkrieg n’est désignée qu’au dernier plan par un recadrage sur le visage déterminé de la grand-mère fermant l’armoire à clé dans une ponctuation visuelle et sonore significative : une discipline carcérale règne désormais sur la maison.

Montage cut * : succession rapide de plans sans effets de raccords.



Chasse aux mouches

Armée d’une tapette à mouches, Lale, encore en chemise de nuit, se livre à une chasse impitoyable. Ses gestes vifs et précis pour écraser les insectes résonnent avec la gestuelle de sa grand-mère, vidant les étagères. Elle semble vouloir éradiquer toute forme de vie venue de l’extérieur, reprenant ainsi métaphoriquement à son compte le schéma subi par les filles. Dans un jeu métonymique subtil, la tapette en forme de fleur rose renvoie à la fois à l’univers naïf de Lale et à la discipline imposée aux cinq sœurs.

Le plan sur la mouche écrasée à côté du cœur brodé sur la table constitue dans cette perspective un symbole suggestif dénonçant la volonté despotique d’éradication du sentiment amoureux. Véritable baguette magique inversée, la tapette rose n’a pas de pouvoir de transformation : c’est un révélateur poétique aux mains de la narratrice du récit.


Déclaration d’amour

En off, on entend la sonnerie d’un téléphone qui précède l’irruption furieuse de l’oncle dans la pièce. Un rapide coup d’œil par la fenêtre conforte le courroux du despote. La famille conservatrice a beau vouloir éradiquer l’extérieur, il se rappelle constamment à elle, pour en bousculer l’ordre rigide. Ici, c’est une ingénieuse déclaration d’amour à la fois publique et intime, tracée à la peinture rouge sur la route. La suite du film montrera le parâtre abusif effaçant la déclaration publique afin de préserver la réputation de la famille mais aussi son emprise perverse et hypocrite sur les jeunes filles, tel le père incestueux de Peau d’âne.




Corps imaginaires

Nimbées par une lumière chaude d’été, Lale et ses sœurs prennent un bain de soleil dans leur chambre. Leurs corps sont enchevêtrés et forment une créature hybride, constituée de plusieurs têtes et membres. C’est un seul et même corps féminin dont la sensualité est une forme de résistance. Les filles portent des tenues de nuit en pleine journée, signe de leur perte de vitalité et de leur déconnexion avec le monde extérieur. L’abattement et la torpeur cèdent bientôt la place à des jeux qui brouillent encore davantage les repères des corps, filmés au plus près. Les filles se solidarisent autour de leur triste condition de prisonnières et se construisent un espace de liberté fantasmatique et joyeux.

La nature de leurs jeux est à cet égard révélatrice :
– une des sœurs est traînée par les pieds avant qu’on lui dise « Bienvenue », faisant écho à leurs mariage forcé ;
– le franchissement d’une barrière imaginaire résonne avec leurs escapades ;
– l’accouchement simulé désigne la fonction qui leur est assignée ;
– la salade de pieds imaginaire renvoie à la privation de tout apport extérieur : elles en sont réduites à se nourrir symboliquement d’elles-mêmes.


L’usine à épouses

Lale renoue avec le fil du récit et son statut de narratrice. Son commentaire a valeur de témoignage « a posteriori ». Dans cette « usine à épouses » qu’est devenue la maison, elles reçoivent des cours de cuisine et de couture, pour devenir de parfaites femmes d’intérieur. La réalisatrice alterne, au moyen de sa caméra mobile, une série de gros plans sur les visages las et ennuyés des filles. Elle réserve aussi des inserts sur les mains qui manipulent tour à tour les aliments ou les étoffes. Ces bras et ces mains qui se croisent, indifférenciés, autour de tâches domestiques rébarbatives assoient l’idée de la mise en discipline des corps au service du l’objectif matrimonial.