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Venue présenter Nuytten/film en janvier, Caroline Champetier sera de retour au Café le vendredi 12 février pour évoquer son travail sur Les Innocentes, d’Anne Fontaine. A cette occasion, nous avons demandé à quelques jeunes directeurs de la photographie de nous parler de leur travail et de celui de plusieurs de leurs aînés : C. Champetier et Bruno Nuytten ; ainsi que Haskell Wexler et Vilmos Zsigmond, tous deux disparus récemment.
Balthazar Lab est diplômé de la Femis. Il a notamment travaillé avec Cosme Castro et Léa Forest, Jenny Teng, Fanny Sidney et Julien Dara.
Tu es diplômé de la Fémis en Image. Ton désir de cinéma initial portait-il sur ce champ précis ?
Balthazar Lab : J’ai mis du temps à comprendre que j’avais un désir de cinéma. J’avais d’abord un désir formel très fort qui vient d’un environnement familial où l’art plastique était très présent. Au collège, j’ai fait beaucoup de photo argentique et j’étais plus fasciné par le processus chimique de la révélation que par le résultat artistique. J’ai donc acquis dans un premier temps une approche technique de la photographie. Mais en même temps et sans en avoir conscience, je développais une cinéphilie particulière. J’ai vu L’Humanité de Bruno Dumont (1999) et Rosetta des frères Dardenne (1999) à 14 ans, les deux films sur Jeanne d’Arc de Jacques Rivette (Première partie : « Les Batailles » et Deuxième partie : Les Prisons, 1994) à 10 ans et pas mal de Kurosawa à la même époque. Mon père ne me faisait pas voir des films d’enfant mais simplement les films qu’il voulait voir. On s’est quand même fait refouler de la séance de C‘est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Boncel, Benoît Poelvoorde, 1992) car j’étais vraiment trop petit ! Sans le savoir, j’avais déjà un rapport spécial au cinéma. Et puis tout ça a mis beaucoup de temps à se formuler comme une possibilité de vocation professionnelle. C’est seulement après un master d’histoire et des rencontres autour des cinémas d’art et essai de la rue Champollion que je me suis dit que c’était possible, que moi aussi « j‘avais le droit ». Une fois que cette possibilité était formulée, les métiers de la caméra étaient une évidence puisque j’avais déjà une connaissance et une pratique de la photographie.
L’assistanat est essentiel à mes yeux afin d’appréhender toutes les facettes du métier.
Comment s’opère ton insertion dans la vie professionnelle depuis ta sortie de l’école ?
B.L. : J’ai eu la chance de faire de bons stages à l’école, notamment avec Darius Khondji sur Magic in the moonlight (Woody Allen, 2014) et de travailler très rapidement sur un long-métrage comme assistant caméra en sortant de l’école (Voir du Pays, le prochain film des soeurs Coulin). J’ai rapidement pu enchaîner sur d’autres projets et avant la fin de l’année civil j’avais mon statut d’intermittent ce qui, un peu trivialement, représente un premier cap dans l’insertion professionnelle. Depuis, je m’efforce de mener de front une carrière d’assistant et d’opérateur. L’assistanat est essentiel à mes yeux afin d’appréhender toutes les facettes du métier. Je crois beaucoup dans la transmission et dans ce qui se passe sur le plateau. En même temps, j’ai des opportunités qui me permettent de travailler à la direction de la photographie sur d’autres projets. Changer régulièrement de point de vue, passer d’un poste à l’autre et d’une équipe à l’autre est vraiment une chance. Cela permet de garder, je crois, une approche critique sur son travail et ses pratiques. C’est crucial pour moi de pas rester dans une « recette » et de voir qu’il existe plusieurs manières d’arriver à un même résultat… On fait parfois de belles rencontres, de belles découvertes, on remet en cause ce que l’on croit savoir, on affine toujours sa technique. Enfin je garde une activité de « bloc-notes ». Un blog regroupant des idées de cinéma : extracti et un autre d’images : donnt. Ces outils servent parfois à illustrer une idée pour un projet, mais ils servent surtout à nourrir une éthique personnelle de travail. Ces textes et ces images ne sont pas dans la séduction, ils ne s’adressent à personne. Ce sont autant des exercices personnels que des bouteilles jetées à la mer.
Comment se prépare un tournage documentaire par rapport à celui d’une fiction ? Sur le tournage d’une fiction, quel rapport entretiens-tu avec les comédiens ?
