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Dans la seconde partie de notre entretien, Richard Linklater aborde notamment les problèmes de distribution qu’il a parfois rencontrés en France et aux Etats-Unis, sa relation de travail avec Julie Delpy et Ethan Hawke, ainsi que son goût pour le sport.
Emmanuel Burdeau : Beaucoup de vos films n’ont pas été distribués en France. Me and Orson Welles est sorti dans très peu de salles, même aux États-Unis. Comment l’expliquez-vous ?
Richard Linklater : On a terminé le film au moment même où la crise financière a éclaté et les distributeurs manquaient de moyens. Il est tout de même sorti dans quelques salles, mais j’ai l’impression que les choses ont été faites au hasard. Parfois vous avez de bons distributeurs internationaux, de bons agents, de bonnes compagnies, et parfois non. C’est dommage. Je crois que le film a quand même bien marché en Australie et dans d’autres pays. Ils auraient dû axer la promotion sur Orson Welles plutôt que sur Zac Efron, mais ils n’ont pas pu s’en empêcher. Ils ont cru que les gamins qui avaient vu High School Musical (2006) allaient venir. Voilà pourquoi j’aime le cinéma : les gens sont optimistes. Mais on n’atteint pas le public aussi facilement.
Ils auraient dû axer la promotion sur Orson Welles plutôt que sur Zac Efron.
Peut-être est-ce parce que chacun de vos films se distingue beaucoup du précédent. Fast Food Nation et A Scanner Darkly, par exemple, que vous avez présentés à Cannes en 2006, sont très différents l’un de l’autre.
R.L. : Ils critiquent tous les deux les États-Unis de Bush, mais c’est vrai : je n’ai pas de cible déterminée, pour le meilleur et pour le pire. Certains cinéastes, comme Quentin Tarantino, font des films différents à chaque fois, mais ils vont toujours chercher leur public d’une façon ou d’une autre. A Scanner Darkly est le premier film à utiliser la rotoscopie par ordinateur. J’avais déjà réalisé Waking Life (2001) avec cette technique, mais là, c’était une utilisation plus mature, plus raffinée.
Je ne suis plus jamais retourné au McDo après avoir vu Fast Food Nation.
R.L. : C’est très bien – il ne faut plus y aller ! Je n’arrive pas à croire que j’aie pu avoir accès à tout ça. C’était très fort. J’avais presque l’impression de jouer les Ken Loach. Fast Food Nation est plus social et politique que mes autres films. C’était bien de le faire, même si le résultat ne correspond peut-être pas exactement à ce que j’avais en tête. Il a reçu de bonnes critiques, mais le public n’a pas envie de voir un film qui se termine à l’abattoir.
Il s’inscrit dans une certaine tradition des films d’abattoir, comme L’Année des treize lunes de Fassbinder (1978), ou Le Sang des bêtes, de Franju.
R.L. : Il existe beaucoup de documentaires américains sur cette question. Je travaille en ce moment avec une organisation qui prépare un film sur les mauvais traitements faits aux animaux. Fast Food Nation était un premier pas dans ce domaine pour moi qui suis végétarien depuis depuis trente ans.
Il est sans doute difficile d’être végétarien au Texas.
R.L. : Au Texas oui, mais pas à Austin. La ville a beaucoup de restaurants végétariens qui cuisinent des produits sains. J’ai une sorte de ferme biologique, avec des poules et des cochons que j’élève pour le plaisir, mais aussi des fruits, des légumes, des abeilles. Ma compagne Tina et deux de mes trois filles ne sont pas végétariennes – c’est problématique. Tina dit qu’il leur faut des protéines – je réponds que certaines protéines peuvent s’obtenir sans tuer des animaux.
