Le Café en revue Léa Seydoux, un rêve d'actrice
Entretien

Léa Seydoux, un rêve d’actrice

par Emmanuel Burdeau

La Maison dans l’ombre (Nicholas Ray, 1952).

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Avant sa venue dimanche en compagnie de Maud Wyler, Léa Seydoux parle de son travail, du cinéma d’hier et d’aujourd’hui, de ce qu’elle est et de ce qu’elle s’imagine.


Pourquoi avez-vous choisi de répondre à l’invitation du Café des Images et de Maud Wyler en présentant La Maison dans l’ombre de Nicholas Ray ?

Léa Seydoux : La Maison dans l’ombre est un film qui me touche profondément. Je ne l’ai vu qu’une fois, je pourrai donc en dire plus après la séance de dimanche, quand je l’aurai revu. Je me souviens avoir été touchée par l’originalité et la complexité de l’histoire d’amour. J’ai l’impression — mais je suis sévère — que ce genre de complexité se rencontre rarement dans les films contemporains. Les cinéastes du passé, comme Nicholas Ray, avaient plus d’imagination que la plupart de ceux d’aujourd’hui. Aujourd’hui tout est volontiers simplifié. C’est la simplicité que j’aime dans La Maison dans l’ombre, mais la simplicité dans la complexité. C’est une chose rare.

Auprès de quels cinéastes diriez-vous que vous avez le plus appris ?

L.S. : Auprès de tous. Auprès des plus intelligents. Dès qu’il y a du langage, dès qu’un cinéaste fait l’effort de dire, il y a mille choses à apprendre. J’ai appris auprès d’Abdellatif Kechiche, malgré toutes les difficultés traversées sur le tournage de La Vie d’Adèle. Auprès d’Ursula Meier, pour L’Enfant d’en haut. J’ai beaucoup appris auprès de Sam Mendes : le tournage du James Bond a duré près de sept mois, en comptant les répétitions, j’ai donc passé beaucoup de temps avec Sam Mendes… J’ai appris auprès de Rebecca Zlotowski. C’est un cas un peu particulier : Rebecca a commencé avec moi. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt ni à l’apprentissage : au contraire, c’est passionnant de voir comment quelqu’un évolue d’un film à l’autre.

J’apprends également des acteurs. J’adore voir les acteurs jouer et travailler, y compris quand je joue et travaille avec eux. Adèle Exarchopoulos est une actrice de son temps, elle a une façon de jouer très moderne qui m’a beaucoup frappée. Je n’ai qu’une scène avec Tom Cruise sur Mission : Impossible — Ghost Protocal, mais je dois dire que je l’ai trouvé fascinant : même si la scène est courte, l’intensité qu’il y a mise est très frappante.

Je viens de tourner Juste la fin du monde avec Xavier Dolan, d’après une pièce de Jean-Luc Lagarce. C’est un film qui s’est fait dans des conditions très particulières. Rien à voir avec Sam Mendes et James Bond : il s’agit d’un huis-clos dont l’action se déroule en un seul après-midi. Le tournage n’a duré qu’une dizaine de jours, ce qui est évidemment très peu. La même durée, plus ou moins, pour tous les acteurs… J’apprends aussi de cette façon-là, en passant d’une manière à l’autre de travailler.

Quel genre de spectatrice êtes-vous, en général et pour les films dans lesquels vous jouez ?

L.S. : Je ne regarde pas énormément de films. Je travaille beaucoup, et quand je tourne, j’ai rarement envie de regarder des films. En ce moment je ne travaille pas, alors l’envie revient, et comme souvent je me sens plutôt portée vers les vieux films. J’ai tendance — je sais que je suis dure — à trouver la production contemporaine assez médiocre. Et donc tendance à me tourner plus volontiers vers d’autres périodes de l’histoire du cinéma.

Pour jouer, j’ai aussi besoin de me rêver, de m’imaginer plutôt que de me voir, et même de persister à m’imaginer différente de celle que je suis réellement.

Je suis assez contente d’avoir du temps, ces semaines-ci, de ne pas travailler. Enfin, je ne devrais peut-être pas dire les choses ainsi. Quand on est actrice, on travaille en quelque sorte toujours, même quand on ne travaille pas. Et quand on travaille on ne peut pas vraiment dire que ce soit le cas. J’ai du mal à considérer ce que je fais comme un véritable travail. On est constamment dans un drôle d’entre-deux.

Quand je vois un film dans lequel j’ai joué, si j’arrive à voir autre chose que moi, à voir le film lui-même et non pas seulement ma présence dans le film, c’est que quelque chose a été réussi, que j’ai fait un bon « travail ». Dans le cas inverse, cela signifie que quelque chose ne va pas. J’ai besoin de voir les films, besoin de voir comment tel cinéaste a travaillé ou intensifié telle scène, quelle transformation il a apportée… C’est important. Mais je mentirais en prétendant que l’expérience est toujours facile. Quand on se voit, il arrive qu’on se prenne en pleine tête la réalité de ce qu’on est. Mieux vaut parfois se rêver que se voir. Pour jouer, j’ai aussi besoin de ça, de me rêver, de m’imaginer plutôt que de me voir, et même de persister à m’imaginer différente de celle que je suis réellement. Je fais donc attention quand je me vois à l’écran. Je peux voir une ou deux fois un film dans lequel je joue, pas plus. Je crois que je préfère regarder les bandes-annonces ! Et puis, je vous l’ai dit, je suis sévère. Avec les films dans lesquels je joue et avec le cinéma contemporain en général.

Vous connaissez bien Maud Wyler. Parlez-vous souvent ensemble de votre travail ?

L.S. : Maud est non seulement mon amie, mais aussi ma seule véritable interlocutrice dans le cinéma. La plupart de mes amis ne travaillent pas dans le cinéma. Les films les touchent, évidemment, on en parle ensemble, leurs avis m’importent, mais Maud est la seule à pouvoir m’offrir un regard de l’intérieur, à partager une compréhension intime du travail. C’est très précieux.

Propos recueillis par Emmanuel Burdeau.

007 Spectre (Sam Mendes, 2015).

007 Spectre (Sam Mendes, 2015).