Cet article fait partie d’un cycle
Programmé au Café des Images depuis le jour de sa sortie française, le 11 mars 2015, À la folie de Wang Bing y est encore projeté au moins une fois par mois. Telle aura été notre manière d’accueillir cette œuvre dont la durée (3h47) est déjà en soi, Emmanuel Atlan ne cessera d’y insister, une question posée à ce qu’est aujourd’hui le travail d’une salle de cinéma.
Fondée dans les années 1980 par Simon Simsi, Les Acacias est une des plus anciennes sociétés de distribution spécialisées dans la ré-édition de films de patrimoine. À son catalogue s’ajoutent aussi en moyenne trois nouveautés chaque année, parmi lesquelles les films de Rithy Panh, Hong Sang-Soo ou encore Wang Bing. Emmanuel Atlan est arrivé dans l’entreprise en 2012, en tant que programmateur. À ce titre, il est chargé de faire le lien entre Les Acacias et les exploitants et programmateurs de salles. Comme tous les membres de cette équipe réduite, il participe aussi au choix des films distribués, tant pour le patrimoine que pour l’actualité.
Réalisé en deux temps, avant et après la sortie en mars 2015 du dernier film de Wang Bing, cet entretien revient sur le succès inattendu des Trois sœurs du Yunnan, et évoque les difficultés de distribuer un film comme À la folie.
Raphaël Nieuwjaer : Dans quelles circonstances avez-vous commencé à distribuer les films de Wang Bing ?
Emmanuel Atlan : J’ai découvert Les Trois sœurs du Yunnan au festival des Trois Continents, à Nantes, en 2012. J’avais la chance de faire partie du jury cette année-là. Le film nous est apparu à tous comme le plus fort de la sélection. En parlant avec Wang Bing, j’ai appris qu’il n’avait pas de distributeur. Comme il ne connaissait pas Les Acacias, les discussions ont pris un peu de temps. Les droits ont finalement été achetés début 2013. La sortie n’a cependant eu lieu qu’en avril 2014 – d’une part, parce que nous avions d’autres films à distribuer auparavant, mais surtout parce que se profilait la rétrospective Wang Bing au Centre Pompidou, à Paris. Cela nous semblait l’occasion de créer une synergie entre la rétrospective, qui s’accompagnait de l’exposition de ses photographies, et la sortie du film.
Avec plus de 40 000 spectateurs, Les Trois sœurs du Yunnan a été le premier succès public de Wang Bing. Quelle était sa place dans le paysage du documentaire au moment où vous avez acheté les droits de ce film ?
E. A. : Il était assez connu, aussi bien par la presse que par certains programmateurs de salles. De fait, un cycle allait lui être consacré à Pompidou. Un travail important avait été fait depuis À l’ouest des rails (2003), mais l’œuvre d’un tel cinéaste a de toute façon besoin de nombreuses années pour accéder à une certaine visibilité. Nous avions donc déjà une base, même si l’on ne s’attendait pas à un tel succès. Que Les Trois sœurs du Yunnan soit centré sur des enfants a pu jouer. Il y a peut-être aussi eu un malentendu auprès de certains spectateurs, qui ne s’attendaient pas forcément à un tel film, assez lent, sans musique. L’affiche est faite pour évoquer « Connaissances du monde ». On peut dire que nous avons joué là-dessus. C’était une manière d’attirer l’oeil en « trichant » un peu avec le contenu du film.
L’œuvre d’un tel cinéaste a de toute façon besoin de nombreuses années pour accéder à une certaine visibilité
Qui fait les affiches ?
E. A. : Nous concevons nous-mêmes les affiches. Le souci avec Wang Bing est qu’il ne fait pas de photographies de tournage. Il nous faut faire des captures à partir des fichiers vidéos. Celles-ci ne sont pas toujours d’une qualité suffisante pour l’agrandissement, des pixels apparaissent donc. Pour Les Trois sœurs du Yunnan, nous avons joué sur le format, puisque l’image n’est pas plein cadre. Concernant À la folie, le choix était limité également. Pour ses prochains films, il devrait faire plus attention à cet aspect, car nous lui avons beaucoup répété l’importance de l’affiche.
Et pour les titres ?
