Café des Images

L’attachement

par Raphaël Nieuwjaer

Le Cancre (Paul Vecchiali, 2016).

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Producteurs, distributeurs, exploitants – le Café en revue a toujours eu à cœur d’élargir le spectre de ses interlocuteurs afin de comprendre comment les films étaient fabriqués et montrés aujourd’hui. Avec Emmanuel Vernières, c’est au métier d’attaché de presse qu’il s’agit de s’intéresser. Activité moins connue du grand-public, sans doute, et qui pourrait vite s’apparenter à un simple rouage entre distributeurs et journalistes. Cela serait d’ailleurs vrai s’il n’y entrait, outre l’enjeu de communication, une passion sincère. Emmanuel Vernières en apporte la preuve, lui qui est un compagnon de route de Paul Vecchiali depuis maintenant 20 ans.

Le Cancre, le nouveau long-métrage de Paul Vecchiali, est à l’affiche du Café.


Raphaël Nieuwjaer : En quoi le métier d’attaché de presse consiste-t-il  ?

Emmanuel Vernières : Je fais en sorte que les journalistes voient les films et s’en fassent l’écho le mieux possible. Ce qui signifie aussi que, si un critique n’a pas aimé un film, je vais essayer de convaincre un de ses collègues susceptibles de mieux l’apprécier d’assister à une projection. En somme, c’est un travail de réseau.

D’un autre côté, nous sommes très vite identifiés. Les journalistes savent plus ou moins à quoi s’attendre lorsqu’untel ou untel les contacte. Sans compter, évidemment, que chaque distributeur a aussi son identité. Tout cela fait que je travaille souvent avec les mêmes personnes, qui ont un goût particulier pour le type de films dont je m’occupe. Des relations se créent. De ce point de vue, la sortie du Cancre a été révélatrice. Beaucoup de gens m’ont appelé pour faire un entretien avec Catherine Deneuve, sans se soucier le moins du monde du film dans lequel elle jouait. Là, on voit bien la différence entre le média mainstream et la critique de cinéma.

Vous occupez-vous aussi des dossiers de presse  ?

E.V. : Je les relis mais ne les conçois pas. Le distributeur s’en charge. On ne peut certes pas se passer d’un dossier de presse, mais il n’est à mon avis pas déterminant  : pour les critiques, l’essentiel reste – évidemment et heureusement [rires] – le film. Je suis donc avant tout là pour que celui-ci soit vu, même si je reconnais l’importance du matériel visuel – bande-annonce, affiche, etc….

Quand j’ai commencé il y a vingt ans, on ne pouvait découvrir les œuvres qu’en projection de presse. Nous en faisions quatre ou cinq par titre. Cela s’est un peu réduit, faute de moyens, et puis les gens ne viennent pas forcément. Il faut donc aussi être en mesure de rendre les films accessibles autrement – via le DVD ou un lien. Pour ceux qui écrivent sur Internet, c’est même souvent indispensable, puisque n’étant pas professionnels, ils ne sont pas toujours disponibles à l’heure des projections.

Vous travaillez en indépendant  ?

E.V. : Oui, chez moi, un peu comme un pigiste. C’est une profession assez précaire. Je n’ai pas d’assistant. Hormis Karine Durance, Stanislas Baudry, moi et quelques autres, nous sommes quand même assez peu à travailler ainsi. Nous sommes une espèce en voie de disparition [rires].

Paul aime partir dans beaucoup de directions différentes, quitte à perdre le spectateur. Son cinéma est profondément hétérogène.

Comment fixez-vous les tarifs  ?

E.V. : Il existe plus ou moins une grille, mais cela dépend aussi du film, du distributeur, etc. Vu les films dont je m’occupe, je peux vous dire que je ne suis pas le mieux payé de Paris ! [rires]

Quel est votre regard sur la réception critique du Cancre  ?

E.V. : Elle me semble plus respectueuse qu’enthousiaste. Les papiers à propos de Nuits blanches sur la jetée avaient été bien meilleurs. Par-delà une forme de bienveillance, j’ai l’impression que les critiques se sont souvent attachés à des détails, sans souci pour ce que Paul essaie vraiment de faire. On s’est beaucoup focalisé sur les comédiennes, par exemple. Évidemment, elles ont une part importante, mais se concentrer sur l’éternelle cinéphilie de Vecchiali, ou sur la beauté des actrices, c’est un peu réducteur. Paul aime partir dans beaucoup de directions différentes, quitte à perdre le spectateur. Son cinéma est profondément hétérogène. Et puis il y a aussi un propos assez fort, dans son cynisme, sur la vieillesse. Cela a été moins évoqué, peut-être parce que c’est moins «  confortable  », moins facile. Bien sûr, il y a aussi des articles plus subtils.