Pour revenir à L’Année des treize lunes, on m’avait demandé d’en faire une présentation pour une édition DVD car je cite toujours ce film parmi mes préférés. Fassbinder est mort quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, mais j’ai vu Lili Marleen (1981) et Le Secret de Veronika Voss (1982) lorsqu’il était encore en vie. Il y a beaucoup de réalisateurs auxquels j’ai commencé à m’intéresser peu de temps avant leur mort – Truffaut, Fassbinder, Tarkovski. De nombreux grands cinéastes sont morts jeunes. Truffaut avait 52 ans, c’est-à-dire l’âge que j’ai aujourd’hui. Je devais avoir 24 ans quand il est mort et je trouvais que 52 ans, c’était assez vieux. Mais il avait encore tant de films à faire – c’est une tragédie.
C’était le plus jeune de la Nouvelle Vague et le premier à mourir.
R.L. : Godard, Resnais, Rohmer, Kubrick, Rivette, Eustache, beaucoup de réalisateurs sont nés en 1932-33. Il y a des concentrations, des générations, comme celle de Friedkin, Coppola, Scorsese, De Palma, nées dans les années 1940. Je ne sais pas si beaucoup de cinéastes sont nés dans les années 1950, à part Jim Jarmusch et Olivier Assayas.
Assayas est né en 1955.
R.L. : Je n’ai pas vu son dernier film, mais j’ai aimé Carlos. Vous aimez ce qu’il fait ?
Pas vraiment. Notre rapport à lui est étrange. Il est un des rares cinéastes français connu dans le monde entier, mais je ne pense pas que cela soit mérité.
R.L. : On trouve toujours bizarre que certains cinéastes aient du succès lorsqu’on connaît vraiment le cinéma d’un pays. Pour la Suède, on pense à Bergman ; pour l’Angleterre, tout le monde retient David Lean. Pourquoi les Américains sont-ils obsédés par David Lean ? Comme s’il n’y avait qu’un seul cinéaste anglais ! Quand on vient d’un pays et qu’un cinéaste de ce pays s’exporte, on se dit toujours qu’il y en a tellement d’autres. Ce n’est pas facile d’être le représentant.
Vous pensez que c’est aussi le cas pour le cinéma américain ?
R.L. : Probablement. Le public connaît surtout nos films de genre, comme ceux de Tarantino. Ce n’est pas une critique, car j’aime beaucoup ses films et c’est un ami, mais les gens ne retiennent que lui de la culture américaine. Pourtant, ses films ne représentent que sa propre imagination cinématographique, certes extraordinaire. Mais c’est comme de ne retenir que Herzog, Fassbinder et Wenders dans le cinéma allemand, qui compte au moins cinq ou six autres excellents cinéastes.
Vous aimez Herzog ?
R.L. : Oui, forcément. C’est le seul réalisateur aussi doué pour les documentaires que pour les fictions. Rares sont ceux qui atteignent ce niveau d’excellence dans les deux domaines. Je l’ai rencontré lors d’une rétrospective à Munich en 2007. Je venais d’arriver en avion, j’étais devant un cinéma et je l’ai vu marcher vers moi avec un grand sourire : « Bienfenu ! J’ai fu beaucoup de fos films. » Il était avec son fils, qui est fan de mon travail et l’avait traîné à la séance d’un de mes films. Herzog venait de rentrer d’Antarctique où il avait tourné Rencontres au bout du monde (2007). Il m’a parlé de l’aventure héroïque qu’il avait vécue. Je l’aime beaucoup, parce qu’il est fou. Son documentaire sur le tournage de Fitzcarraldo [Ennemis Intimes, 1999, NDLR] est formidable.
DOCUMENTAIRES
Avez-vous déjà réalisé des documentaires ?
R.L. : J’en ai tourné un d’environ 90 minutes à Austin, pour la chaîne de sport ESPN : Portrait of a Coach. Un de mes amis entraîneur de baseball à l’université m’a laissé le suivre pendant toute une saison. Mon film porte un regard intérieur sur sa façon de voir le monde. Je me serais ennuyé si j’avais réalisé un documentaire uniquement sur le baseball. Ce que j’aime, c’est la façon dont ce coach fonctionne avec son équipe – on dirait qu’il anime un club de philo ! Le film n’a été diffusé qu’à la télévision et lors d’une projection à Austin.