E. A. : Ces décisions se font en interne, avec l’attaché de presse. Wang Bing nous fait confiance. Ce qui n’est pas toujours le cas. Hong Sang-soo, par exemple, n’avait pas voulu que nous traduisions The day he arrives. Nous avions rusé en ajoutant « Matins calmes à Séoul » en sous-titre. Évidemment, il faut réussir son affiche et sa bande-annonce, mais le titre est une chose très importante, peut-être la plus importante. Rater un titre peut vraiment avoir un impact conséquent, surtout pour des « petits » films qui ne bénéficient pas d’un gros casting, ou de beaucoup de publicité.
En chinois, c’était simplement « Trois sœurs », ce qui selon nous renvoyait trop à Tchekov. La version du film d’abord diffusée sur Arte s’appelait « Seules dans les montagnes du Yunnan ». Il était difficile de reprendre ce titre, puisque les deux versions sont très différentes – l’une fait 1h10, l’autre 2h30. Pour ne pas créer de confusion, nous avons donc choisi « Les Trois sœurs du Yunnan ». Il était aussi important de re-situer géographiquement le film. À la folie a d’abord été présenté à Venise sous le titre « Til Madness do us part ». Ce n’était pas une bonne idée de conserver cette version anglophone. Nous avons donc joué avec la version chinoise, que l’on peut traduire littéralement par « Amour et folie ».
Avez-vous déjà raté un titre ?
E. A. : Oui, je pense au film belge Lost Person Area de Caroline Strubbe. On aurait dû lui trouver un titre français. Mais de manière générale, il existe beaucoup de titres ratés.
Comment avez-vous préparé la sortie nationale des Trois sœurs du Yunnan ?
E. A. : Wang Bing était très disponible pour accompagner le film. Il est resté presque deux mois en France. Comme il a beaucoup de choses à faire en Chine, il voulait que son séjour soit utile. Le mois précédant la sortie des Trois sœurs du Yunnan, nous avons donc fait le tour des salles – une par jour ou presque. La première projection a eu lieu à Aix-en-Provence, alors qu’il n’y avait eu encore presque aucun article sur le film. La salle était comble, nous avons même dû refuser du monde. Il faut préciser qu’un travail conséquent de communication avait été fait, notamment à destination des étudiants de la faculté de chinois, par Caroline Renard, Isabelle Anselme et François Amy de la Bretèque, les directeurs d’un ouvrage collectif sur Wang Bing publié aux Presses Universitaires d’Aix. Cela semblait tout de même un très bon signe. À Marseille, Lyon, puis en banlieue parisienne, les salles ont par la suite toujours été remplies. La sortie nationale a confirmé l’engouement pour le film, qui a fait environ 40 000 entrées. Pour un documentaire de 2h30 avec un sujet assez difficile, c’est un excellent chiffre. En tout, le film a été projeté dans 250 villes. Les frais de distribution ont été amortis rapidement, et au bout d’un mois et demi, nous reversions déjà de l’argent à Wang Bing.
Un point déterminant pour le succès des Trois sœurs du Yunnan a aussi été sa présentation aux exploitants réunis à La Rochelle lors d’une rencontre du GNCR [Groupement National des Cinémas de recherche, NDLR]. Ils ont donc pu voir le film très en amont de la sortie, et dans d’excellentes conditions. Par la suite, nous avons organisé d’autres projections en région. Or, c’est le nerf de la guerre aujourd’hui, que de réussir à montrer le film aux exploitants dans de bonnes conditions.
C’est le nerf de la guerre aujourd’hui, que de réussir à montrer le film aux exploitants dans de bonnes conditions.
On envoie de plus en plus de DVDs, ou des liens. Évidemment, cela nuit à la qualité de la réception. Les Trois sœurs du Yunnan ou À la folie sont typiquement le genre de films qui, pour des questions de rythme, passent très mal sur petit écran. Avoir le temps de faire ce travail de projection, de présentation, est difficile, car après avoir acheté les droits, il faut rentrer rapidement dans ses frais. On ne peut pas toujours se permettre de prendre ce temps-là. Il faut ajouter que seuls 5 ou 6 films par mois sont présentés durant les journées de prévisionnement organisées à destination des exploitants. Les places sont donc chères. Le GNCR n’a presque pas présenté À la folie à cause de sa durée. Ce qui, évidemment, est regrettable.
On imagine sans peine que la durée représente le principal obstacle au succès d’À la folie.