En disant cela, je n’oublie pas qu’il y a des règles, des cases, et que les gens sont plus ou moins en mesure de les faire bouger – d’autant que l’espace dévolu au cinéma en général et à la critique en particulier tend à se réduire quand même assez sérieusement. Sauf, bien sûr, sur Internet, où il y a encore une grande liberté et un espace suffisant pour que les gens écrivent réellement. Cela dit, je ne voudrais pas noircir complètement le tableau. Les films que je défends sont précisément la preuve que les critiques font leur travail et qu’ils sont curieux. Hélas, les supports papiers pouvant parler de films plus ou moins «  expérimentaux  », et ayant une sortie modeste, sont devenus très rares.

Pensez-vous que la presse soit encore prescriptrice  ?

E.V. : Non, quasiment plus, hormis Télérama, Le Monde, Libé et dans une moindre mesure Les Inrocks et les Cahiers du cinéma. France culture et France inter pèsent aussi. Mais pour le type de films sur lequel je travaille, je dirais que cela se résume surtout à Télérama et au Monde. La raison en est simple  : en majorité, les spectateurs des salles Arts et essai ont aujourd’hui entre 50 et 75 ans, et ces gens-là lisent surtout ces deux titres.

Comment travaillez-vous avec la critique en ligne non-professionnelle  ?

E.V. : Il y a dix ou quinze sites importants. Je les contacte, et ensuite ils me répondent ou non. Pour Les Bruits de Recife, par exemple, j’ai constaté que beaucoup de sites avaient «  rattrapé  » le film un moment après sa sortie, parce qu’ils en avaient entendu parler ailleurs. Même si cela permet d’étaler un peu le moment de la réception critique, le souci est que ces films-là réalisent entre le tiers et la moitié de leurs entrées durant la première semaine. Il faut donc que les textes accompagnent véritablement la sortie.

Il y a des sites très structurés, comme Critikat, mais le paysage vous semble-t-il encore trop marqué par l’amateurisme  ? Ne serait-ce d’ailleurs qu’un défaut  ?

E.V. : Je ne parlerais pas d’amateurisme, mais de passion, avec tout ce que le mot peut comporter d’amour, d’innocence et d’approximation. Ce qui m’étonne le plus c’est la souvent piètre qualité de l’écriture, et la propension aux fautes, en général due à la vitesse d’exécution. Mais j’appartiens à une génération qui a appris à lire et à écrire avant d’apprendre à déchiffrer les images. Le monde change. Je le redis  : l’espace et la liberté que nous offrent le web sont une vraie bénédiction. Je crois profondément que cet « amateurisme » n’a rien d’un défaut, d’une part parce qu’il faut bien commencer, et d’autre part parce qu’il est le garant d’une forme de fraicheur qui a tendance à se diluer. Et puis, comme le disait Chaplin, «  Nous ne vivrons jamais assez longtemps pour être autre chose que des amateurs…  »

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Affiches de films de Paul Vecchiali.

Vecchiali a connu ces dernières années un retour en grâce assez inespéré.

E.V. : En effet. Entre 2004 et 2013, Paul a tourné chez lui huit longs-métrages. Ce sont des films écrits à la première personne, et réalisés par nécessité. Paul ne se posait alors pas vraiment la question de leur diffusion ou de leur réception. De fait, ils ont très peu circulé. Il avait besoin de tourner. C’est une partie de l’œuvre que l’on redécouvrira peut-être un jour, mais qui à vrai dire ne me semble pas la plus passionnante. Toujours est-il que Paul avait pris cette « retraite active ».

Puis plusieurs choses se sont enchaînées. Thomas Ordonneau, qui dirige Shellac, a découvert Nuits blanches sur la jetée, qu’il a beaucoup aimé. Nuits blanches fait partie des films de Paul parmi les plus homogènes. Par son unité d’espace et la limpidité de son propos, il offre une porte d’entrée beaucoup plus évidente que C’est l’amour ou même Le Cancre. C’est aussi une œuvre qui emporte plus facilement le spectateur. Ce film a donné envie à Ordonneau de redécouvrir les autres films de Paul Vecchiali, et au final d’en ressortir un certain nombre en salles après restauration.

Il s’est alors produit la rencontre entre la volonté d’un distributeur dont la ligne est quand même assez exigeante, et la curiosité des cinéphiles, qui avaient entendu parler de Vecchiali sans forcément connaître son travail. Le fait de pouvoir redécouvrir Femmes femmes, Corps à cœur ou Once more a relancé un intérêt. Il faut dire que des auteurs comme lui, c’est une bouffée d’air. Même si on est déçu en sortant d’un Vecchiali, on sait quand même qu’on a vu autre chose.