Vous faites vous-même l’objet d’un documentaire de Gabe Klinger sur votre amitié avec James Benning.
R.L. : Oui, je viens justement de voir James à Vienne, où il est en tournage. Il réalise un film au Muséum d’Histoire Naturelle qui s’appellera « Natural History ». C’est le premier réalisateur à être venu au cinéclub, en 1988. Je l’avais invité à venir présenter quelques films. Depuis, on est restés amis. Presque personne ne connaît son travail aux États-Unis. C’est un artiste précis, intéressant, sérieux. J’avais vu quelques-uns de ses films dans une sorte de cinémathèque [film house] , à l’époque où je commençais à faire du cinéma. Pour une fois, ils passaient les films dans leur intégralité et pas seulement des extraits de dix minutes.
J’ai montré quatre films de James à Austin récemment, mais les Américains ne sont pas assez patients pour ce genre de cinéma. Je lui avais demandé de venir les présenter. C’est à cette occasion que Gabe a eu l’idée de tourner un documentaire. Je n’ai pas vu le résultat. J’étais assez réticent à l’idée de faire l’objet d’un documentaire, mais Gabe nous a expliqué qu’il ne filmerait que le temps d’un week-end, qu’on me verrait présenter James et ses films, qu’il nous montrerait en train de parler avec lui, jouer au baseball, sortir. Il ne nous avait pas dit qu’il utiliserait Kickstarter [entreprise américaine de financement participatif, NDLR]. Lorsque j’ai revu James, il m’a demandé en riant : « Toi aussi, tu es gêné par tout ça ? ». Je lui ai répondu que oui ; je ne savais pas que Gabe irait demander de l’argent à tous nos amis. Mais c’est un type bien, que j’apprécie.
BEFORE MIDNIGHT
Vous connaissiez le Péloponnèse avant de tourner Before Midnight (2013) ?
R.L. : J’étais venu il y a longtemps car ma petite amie de l’époque vivait là-bas, mais je n’avais rien filmé. Christos Konstantakopoulos, mon producteur grec, s’est lancé dans le cinéma récemment. Il m’a fait découvrir quelques endroits qui sont devenus des lieux du tournage. La famille de Christos est très influente dans la région. C’est lui qui nous a permis d’avoir accès aux aéroports. On a rarement le droit de tourner dans ce genre de lieu, mais celui de la région porte le nom de son père !
Vous avez écrit le film avec Ethan Hawke et Julie Delpy, les deux acteurs principaux ?
R.L. : Oui, c’est une véritable collaboration. Pour Before Sunrise (1995), j’avais d’abord écrit un scénario qu’on a modifié tous les trois au moment des répétitions. Il semblait logique de travailler tout de suite ensemble pour les deux films suivants. En tant que réalisateur, on a toujours tendance à vouloir tirer la couverture à soi, mais c’est sans doute un peu exagéré.
En quoi ?
R.L. : On collabore de façon démocratique. C’est une expérience formidable – comme Jean-Pierre Léaud et François Truffaut dans la série Antoine Doinel.
Le film est-il déjà sorti aux États-Unis ?
R.L. : Oui, depuis trois semaines. J’ai la chance d’avoir un bon distributeur, Sony Classics. Le film sort dans autant d’endroits que possible. Je crois qu’il sera dans 800 salles le week-end prochain. Ils n’en n’ont pas fait autant pour Bernie, ce qui est dommage car les réactions étaient bonnes. Tout le monde aimait ce film dans les petites villes, mais il n’est sorti que dans peu de salles. Ils l’ont distribué comme un film indépendant, or il aurait pu toucher le grand public s’ils avaient voulu. C’est assez frustrant – en tant que réalisateur, on voudrait pouvoir toujours tout contrôler, mais on n’a aucun pouvoir à cette étape.
