Le Café en revue Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…
Carnets

Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…

par René Allio

René Allio, sur le tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère...

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Cet article fait partie d’un cycle

Extraits des Carnets René Allio

18 juin 1974

Dans les contes italiens réécrits par Italo Calvino : la fille habillée en garçon.

Le récit d’une histoire qui reprend le déroulement d’une action dans la réalité parce que le héros veut l’écouter jusqu’au bout (C’est Shéhérazade).

Lettre à Klaus Hellwig

Mon cher Klaus,

Voilà un bout de temps que nous n’avons pas eu de vos nouvelles et j’écris pour vous en demander. J’espère que vous allez bien et que nous aurons un jour prochain l’occasion de nous voir à Paris.

Je vous signale en tous les cas que nous avons changé d’adresse. Voici la nouvelle :
28, rue Étienne Marcel
75 002 Paris
Tél. : 236 99 13

Nous nous apprêtons à partir cet après-midi. Juillet dans les Cévennes, là où j’ai tourné Les Camisards, et août en Provence. Je reviendrai avec un scénario sinon terminé du moins assez avancé. Il s’agit du conte populaire dont je vous ai, je crois, parlé Le Bon petit Henri dont je veux tirer un film.

J’ai d’autre part l’accord de Michel Foucault, philosophe et historien français très connu, pour tirer un film d’un livre qu’il a publié cette année intitulé Moi, Pierre Rivière… etc., et qui raconte, à travers documents, témoignages et écrit de l’assassin lui-même, l’histoire d’un étrange crime accompli en milieu paysan en 1830 et qui passionna la France à l’époque. C’est un livre remarquable dont on a beaucoup parlé depuis la parution où Foucault poussait son travail de réflexion et de critique sur l’histoire d’institutions telles que la justice ou la psychiatrie. Il y a matière, là, à un film passionnant qui me permettrait de continuer ce que j’ai commencé, à partir de documents d’histoire, à faire avec Les Camisards.

Ceci n’est pas alternatif de mon projet du Bon petit Henri mais complémentaire, puisque ce dernier se passe aussi en milieu paysan et part, cette fois, non du discours savant des pouvoirs, mais de la tradition orale et populaire, et parle, autrement bien sûr, de mêmes sortes de choses.

Qu’en est-il par ailleurs du projet de Transit. Est-ce parce que les choses sont au point mort que vous ne m’en avez plus parlé ? Ou bien Anna Seghers a-t-elle des réticences ? Si vous jugez qu’il peut être utile que je lui écrive, dites-le moi, je le ferai.

Un signe de vous me ferai très plaisir, en dehors de toutes considérations de travail.

Bien amicalement à vous.
René Allio
[…]

27 juillet 1974 (suite)

Moi, Pierre Rivière…

C’est le moment, dans ce film, de faire au pathétique et au sentiment la place juste que je leur revendiquais ici et que je me reprochais de ne leur avoir pas donnée dans mes autres films.

Émotion dans le texte de Pierre Rivière, pour le père, pour lui, pour ses grands-parents, avec les scènes qu’il faut pour la faire éprouver. Mais rien à propos de la mère, et pour cause. Pourtant c’est bien parce qu’elle souffre quelque part qu’elle est ainsi et qu’elle répond avec son mystère.

C’est le moment de faire au pathétique et au sentiment la place juste que je leur revendiquais ici et que je me reprochais de ne leur avoir pas donnée dans mes autres films.

De la mère, cause de tout, coupable donc en dernier ressort, pas question. Moins il y a de coupables et de fous, dans le film, et plus la causalité est renvoyée vers le social, le culturel et l’idéologique, et donc plus le film a une dimension d’abord politique.

Questions, comme Foucault le met en évidence, de savoir et de pouvoir.

Faire éprouver de la sympathie, de l’amitié, (et de la compassion) pour tous les personnages, ne pas faire de tri en cela, c’est engager le spectateur vers une réflexion sur l’essentiel.

En même temps, c’est aussi faire un film moins intellectuel et froid, évidemment.

22 février 1975

Moi, Pierre Rivière…

Commencé la continuité. Esquisse jusqu’au deuxième interrogatoire de Pierre Rivière non compris. Tout de suite rencontré le vrai problème : la difficulté d’établir l’écriture dont j’ai parlé ici à propos du projet de Transit. C’est que le côté « documentaire » ne peut pas consister en une démarche aussi simplifiante que je l’avais d’abord imaginée. Par exemple, pour les témoignages des paysans, des plans « à la Straub » qui les montreraient face à la caméra, dans un plan fixe, disant leur témoignage avec une surimpression qui donne leur nom, leur âge et leur condition, ne suffisent pas. Certes alors, ils sont « documentaires », mais si la caméra est à la place du juge (c’est-à-dire qu’on ne voit pas celui-ci), le document que nous avons c’est celui que collationne justement le juge. Il ne nous est pas donné à voir non seulement le document que constitue le témoignage mais aussi celui que peut constituer pour notre regard, cent cinquante ans plus tard, la relation entre le juge et le témoin et comment le second tient au premier le discours que celui-ci attend et induit. Donc, il faut le juge aussi dans le plan, et, donc, ce qui dans le film renvoie aux commentaires dans le livre de Foucault et ses disciples, c’est la mise en scène, c’est là que les observations et les considérations développées dans la dernière partie du livre prennent leur force, trouvent à travailler dans le film.

Jeu des témoins : importance de les montrer parlant de Rivière, l’imitant devant le juge, car l’imitant ils révèlent bien la part de fantasmes personnels que toute description d’une « anormalité » met en jeu, mais encore, le faisant pour le juge, ils révèlent bien aussi par ce jeu, pour le représentant du pouvoir, quel rôle celui-ci attend de leur voir jouer et comment leur point de vue sur Rivière est tout entier induit par la présence sur le terrain de la police et de ses représentants.

Dans la représentation du mémoire, fait-on jouer le père jeune par Rivière ?

On voit bien comment toute construction dramatique reposant sur la mise en rapport de morceaux (témoignages, documents officiels, mémoire, articles, etc.) devient très vite une « interprétation ». Du coup on enlève de l’opacité à Rivière, on explique, il n’y a plus de problèmes, plus d’énigme. On se retrouve en plein scientisme brechto-freudien.

Même la chronologie, trop respectée, interprète. Exemple : le rapport Bouchard. À sa place chronologique (pendant que Pierre Rivière écrit, que les témoins témoignent) il explique. Rejeté de la fausse logique temporelle, avec tout un ensemble de commentaires du même type, mais contradictoires, il ne parle plus tant de Rivière que de la médecine.
[…]

Source : René Allio, Carnets I, 1958-1975, Lavérdune, L’Entretemps éditions, 2016.

Claude Hébert sur le tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère...

Claude Hébert sur le tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…