E. A. : En effet. Après le succès des Trois sœurs du Yunnan, j’aurais pu sans aucun problème avoir 250 salles pour présenter le nouveau Wang Bing, si celui-ci avait fait 1h30… Or À la folie dure 3h47. Même dans des grandes villes, certaines salles ne le prennent pas à cause de cela. Cette longueur rend en outre difficile l’accompagnement du film. Après une telle projection, les spectateurs ont envie de respirer plus que d’écouter ou de discuter avec un critique. Nous avions pensé faire intervenir des spécialistes des institutions psychiatriques, mais nous avons renoncé. Et on ne peut pas non plus faire venir à nouveau Wang Bing, car il y aurait un effet d’épuisement.
Comment avez-vous déterminé sa date de sortie en salles ?
E. A. : Nous avons choisi cela en fonction des disponibilités du cinéma du Panthéon, à Paris, qui se trouve avoir aussi des activités de distribution. Il fallait donc trouver un moment où leur écran, unique, était libre. L’intérêt pour nous est que cette salle garde les films longtemps à l’affiche. C’est un luxe. Ensuite, nous avons contacté le MK2 Beaubourg, car il s’agit d’une bonne salle, particulièrement bien placée dans le centre de Paris, et qui avait pris Les Trois sœurs du Yunnan. Là, au contraire, il n’y a pas d’engagement dans la durée. En fonction des résultats, le film reste une semaine de plus ou disparaît. En province, une quinzaine de salles le prennent en sortie nationale. Si nous parvenons à 80 en tout, ce sera très bien. Pour le reste, on se contente de prier pour qu’il n’y ait pas trop de concurrence. Mais j’ai arrêté de consulter Le Film français, car de toute façon, on ne peut pas tout contrôler.
Quelle est votre stratégie ?
E. A. : Le but n’est pas de faire une séance par jour. Même s’il n’y en a qu’une par semaine, l’important est qu’elle soit bien mise en valeur dans le programme, qu’il y ait un travail autour du film. Cela dit, il faut avoir conscience que nous sommes dans un marché. Certains distributeurs imposent le nombre de séances et de semaines aux salles indépendantes, même dans le cas d’une salle mono-écran. Pour ma part, je n’impose rien. Avec l’Utopia, à Bordeaux et Toulouse, il n’y a même pas une séance par jour, mais le film sera gardé durant plusieurs semaines. Voilà le genre d’accords que nous pouvons passer. Pour un film long, il est important de laisser du temps aux gens, car c’est une vraie décision d’y aller. Au contraire, le MK2 Beaubourg décide du sort d’un film une semaine après sa sortie, ce qui est catastrophique. Nous sommes condamnés à ce que « ça démarre », comme on dit de manière horrible, tout de suite.
Que serait un bon démarrage pour vous ?
E. A. : Le baromètre utilisé en général, c’est les chiffres de l’UGC Les Halles à 9h. Puisque l’on ne sort pas aux Halles, c’est un peu faussé. Nous verrons donc à partir de la séance de 14h les premiers résultats. Cela semble ridicule, mais c’est important malgré tout. Je vais comparer à la fois avec le nombre d’entrées à la même heure des Trois sœurs du Yunnan, et avec celui des autres films. Le problème, évidemment, est que même un démarrage meilleur que les autres films de la semaine ne garantit pas de ne pas se faire éjecter par les sorties suivantes. C’est très brutal. Les films se détruisent entre eux, la question est compliquée.
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Trois semaines après la sortie nationale d’À la folie, nous nous retrouvons dans le bureau d’Emmanuel Atlan, pour un premier bilan.
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E. A. : Comme prévu, le démarrage a été difficile. Les chiffres sont assez décevants : un peu moins de 4 000 entrées, pour 18 copies [entre le 11 mars et le 30 mars, NDLR]. En tout, le film devrait passer dans 40 ou 50 salles. Notre but était d’atteindre le seuil des 10 000 spectateurs pour ne pas perdre d’argent. Ce ne sera pas le cas. Evidemment, nous savions que ce serait difficile, d’autant qu’au contraire des Trois sœurs du Yunnan, À la folie n’est pas une co-production française. Est en effet donné aux films français, ou co-produits par une société française, un agrément permettant de toucher sur chaque entrée environ un euro, qui est versé à un fonds de soutien. Ce fonds nous permet ensuite de préparer les sorties suivantes. Mais cette cagnotte ne peut servir que pour les films français. Pour la même raison, nous n’avons pas bénéficié de l’aide Canal + à la distribution. Seule une aide sélective du CNC [Centre National du Cinéma et de l’image animée, NDLR] nous a été accordée. Mais, même s’il s’agissait d’une sortie risquée, l’important pour nous est de pouvoir continuer à montrer le travail de Wang Bing.