Quel était votre budget sur Before Midnight ?
R.L. : Environ trois millions, comme sur les deux précédents – c’est peu. Le tournage a duré quinze jours. J’en avais prévu vingt, mais on s’est rendus compte avec mon producteur grec qu’on pouvait réduire les délais. J’ignorais si les répétitions allaient bien se passer, si on ferait beaucoup de prises, etc.
Vous aviez répété avant de venir en Grèce ?
R.L. : On a surtout écrit, mais on y est venus l’année dernière, dix semaines avant le début du tournage, pour une longue session de travail. C’est là qu’on a vraiment terminé le scénario. Ethan et moi avons décidé des grandes lignes avant que Julie nous rejoigne. Ce n’était pas facile, car les personnages ont un âge délicat. 41 ans, ce n’est ni la naissance d’une belle histoire d’amour, ni la fin de quelque chose. Il faut réussir à décrire cette étape intermédiaire, la rendre intéressante. Les acteurs ont à peu près l’âge des personnages. C’est la dynamique des trois films : je regarde en arrière tandis qu’eux sont en plein dans la période dont il est question. À nous trois, on a maintenant huit enfants. Il y a dix-neuf ans, pendant le tournage à Vienne, ma fille allait avoir 1 an. Elle en a 20 aujourd’hui.
C’est la dynamique des trois films : je regarde en arrière tandis que les acteurs sont en plein dans la période dont il est question.
C’était facile de travailler avec Julie Delpy ?
R.L. : Je vais tenter de répondre avec précaution. Je l’adore, mais si je la voyais pour la première fois sans la connaître, je la remplacerais. Il a toujours été plus facile de travailler avec Ethan. Il aide chacun à donner le meilleur de lui-même. En un sens, il fait du bien à Julie. Julie est une artiste, mais ce n’est pas quelqu’un de facile. Quelle est sa réputation ?
On la dit un peu difficile à gérer.
R.L. : Elle est très angoissée et très anxieuse, mais il faut prendre les mauvais comme les bons côtés. Les bons, c’est elle dans le film. Je la considère comme un membre de ma famille, comme une petite sœur un peu folle. On entretient une relation unique depuis toutes ces années. Avec Ethan, on dit souvent que Julie est comme un homme. Elle nous fait rire en cela. Julie est une personne très honnête ; elle n’est pas préoccupée par son image. Les blagues qu’on peut faire sur elle ne la gênent pas tant qu’elles sont drôles. C’est ce que j’aime chez elle : elle n’est pas vaniteuse. D’ailleurs, on le voit dans les films qu’elle réalise.
Le personnage d’Ethan Hawke vous ressemble t-il ?
R.L. : C’est sans doute un mélange d’Ethan et de moi. Le personnage de Céline est une projection des meilleurs côtés de Julie vus par Ethan et moi. Disons qu’on a inversé les proportions : Céline est folle à 10% alors que Julie l’est à 90%.
Ethan et vous étiez donc plus investis qu’elle dans l’écriture ?
R.L. : Le talent de Julie, c’est de trouver des idées une fois qu’on a écrit les grandes lignes du scénario. Elle nous raconte des histoires qu’on intègre aux dialogues. On collabore tous les trois à égalité.
Comment est née l’idée de ces trois films, Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight ?
R.L. : J’ai rencontré Julie et Ethan lors d’un casting. J’avais vu Ethan au théâtre, mais l’idée des films est inspirée de mon histoire personnelle. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai rencontré une fille, un soir, à Philadelphie, et on s’est promené ensemble dans les rues. Philadelphie est une ville très agréable pour se balader. Cette fille est morte quelques années plus tard, mais je n’en ai rien su. On n’était pas vraiment restés en contact, juste un peu par téléphone au début, mais avant Facebook, c’était difficile. Le fait de ne pas être au courant de sa mort avait créé une situation romantique : je me disais que je la reverrai un jour, à une séance du film, à Philadelphie ou ailleurs. Je ne connaissais pas son nom de famille ; je ne me souviens même plus de quoi on a parlé. On a simplement marché, comme dans le film, sauf qu’on était à Philadelphie et non à Vienne.
