Fiche technique
Réalisation : Deniz Gamze Erguven
Scénario : Deniz Gamze Ergüven et Alice Winocour
Musique : Warren Ellis
Turquie, France, Allemagne – 2015 – 1h34
Interprétation
Lale : Güneş Nezihe Şensoy
Nur : Doga Zeynep Doguslu
Ece : Elit Iscan
Synopsis
Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale. La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratique ménagère remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger. Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées.
PRÉPARER LA PROJECTION
Deniz Gamze Erguven : réalité et imaginaire
La réalisatrice évoque au cours d’un entretien la double dimension de son film : il s’appuie sur des éléments factuels pour évoquer la condition féminine dans les campagnes turques et emprunte les chemins métaphoriques du conte.
Le statut des femmes en Turquie
Le statut des femmes turques relève d’une réalité complexe et contrastée, notamment entre villes et campagnes. Inscrite dans une forte tradition patriarcale, la Turquie met en œuvre une politique d’émancipation progressive des femmes : instauration de la République Kemaliste laïque en 1923, droit de vote en 1934 et obtention de la parité en 2001. L’arrivée au pouvoir du parti islamiste AKP et le discours sexiste assumé par le président Erdogan ont engendré la restriction des libertés des femmes et l’augmentation très importante des féminicides depuis 2002.
Ressources complémentaires
AFP : Discours d’Erdogan sur le statut de la femme en Turquie
Politis : la colère des femmes turques
Amnesty International : Les femmes et la violence en Turquie
Pistes d’observation
Corps collectif
Deniz Gamze Ergüven compare le groupe formé par les cinq sœurs à une « hydre à cinq têtes ». Relever les plans qui vous semblent correspondre à cette comparaison.
Face à l’oppression
Chacune des sœurs réagit différemment à l’obligation du mariage : relever l’éventail des comportement possibles face à l’oppression patriarcale au sein de la famille.
Métaphores
Interpréter la signification métaphoriques des scènes suivantes : le vol des pommes dans le verger, l’entrée et la sortie du tunnel, la chasse aux mouches de Lale et l’épisode du fiancée derrière la fenêtre.
ANALYSE DU FILM
Corps collectif
Mustang met en scène une fratrie composée de cinq sœurs fortement soudées : leur dispersion progressive va fragiliser chacune d’entre elles. La sortie de ce cocon protecteur coïncide avec une entrée violente et prématurée dans l’âge adulte. Promises au mariage à peine formées, les sœurs sont condamnées à l’enfermement et assignées aux tâches ménagères propres à en faire des mères de familles respectables. Partagées entre soumission et révolte face à une tradition oppressive, elles sont confrontées à la transformation inéluctable de leurs corps. Leur féminité est dès lors vécue comme une fatalité qui les soumet à un ordre patriarcal. C’est là toute la dureté de ce portrait de jeunes filles, doublé d’un récit d’émancipation féministe.
Conte moderne
La réalisatrice inscrit les motifs du conte au sein de sa chronique réaliste et politique. Les recluses sont coupées du monde et enfermées, telles la princesse Raiponce du conte de Grimm, afin de préserver leur virginité. Les séquences de la virée au match de football, de la scène de cache-cache lors du mariage avorté ou de la fuite finale à travers les branchages scandent le récit des princesses rebelles. Le jeune camionneur chevelu constitue dans cette perspective un adjuvant providentiel en forme de prince charmant inattendu. Dans cet univers circonscrit, le film assume son propos libérateur par une constante oscillation entre l’intérieur et extérieur, entre l’oppression et le désir, en recourant à des motifs universels.
Un patriarcat omniprésent
Les filles font l’objet d’une surveillance permanente. Le village et les voisins les scrutent, les commères propagent des allégations sur leur vertu. Ces points de vue extérieurs sur la fratrie, relégués la plupart du temps hors champ, menacent la cohésion et la pérennité du groupe. Toute la force du récit, focalisé sur Lale qui en assume la narration, consiste à assumer la restriction de leur point de point de vue sur l’extérieur : la censure est une menace omniprésente. Ainsi, le discours politique patriarcal d’Erdogan n’est évoqué qu’en voix off, dans la séquence du suicide d’Ece. Incarnée de manière directe par l’oncle, l’oppression se manifeste donc aussi d’une manière sourde et inassignable qui désigne le village entier comme un lieu d’espionnage généralisé.
Virgin Suicides, la matrice de Mustang
Mustang entretient, avec Virgin Suicides, une multitude de correspondances. Réalisé en 1999 par Sofia Coppola, cette chronique adolescente, aérienne et éthérée, mettait déjà en scène une fratrie composée de cinq sœurs. Elle était confinée dans la maison familiale par une mère bigote et puritaine. Retirées de l’école, suite aux frasques sexuelles d’une des sœurs, les filles trouvaient dans la mort une échappatoire à leur enfermement. L’oppression familiale, le poids de la religion, la représentation d’un gynécée soudé qui se décompose et s’étiole, les chevelures comme traits distinctifs, les fugues et autres actes de résistance désespérés, l’asphyxie progressive du groupe unissent les deux œuvres. Mustang est une variation évidente sur le film de Sofia Coppola. Loin de l’Amérique, Deniz Gamze Ergüven déplace et enracine son récit dans une Turquie conservatrice. Dans ce nouveau décor, le désir d’émancipation de jeunes filles recluses, lie les deux œuvres.
Ressources complémentaires
CNC : livret enseignant
Transmettre le cinéma : analyses de séquences
Les Grignoux : dossier pédagogique
Télécentre Bernon : présentation du film par Laurent Delmas
Le Bleu du miroir : entretien avec Deniz Gamze Erguven