À Paris, À la folie était visible au Cinéma du Panthéon et au MK2 Beaubourg.
E. A. : Nous avons présenté le film très en amont au Panthéon, et avons décidé de la date de sortie ensemble. Avoir un tel partenariat est important, car c’est une salle qui garde les films sur la durée, leur permettant donc d’exister véritablement. D’ailleurs, si nous sortons le prochain Wang Bing, ce sera également chez eux. Avoir cette continuité est aussi une chose précieuse. Le Panthéon aurait souhaité l’exclusivité parisienne. Pour ma part, je crois que cela n’aurait pas tellement affecté leur nombre d’entrées, le MK2 Beaubourg n’étant pas vraiment proche. De toute façon, nous ne pouvions pas dire non à Beaubourg, car ils avaient pris Les Trois sœurs du Yunnan, et puis cette salle réalise depuis longtemps un très beau travail autour du documentaire.
Le fonctionnement des deux salles est très différent. Beaubourg a projeté le film durant seulement trois semaines, avec d’abord trois séances par jour, puis finalement une seule en matinée. Ce cinéma a six salles, et il met deux nouveaux films chaque semaine à l’affiche. Le calcul pour eux est vite fait : si un film n’est pas dans les deux premiers au niveau du nombre d’entrées, il dégage au bout de trois semaines maximum. La concurrence est directe et impitoyable.
Si un film n’est pas dans les deux premiers, il dégage au bout de trois semaines maximum. La concurrence est directe et impitoyable.
Avez-vous malgré tout une marge de manœuvre ?
E. A. : Non. Nous regardons les chiffres le dimanche soir, et l’exploitant nous dit s’il continue ou s’il arrête. Nous n’avons aucun moyen de négocier, d’autant qu’il y a une transparence totale des chiffres. Si nous étions une société plus importante, nous pourrions avoir un rapport de force plus favorable, notamment en jouant sur le fait de donner ou non les films suivants. Mais, en tant que spécialiste du film de répertoire, nous n’avons pas ce poids. Toutes nos sorties sont plus ou moins fragiles. Notre travail consiste à les confier à des gens qui ne s’en servent pas pour boucher les trous de leur programme.
Le MK2 Beaubourg semble avoir, en particulier pour les distributeurs indépendants de petite taille, une importance stratégique considérable.
E. A. : C’est en effet un cinéma central, qui attire beaucoup de spectateurs. Les places y sont rares, et donc chères. Mais le problème est plus général. Entre 15 et 20 films sortent tous les mercredis. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des salles.
Faudrait-il limiter le nombre de sorties en salles, ou diversifier les moyens de diffusion ?
E. A. : La question est complexe. Il faudrait que le CNC s’y attèle très vite, car la situation est mortifère pour tout le monde. Les distributeurs se retrouvent dans un environnement ultra-concurrentiel. Les exploitants, sur-sollicités, font de plus en plus de multi-programmation, ce qui signifie que les films ont de moins en moins de place. Les spectateurs, enfin, perdus face à une telle profusion, se dirigent vers les productions les plus facilement identifiables, donc celles qui ont bénéficié du plus de publicité.
Il faut souligner un autre point. Un certain nombre de films sans distributeurs sont sortis par les producteurs eux-mêmes, qui demandent – et obtiennent assez facilement d’ailleurs – une carte de distributeur au CNC. Or, le distributeur a aussi cette fonction de faire une première sélection. Si ce travail n’est pas fait, on se retrouve avec un marché complètement engorgé. Sept ou huit films fragiles peuvent sortir sur un seul mercredi. Et, évidemment, presque aucun ne marche. Le phénomène est identique pour les films de patrimoine. Les ressorties étaient exceptionnelles, elles se sont complètement banalisées. Faire ce constat est simple, y répondre l’est moins. Car s’il y a limitation du nombre de sorties, sur quels critères cela se fera-t-il ? Si l’on peut bien sûr se réjouir d’une telle richesse, il ne faut pas oublier que cette profusion peut avoir des conséquences graves.