C’est après être allé à Berlin que j’ai décidé de donner un caractère international à cette histoire. Des années plus tard, j’ai fini par apprendre que cette fille était morte il y a dix-neuf ans, un mois avant notre arrivée à Vienne pour le tournage de Before Sunrise. Elle n’était donc plus en vie quand on a tourné le premier plan, mais je ne l’ai appris qu’il y a deux ans. Elle avait confié à une amie l’histoire de ce réalisateur texan qu’elle avait rencontré un soir. Cette amie a vu les deux films, puis elle a fini par m’envoyer un mail : « Si je suis complètement à côté de la plaque, ne faites pas attention à ce message, mais il se trouve que j’ai connu une fille, Amy, etc ». Dans le paragraphe suivant, elle m’annonçait qu’Amy était morte dans un accident de moto pendant un week-end de Fête des Mères, en mai 1994 ou 1995. J’ai dédié le nouveau film à Amy. Les personnes qui l’ont connue ont été très surprises en apprenant cette histoire.
NOTRE FAÇON DE TRAVAILLER ? ON S’ASSOIT DANS UNE PIÈCE POUR PARLER DE TOUT ET N’IMPORTE QUOI.
La fin de Before Sunset est très belle, lorsque Céline danse pour qu’il ne parte pas à l’aéroport.
R.L. : C’est un bon exemple de notre façon de travailler. On s’assoit dans une pièce pour parler de tout et n’importe quoi – on travaille sans travailler. Un jour où je me disais triste de n’avoir jamais vu Nina Simone en concert, Julie a répondu qu’elle l’avait vue en concert et s’est mise à l’imiter, à chanter, danser. J’étais assis à l’autre bout de la pièce et j’ai dit à Ethan : « C’est la fin du film. » Julie affirme que c’est elle qui a écrit cette scène alors qu’elle l’a plutôt inspirée. Dans sa tête, c’est elle qui écrit tout. Il suffit qu’elle trouve une réplique, pour qu’elle dise : « C’est moi qui ai écrit cette scène. » Mais on est une équipe.
TENNIS
Où avez-vous tourné la scène de l’hôtel dans Before Midnight ?
R.L. : À Costa Navarino, un complexe touristique qui appartient au frère de mon producteur. Leur père était propriétaire de toute la zone – où mon producteur a grandi – et avait essayé de développer l’économie de la région dans le respect de l’environnement. Quand il est mort, ses fils ont réalisé son rêve. C’est beau. Il y a de l’herbe sur les toits, des matières recyclées, pas de lampes, uniquement la lumière du soleil. On dirait le plateau de tournage d’un film de science fiction. J’aimerais revenir ici sans avoir à travailler quatorze heures par jour, pour jouer au tennis par exemple. J’ai joué au tennis dans mon enfance, mais je redécouvre ce sport depuis une petite dizaine d’années. Je suis un joueur de fond de court ; je joue à l’ancienne. J’aurais aimé avoir un revers à deux mains, mais il est trop tard maintenant. Un jour, j’ai pris un cours et j’ai demandé au prof : « Apprenez-moi à faire un revers à deux mains. » Il a regardé mon revers à une main, puis mon revers à deux mains, et il m’a dit : « Ok, vous avez un revers à une main. » C’était au début de l’époque Jimmy Connors.
Jimmy Connors faisait tout à deux mains.
R.L. : Oui, mais il avait un jeu assez laid.
C’était tout de même étonnant à voir.