B.L. : À la Fémis, on fait un échange avec le conservatoire national d’art dramatique, et un des exercices consiste à intervertir les rôles : les techniciens deviennent acteurs et vice-versa. Ce fut une expérience fondatrice dans mon rapport aux comédiens. Une prise de conscience de l’extraordinaire difficulté de ce métier. Une autre idée que m’a transmis l’école est que même en fiction, entre le « moteur ! » et le « coupez ! », ce que l’on filme est toujours documentaire. Le cinéma de Pialat est un exemple formidable de ça. De ces deux idées vient une conscience aiguë que le cinéma est essentiellement fait par les comédiens. En tant qu’opérateur ou même comme assistant, mon premier devoir est de travailler pour capturer ce que le metteur en scène et les comédiens ont à vivre. Sur ce sujet, il y a des réalisateurs avec lesquels on développe des expériences singulières. Ainsi avec Cosme Castro et Léa Forest (une aventure qui dure depuis trois films, deux courts-métrages et un long en court de post-production), le tournage débute toujours autour d’un scénario d’une ligne. Tout le reste est un travail de plateau, comme on pourrait dire au théâtre. Il se passe quelque chose de singulier dans ce travail car on découvre toujours tous ensemble le film. Cosme et Léa travaillent avec les comédiens et pendant tout ce moment de répétition et d’écriture, j’observe et je sers de point d’appui. Enfin, une fois la séquence mise en place, on affine un découpage, on choisit un horaire de tournage… Mais ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que Cosme place toujours les techniciens dans une position d’acteur. Ce qui rend très vibrant la notion d’improvisation pour toute l’équipe. Le clip Bleu sous-marin de Flavien Berger vient quelque part comme l’aboutissement de ce travail avec Cosme, puisque la caméra tient vraiment la place d’un acteur dans le film.
En travaillant avec Benoit Dervaux (le cadreur des frères Dardenne), j’ai vraiment compris à quel point l’opérateur de la caméra peut aussi être vu comme un acteur. Il y a ce même rapport au physique, à l’instant, à l’espace. Cette comparaison a ses limites, mais je crois que dans une certaine mesure, le metteur en scène peut « diriger » un directeur de la photographie un peu comme il dirige un acteur, ce qui peut être la source d’une émulation qui vous rend bien plus fort dans votre travail.
Peux-tu parler de la relation que tu as au travail, aux images de Caroline Champetier ?
B.L. : Caroline est verbe. Elle a une telle présence dans le cinéma français et à l’école que son nom et son discours ont précédé pour moi le visionnage même d’une image. En découvrant par la suite son travail, j’ai compris sa parole ainsi que sa rigueur et sa sensibilité ; que ce soit dans le placement de la caméra ou la lumière. Elle est aussi, je le réalise maintenant, un modèle car elle a longtemps été assistante auprès de maîtres comme William Lubtchansky. Mais je me suis vraiment attaché à son travail en voyant les premiers films de Beauvois, ainsi que Villa Amalia (Benoît Jacquot, 2008), qu’elle était venue présenter en copie 35 à l’école. Il y a une forme de pureté et de transparence dans son travail.
Dans cette vidéo présentant un échange avec le public à la suite de la projection de Nuytten/Film, Caroline Champetier fait cette déclaration étonnante : « Tout grand opérateur a peur de la lumière. L’ombre, on a toujours envie de s’en rapprocher. Plus on peut aller loin dans la recherche de l’ombre, plus on est heureux. » Qu’en penses-tu ?
B.L. : C’est un très beau contrepoint à l’opérateur « qui éclaire » comme s’il devait faire acte de présence avec son équipe et ses projecteurs. D’autant que les progrès des émulsions et des caméras nous allègent de ces contraintes. Il n’y a plus de lumière « obligée » ou presque. La beauté est parfois simplement dans une direction, une heure, un voile noir qui vient envelopper d’ombre le coté d’un visage. La lumière est plus que jamais une prise de parole pour un chef-opérateur et il s’agit de ne pas trahir le metteur en scène. L’opérateur n’est qu’un traducteur visuel du metteur en scène et il faut être un complice, certains disent un amant, et non le « traducteur-traître » du texte de du Bellay. Je crois que cette recherche de l’ombre est aussi une recherche de la fidélité vis-à-vis de la mise en scène et d’une discrétion au service du film. Une fois qu’on a dit ça, il faut tout suite dire qu’il y a des opérateurs fou de lumière. Je pense particulièrement au travail de Timo Salminen. Chez lui la lumière, le projecteur sont toujours là, en dépit de tout naturalisme, de tout cliché et de toute iconographie préfabriquée. Son travail avec Kaurismaki ou Olivier Babinet ou sur Jauja (Lisandro Alonso, 2014) est dans ce sens remarquable.
Que t’évoquent les noms de Haskell Wexler et Viloms Zsigmond ? Sont-ils présentés comme des figures canoniques à la Fémis ? Crois-tu à une « image canonique » du chef-op’ ?
B.L. : Je crois dans l’anti-canonique ! Je crois que le métier d’opérateur est proche du caméléon. Il s’agira parfois d’être le complice d’une conspiration ourdie par le metteur en scène, tantôt d’être le peintre d’un splendide tableau. Il n’y a pas de contradiction, pas de modèle, pas de « canon » ! Déjà Haskell Wexler et Vilmos Zsigmond étaient en rupture avec le classicisme Hollywoodien. Ils sont des piliers du Nouvel Hollywood et en ce sens ils ont contribué à une nouvelle écriture. Mais ce n’est pas celle de demain. Soyons fidèles à un esprit mais pas à une éthique ni à des pratiques.
Propos recueillis par Cloé Tralci.