Le public semble aussi vieillissant…
E. A. : En tant que spécialiste de films du patrimoine, nous le constatons sans doute encore plus. Même dans les salles du Quartier Latin, les jeunes sont peu nombreux. C’est une source d’inquiétude, évidemment, car nous ne savons pas comment renouveler ce public. A notre échelle, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Pour les films du répertoire, nous faisons une nouvelle affiche et une nouvelle bande-annonce, car celles d’époque sont parfois très ringardes, et souvent trop longues. Nous communiquons sur les réseaux sociaux. Nous éditons aussi des dossiers de quatre pages pour accompagner les films.
Y a-t-il des risques propres au secteur de la distribution ?
E. A. : Oui, c’est une activité encore plus risquée que la production, car il existe inévitablement un écart de trésorerie entre le moment où l’on achète les droits d’un film et celui où l’on aura les premières recettes des salles. Six mois, voire plus, peuvent se passer. D’où les réformes d’aide sélective au programme du CNC, qui permettent de toucher les aides en amont de la sortie. Cette aide se calcule en fonction du budget de distribution : elle est plafonnée à 50 % maximum du budget proposé au CNC. Si l’on décide donc d’investir 100 000 euros dans une sortie, le CNC ne pourra pas nous donner plus de 50 000 euros.
De quoi est composé un tel budget ?
E. A. : De l’acquisition des droits exclusifs de diffusion du film, évidemment, mais aussi des dépenses liées aux copies ou au DCP [« Digital Cinema Package », soit l’ensemble des fichiers numériques envoyés à l’exploitant pour projection, NDLR], au matériel promotionnel (affiche, affichette, bande annonce, campagne publicitaire éventuellement), à la rémunération de l’attaché de presse et à la confection du dossier de presse.
Comment fixez-vous la somme allouée à une sortie ?
E. A. : Nous calculons en fonction du nombre de spectateurs potentiels. Il s’agit à chaque fois d’hypothèses. Nous regardons les chiffres des précédents films du cinéaste, ou de films plus ou moins similaires. Le but en tout cas pour nous est de nous rembourser avec les recettes faites en salles. Nous ne comptons pas sur celles réalisées avec la vidéo – VOD, ou la télévision, qui sont trop incertaines.
Êtes-vous déjà impliqué dans les prochaines productions de Wang Bing ?
E. A. : Effectivement, les négociations sont en cours. Sa productrice principale soutient notre proposition, car elle a apprécié le travail que nous avons fait jusqu’à présent. Néanmoins, elle ne décide pas seule, mais avec deux co-producteurs français. Deux projets sont en cours d’élaboration. Le premier à sortir devrait être Jeunesse de Shanghai, un documentaire sur les jeunes s’exilant des villages du Yunnan pour aller s’employer dans une « ville-usine » dédiée à la confection. Une fois par an, ils rentrent chez eux. Le film montrera cette nouvelle vie à Shanghaï et le bref retour à la campagne. Le second projet, Past of the present, est déjà ancien. Il s’inscrit dans la continuité du Fossé et de Fengming. Wang Bing recueille pour celui-ci les témoignages des survivants des camps de travail qui ont existé sous Mao. Il a déjà plusieurs centaines d’heures de rushs. Ces personnes étant au crépuscule de leur vie, il est urgent d’enregistrer leur parole.
Vous vous engagez donc avant d’avoir vu les films.
E. A. : Oui, mais connaissant le travail de Wang Bing, nous ne sommes pas très inquiets. Nous savons qu’il y aura une continuité, une cohérence. C’est pareil pour Hong Sang-soo, ou Rithy Panh. Les Acacias avait par contre sorti Following (1999), de Christopher Nolan. Ne me demandez pas pourquoi, mais son Batman a été distribué par une autre société…
Vous souciez-vous néanmoins de leur éventuelle longueur ?
E. A.: Past of the present devrait effectivement être très long. Mais nous avons suggéré aux Films d’ici, l’un des co-producteurs, la possibilité de le sortir comme À l’ouest des rails, en plusieurs parties. Il est vrai que cette question de la durée, dans la réalité commerciale actuelle, devient de plus en plus épineuse. Wang Bing a conscience de ce problème-là, car nous lui en avons déjà souvent parlé. Au-delà de trois heures, un film a désormais sans doute davantage sa place dans les festivals, ou sous forme d’installations, que dans le circuit commercial.
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Épilogue : Programmé dans 75 salles en France, À la folie a réalisé un peu moins de 6 000 entrées. Les Acacias sortiront bien Jeunesse de Shanghaï, le prochain film de Wang Bing, qui devrait être prêt pour l’édition 2016 du festival de Cannes.