Les Oiseaux 2 – Le Retour
– par Camille BrunelSully (Clint Eastwood, 2016).
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Sully, de Clint Eastwood (2016) – 96′
« E pluribus unum », dit l’aigle sous lequel doit passer Sully, pilote ayant miraculeusement posé, façon canard, son Airbus dans l’Hudson. Sur le Grand sceau des Etats-Unis à l’entrée du tribunal, c’est moins un symbole qu’un oiseau auquel se soumet le prévenu qui se demande si, une fois à l’intérieur, on va lui « prendre ses ailes » ou non.
Les animaux de Sully sont, bien-sûr, d’abord les oies que percute l’avion, et qui l’obligeront à se poser en catastrophe. Ces oies, cependant, Eastwood n’en fait pas grand chose : quel que soit l’angle sous lequel apparaît l’incident au fil des nombreux flash-backs, on n’en percevra jamais que quelques éclairs noirs dans le pare-brise et des impacts étouffés contre la carlingue ; elles ne sont, au fond, pas plus réelles dans la recréation en images de synthèse, par Eastwood, de ce qui se passa ce jour-là, que dans les grossières simulations informatiques diffusées lors de l’audience fatidique.
Reste Sully, homme-oiseau ayant passé sa vie en vol, comme pouvaient apparaître chez Eastwood, à l’époque des westerns, des centaures enchapeautés constamment juchés sur leur monture. Il y a ainsi quelque chose de l’erreur d’Icare dans les questions qui tourmentent Sully, lorsqu’il doute : s’il avait volé trop longtemps (40 ans) ? S’il avait présumé de ses forces ?
Ceci dit, Eastwood n’a pas toujours éludé les animaux d’un coup d’essuie-glace. Il est le réalisateur de Chasseur blanc, coeur noir, sur l’obsession d’un homme pour un éléphant pendant le tournage d’African Queen (dont nous avions déjà parlé) ; il a partagé l’écran avec des primates dans Doux, dur et dingue (James Fargo, 1978) et sa suite Ca va cogner (sortie en 1980).
Il y a ainsi quelque chose de l’erreur d’Icare dans les questions qui tourmentent Sully, lorsqu’il doute : s’il avait volé trop longtemps (40 ans) ? S’il avait présumé de ses forces ?
Surtout, s’il ne s’interrogeait, à l’époque d’Impitoyable (1993), que sur la mort des humains (« It’s a hell of a thing, killing a man… »), on l’a entendu parler depuis de son peu de goût pour la chasse (« I don’t go for hunting. I just don’t like killing creatures » – Los Angeles Times, 2008), pour finalement élargir la remarque d’Impitoyable à toutes les espèces, en 2014, dans American Sniper, faisant dire cette fois à son héros : « It’s a hell of a thing… to stop a beating heart. »
American Sniper chatouillait d’ailleurs le spécisme de son public lors d’un raccord potentiellement scandaleux : dans un plan le sniper, Chris Kyle, mettait en joue un daim ; dans le plan suivant, situé plus tard et ailleurs, il visait un Arabe. Ce genre de décrochages spatio-temporels sont légion dans Sully ; où il s’agit cette fois de sauver des vies et non plus d’en prendre ; d’épargner « 155 coeurs », et « 155 âmes » (les deux formulations apparaissent). Plutôt que suggérer leur équivalence, dans American Sniper le raccord critiquait l’indifférence totale du héros aux objets de sa ligne de mire : la preuve, dans Sully, l’indifférence totale pour la mort des oies bernaches est à des années-lumière d’être évoquée. Cette fois, ce n’est pas le sujet.
Les impacts d’oiseaux posent pourtant un réel problème aux pilotes de ligne, loin d’être anecdotique, apolitique, ou acinématographique. Les avions étant de plus en plus silencieux et de plus en plus nombreux, le nombre d’impacts d’oiseaux est en augmentation, avec les conséquences que l’on sait pour le trafic comme pour eux. Les réacteurs sont conçus pour ignorer les chocs avec les animaux de deux kilos maximum: moineaux, pigeons, hirondelles… Mais les oies peuvent peser jusqu’à 8kg – sans parler des pélicans de certaines régions.
Pour réduire les risques, les aéroports enlèvent ce qui pourrait attirer l’avifaune : les étangs, les arbres, et même l’herbe, remplacée par des graviers. Pour enlever les oiseaux, il faut d’abord enlever sauterelles et rongeurs – rien dont un Français au courant de la bataille de Notre-Dame-des-Landes n’ait jamais entendu parler.
La solution est parfois de détruire les nids, à la main ou à l’aide de cochons dressés pour manger oeufs et oisillons. En 2013, une pétition s’opposa à l’extermination des cygnes de la région de New York, où 5000 oies bernaches avaient déjà été tuées. Signée par des dizaines de milliers de new-yorkais – le cygne étant mis à égalité avec la Statue de la Liberté dans le rôle du symbole de paix – elle aboutit fin novembre 2016, pile pour la sortie du film d’Eastwood, à l’interdiction du massacre.
Mais peut-être Sully évoque-t-il quand même tout cela. Il faudrait demander à Clint ce que viennent faire ces trois références à la nourriture précédant l’incident. Deux exemplaires d’un magazine titrant « New York Eat » ; Sully s’achetant un sandwich au poisson ; puis le copilote, Skiles, mentionnant la viande dont il compte se délecter une fois arrivé. Des poissons pour Sully, des mammifères pour Skiles : il ne manquait que les oiseaux – dont l’ingestion sera fatale à l’avion. Les Icares modernes sont avant tout des goinfres, finalement.