
Une maison menaçante
Filmée en plan subjectif, suite à un raccord regard à partir du visage d’Arbogast, l’austère maison gothique qui surplombe le motel impose sa présence menaçante. Légèrement décadrée au sein d’une composition fermée, elle est le point vers lequel convergent toutes les lignes de fuite du plan, ainsi désignée comme la destination prévisible du personnage.
Si le spectateur partage le point de vue d’Arbogast, ce plan inaugure la différence de savoir entre personnage et spectateur constitutive du suspense hitchcockien :
– pour Arbogast, la fenêtre éclairée de la maison indique une présence, peut-être suspecte, à interroger dans le cadre de son enquête ;
– pour le spectateur, cette lumière renvoie à la la menace meurtrière de la mère et désigne la maison comme un piège mortifère.
Toute la mécanique du suspense repose sur le jeu entre la proximité du spectateur avec le personnage et la nécessaire distanciation lui donnant un coup d’avance, illustrés par ce plan inaugural de la séquence.

Le coup de l’escalier
Ce long plan de 19 secondes insiste sur la montée de l’escalier qui mène à la maison. Le motif de l’escalier est utilisé de manière récurrente chez Hitchcock dans les scènes de suspense :
– l’escalier définit un trajet dont les étapes inéluctables sont indiquées par les marches ;
– emblème de la frontière, il inscrit dans l’image l’opposition entre le monde quotidien (bas) et le lieu inconnu associé au danger (haut) ;
– il permet d’amorcer l’attente du spectateur dans la logique d’étirement de la durée propre au déploiement du suspense.
On remarquera que les points de vue du personnage et du spectateur, imbriqués dans le précédent plan sur la maison, sont désormais dissociés : nous assistons à bonne distance au trajet du personnage vers une issue funeste.

La logique du champ-contrechamp
L’entrée hésitante d’Arbogast s’accompagne de 4 champs-contrechamps en raccord sur son regard avant sa montée sur l’escalier. Ce montage permet au spectateur de connaitre la configuration des lieux mais surtout de l’impliquer dans l’inquiétude d’Arbogast qui multiplie les regards circonspects dans le hall. À cet égard ils constituent un moyen d’augmenter le suspense, fondé sur une constante variation de focalisation sur les savoirs respectifs du spectateur et du personnage.


L’escalier intérieur
Arbogast monte l’escalier lentement, précédé par un lent travelling arrière d’accompagnement en plongée. Ce cadrage en plan rapproché associé à la faible profondeur de champ focalise l’attention sur le personnage tout en manifestant les limites de sa perception. Le point de vue d’Arbogast, comme celui du spectateur, est limité à l’approche de ce perron dangereux. La tension dramatique ainsi créée est accentuée par le glissando de cordes qui accompagne cette lente montée des marches.
Un insert sur l’ouverture de la porte de la chambre signale au spectateur le danger imminent qui guette Arbogast, jouant ainsi à nouveau sur la différence de savoir pour instaurer un fort suspense. Le recours au hors-champ permet en effet de signaler le péril en le gardant indéfini afin d’amplifier l’effet dramatique.

L’attaque
Dans une accélération brutale, l’agression d’Arbogast, pourtant attendue, surprend le spectateur par une accumulation de contrastes :
– rapidité de l’agression contrastant avec la lente montée des marches et de l’ouverture de la porte ;
– irruption de l’ostinato obsessionnel des cordes ;
– passage soudain à un plan d’ensemble en plongée verticale.
Ce changement de cadrage correspond à une stratégie scénaristique visant à préserver l’identité du tueur. L’habileté d’Hitchcock consiste à lui conférer une légitimité dramatique forte pour masquer le stratagème.

La chute d’Arbogast
Inversant la montée des marches précédente par sa rapidité et sa direction, la chute d’Arbogast est rendue très artificielle par l’usage de la transparence. L’enjeu dramatique de ce plan, outre l’effet de symétrie, consiste dans l’implication du spectateur, qui accompagne littéralement le personnage dans sa chute mortelle.

Point d’orgue
De manière cohérente avec l’esthétique de la suggestion du film, la mort d’Arbogast est exprimé par son cri émanant du hors-champ et par le cadre mettant en évidence le mouvement meurtrier du couteau, figure métonymique du meurtre. Ce gros plan fonctionne en point d’orgue d’une séquence très fortement structurée par le progressif resserrement du cadre et par une organisation dynamiques en deux parties solidaires : l’installation du suspense est suivie par une résolution brutale.