R.L. : Avez-vous déjà lu les essais de David Foster Wallace sur le tennis ? Il jouait lui-même à un bon niveau. Ses romans sont parfois un peu denses, mais ses essais sont formidables, très intéressants. Son recueil Un truc soi-disant super auquel on ne ne me reprendra pas (2005) contient des essais sur Tracy Austin et Federer. Il parle de Jimmy Connors, de son jeu qu’il trouve laid, de sa façon de taper la balle avec mollesse. Contrairement à Federer, Connors n’avait aucune grâce, mais je l’aimais beaucoup étant enfant. On dit qu’il a le mérite d’avoir sorti le tennis du côté « club de sport ». Il était grossier, émotif. C’est lui qui a ouvert la voie à des joueurs comme McEnroe, Nastase. J’aime beaucoup ces types. La fin des années 1970 et le début des années 1980 était une belle époque. Les joueurs actuels – Nadal, Federer, Djokovic – sont les meilleurs de l’histoire, mais il n’y a plus un seul Américain. Avant, il y en avait beaucoup : Smith, Connors, Agassi, McEnroe, Roddick. C’était impensable qu’il n’y ait pas un seul Américain dans les dix meilleurs joueurs mondiaux. Ils ont tous arrêté. C’est incroyable ce qu’il faut faire aujourd’hui pour devenir joueur de tennis professionnel. C’est presque de la maltraitance sur mineurs. On les envoie dans des camps d’entraînement. On ne fait plus ça aux États-Unis.
PROJETS / TÉLÉ
Il paraît que vous travaillez à une suite de Slacker…
R.L. : Non, j’aimerais tourner un genre de suite à Dazed and Confused, dont l’action se passait dans un lycée. J’en ai parlé récemment lors d’une conférence de presse, mais je n’aurais pas dû. Les gens ont mal compris. Ils pensent que Matthew McConaughey jouera un rôle, mais il est trop vieux maintenant – il aura bientôt 40 ans. J’ai en tête un film avec des personnages différents. L’action se passerait à l’université, pendant le premier weekend, lorsqu’on vient de quitter sa maison mais que les cours n’ont pas encore commencé. On ne verrait donc pas de sport, mais j’imagine des équipes de garçons réparties entre deux maisons, une fête avec des jeunes hommes qui se comportent très mal. Je ne sais pas encore qui jouera dedans ; je n’ai aucun financement. On m’a proposé de le faire pour la télévision. Ce serait intéressant de pouvoir raconter une année entière. Je suis en train d’y réfléchir. Pourquoi ne pas en faire une série ?
PLUTÔT QU’UNE SÉRIE, JE PRÉFÉRERAIS RÉALISER UN TRÈS LONG FILM, D’AU MOINS DIX HEURES.
Vous aimeriez tourner une série ?
R.L. : Je ne sais pas. Je préférerais réaliser un très long film, d’au moins dix heures. Je ne suis pas certain que ça me plairait de travailler sur la même chose pendant plusieurs années de suite. J’aime les films, car c’est à chaque fois une expérience nouvelle. C’est comme d’écrire un livre : on le sort, puis on passe à autre chose. Si je parvenais à trouver l’argent nécessaire, je préférerais faire un film, mais c’est difficile car l’action se déroule dans les années 1980. Un film d’époque coûte plus cher et j’aurais besoin de beaucoup d’acteurs.
La série Friday Night Lights raconte la vie d’une équipe de football.
Oui, c’est une série très texane. Les personnages ont entre 15 et 18 ans ; ils sont encore au lycée. Je n’ai vu que quelques épisodes, mais on m’a dit que c’était très bon. C’est aussi une série sur une ville, qui ressemble d’ailleurs beaucoup à celle où j’ai grandi. On nous montre ce que la ville pense de l’équipe de foot du lycée. Les parents sont là aussi, ce qui n’est plus le cas à l’université, où j’aimerais situer l’action de mon film.