Et puis Paul a eu l’avance sur recettes pour C’est l’amour, ce qui lui a permis de tourner assez rapidement.

Comment aviez-vous découvert son travail  ?

E.V. : J’avais dix-huit ans quand Once more est sorti en salle. J’étais adolescent, j’allais voir ce dont les Cahiers du cinéma me parlait. Et là, j’ai découvert quelque chose qui a été très important pour moi. Je n’avais jamais vu cela, tout simplement.

Dix ans plus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer Paul dans le cadre d’un projet militant. L’association Lesbian and Gay Pride Films avait initié la réalisation d’un ensemble de courts-métrages autour du SIDA. Le programme s’intitulait L’amour est à réinventer. A ce moment-là, j’ai connu l’homme. Ce fut un grand plaisir de le voir travailler. Il m’a pris sous son aile. Et c’est avec ce « film » (c’est un programme de courts-métrages, en fait) que je suis devenu, un peu par hasard, attaché de presse.

Ensuite, j’ai rejoint CinéCinémas, où j’ai beaucoup parlé de Vecchiali à Bruno Deloye, le directeur de la chaîne, qui a décidé de programmer ses films. Nous étions vers 2001-2002. J’ai également travaillé avec l’éditeur DVD, La vie est belle, qui a ressorti Femmes femmes et L’Étrangleur.

Cela fait donc vingt ans que j’accompagne Vecchiali. Il y a entre nous un lien qui va bien au-delà de celui qui unit en général un attaché de presse à un cinéaste. Certains attachés de presse suivent bien sûr un réalisateur, mais ce n’est pas toujours le cas.

Vous avez aussi réalisé un documentaire, Paul Vecchiali, en diagonales, en 2005.

E.V. : Absolument. Personne n’avait fait de film sur lui, et je constatais tous les jours que les gens autour de moi ne savaient pas qui était Vecchiali. Je l’ai conçu en suivant un principe extrêmement simple, puisqu’il s’agit d’un plan fixe sur Paul en train de parler de ses films, entrecoupé d’extraits. Je me suis concentré sur cinq longs-métrages, pour ne pas partir dans tous les sens. Dès le départ, en tout cas, je voulais me focaliser sur sa parole, sur lui. Il y a tellement de documentaires hagiographiques où l’on fait défiler tout le monde, des acteurs aux techniciens, pour dire à quel point tel cinéaste est formidable… Et puis Paul a un tel amour du cinéma qu’il suffit de l’écouter pour que quelque chose se passe. C’est un homme fascinant.

En tant qu’attaché de presse, je ne peux pas travailler sur un film que je n’aime pas.

Comment choisissez-vous les films dont vous vous occupez  ?

E.V. : Cela fonctionne par distributeur et par affinité. Je suis content quand on me propose des choses différentes, mais le marché n’est pas si large que cela, et tous les attachés de presse ont plus ou moins leur ligne. Je m’occupe essentiellement de premiers films, souvent étrangers – et de Vecchiali  [rires] ! Il m’arrive de ne pas vouloir travailler sur un film, mais c’est quand même très rare. En tout cas, je ne peux pas travailler sur un film que je n’aime pas. Ces dernières années, j’ai surtout collaboré avec Shellac et Survivance. J’ai une vraie complicité avec Guillaume Morel et Carine Chichkovski, de Survivance. Leurs choix de producteurs comme de distributeurs et leur manière de travailler me correspondent vraiment.

Vous venez d’achever un court-métrage, Tournons ensemble, Mademoiselle Darrieux.

E.V. : Oui, on va penser que je ne me détache pas de Vecchiali, mais ce n’est qu’à moitié vrai. Je ne l’ai pas attendu pour découvrir Madame de et devenir un grand fan de Danielle Darrieux  ! Ce film est construit sur une conversation téléphonique que j’ai eue avec Darrieux à propos d’un projet qui n’a finalement pas été financé. D’une certaine façon, c’est le rêve du film qui n’a pas été tourné.

Un programmateur de festival au Québec m’a dit que c’était un film qui s’inscrivait dans un contexte cinéphile très franco-français, ce qui n’est pas faux, mais je préfère citer Bernard Payen, qui devrait le projeter à la Cinémathèque  : « Ce film fait confiance à la puissance du hors champs et donc à l’imaginaire du spectateur, à sa croyance. C’est autant un hommage à Danielle Darrieux qu’au cinéma, puisqu’elle incarne aussi le cinéma à 200%. »

Captures de Tournons ensemble, Mademoiselle Darrieux (Emmanuel Vernières, 2016).

Captures de Tournons ensemble, Mademoiselle Darrieux (Emmanuel Vernières, 2016).