Présentation

Le prologue du film met en place, en trois temps successifs, la liberté des jeunes filles ainsi et la menace pesant sur leur insouciance :
– les adieux de Lale à sa maîtresse d’école ;
– une baignade joyeuse et impromptue avec les garçons du village ;
– le chapardage de pommes dans un verger édénique, bientôt réprimé.

Proposition d’activité

– Comment le générique annonce-t-il de manière visuelle le récit à venir ?
– le film semble « pris sur le vif » : quels sont les moyens utilisés pour créer cette impression de réalisme ?


Un générique métaphorique

Le film s’ouvre par un carton noir sur lequel s’affiche le titre du film : « Mustang » connote une énergie indocile empruntée à l’imaginaire du western. Ce titre est encadré de lignes verticales et horizontales, comme autant de barreaux qui renvoient métaphoriquement à la claustration des filles . La voix off évoque un basculement, un « changement » brutal : « Une minute on était tranquille, après c’était la merde », dit la jeune narratrice dans un langage peu châtié. Cette ouverture sur fond noir annonce les événements dramatiques qui vont ponctuer le film.



L’adieu

Nous sommes témoins d’une scène d’adieux entre une maîtresse d’école et sa jeune élève Lale. C’est la fin des cours et les vacances d’été scellent une séparation douloureuse. La maîtresse vérifie que son élève en larmes a bien pris son adresse. Elle part s’installer à Istanbul et lui propose de correspondre. Cet élément a son importance car il sera réutilisé à la fin du film. L’adresse s’avérera providentielle pour Lale et sa sœur Nur qui vont fuir à Istanbul, pour échapper à des mariages forcés. Le procédé s’appelle le « set-up/pay off » ou le « pay in/pay off » : un élément ou une information, d’apparence anodin, sont mis en avant et réutilisé plus loin dans le récit, à des fins dramatiques. Dans Mustang, le prologue et l’épilogue, articulés autour d’une même scène d’embrassade sur un seuil de porte, se répondent grâce à ce procédé. Ils mettent alternativement en scène, une sortie et un retour dans un cocon protecteur à l’issue des épreuves qui forment la matière du récit. Cet arrachement initial à une figure d’attachement comme la clôture revendiquée du récit à l’issue d’un itinéraire initiatique, constitue un des nombreux emprunts du film à la structure du conte au sein d’une esthétique naturaliste. La caméra portée à l’épaule, la lumière naturelle, le montage cut, visent en effet l’authenticité et l’énergie.


Mustangs

Un contrechamp nous dévoile un groupe de jeunes filles en uniformes et collants de laine qui regarde la scène d’un air amusé. Leur attitude est fière et désinvolte. Leurs chevelures longues et indisciplinées ajoutent à cette attitude rebelle. Ce sont les « mustangs » du titre : des chevaux sauvages, insoumis. Le groupe est bientôt au complet. Il fonctionne comme un tout indivisible.



Baignade interdite

Les filles marchent en direction de la mer, suivies par un groupe de garçons. Elles s’immergent tout habillées dans l’eau et se livrent à des joutes, juchées sur les épaules des jeunes hommes. Les corps juvéniles, filmés au plus près, saturent le cadre. La caméra est aussi instable que les corps en déséquilibre, saisis au moyen d’une longue focale. Les brusques changements d’axes donnent au spectateur l’impression de participer à cette baignade improvisée qui tourne court brutalement.

Un rapide travelling nous révèle un bout de plage où l’on distingue des silhouettes. Cet espace extérieur à la scène recèle un danger indéterminé. On l’apprendra quelques scènes plus loin, une voisine, ultra religieuse, espionne le groupe. Elle va salir la réputation des filles et déclencher leur claustration.




Le jardin d’Eden

La caméra marche à présent dans le sillage des filles, filmées de dos. Le décor aquatique a laissé place à une nature en friche. Les jeunes filles sauvages s’inscrivent naturellement dans ce décor, éclatant de verdure et parsemé de fleurs jaunes. C’est l’image d’un Eden, que corrobore la présence de pommiers. Filles et garçons goûtent littéralement au fruit défendu, bien que l’innocence l’emporte dans cette scène bucolique. Sonay, la plus âgée, recrache la pomme qu’elle a portée à sa bouche. Le fruit défendu aurait-il un goût amer ?

On note qu’au premier plan, des branchages bouchent la vue. Ces obstructions visuelles dénoncent la présence de la caméra, comme si la scène était observée depuis l’œil d’un témoin, invisible pour le moment. Impression accentuée par le cadre resserré, qui laisse toute latitude à une menace potentielle venant du hors champ. Lale, facétieuse, glisse des pommes dans son chemisier, pour simuler une puberté précoce. L’enjeu de la transformation des corps est posé. Un travelling latéral révèle brusquement le propriétaire du jardin, armé d’un fusil. Sa présence sanctionne l’exaltation d’une féminité revendiquée (qui fait écho à une exhortation malicieuse : « Montre-moi ces seins ! »). Elle annonce la réponse répressive d’un patriarcat dominateur. Chassées de ce paradis terrestre, c’est l’enfer qui attend dorénavant les jeunes filles.