Nouvelles lumières : Maxence Lemonnier
– par Le Café des ImagesVilla Amalia, de Benoît Jacquot photographié par Caroline Champetier (2009).
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A l’occasion de la venue de Caroline Champetier, nous avons demandé à quelques jeunes directeurs de la photographie de nous parler de leur travail et de celui de plusieurs de leurs aînés : C. Champetier et Bruno Nuytten, auquel elle a consacré un film qui sera montré ce mardi 19 janvier ; ainsi que Haskell Wexler et Vilmos Zsigmond, tous deux disparus récemment.
Maxence Lemonnier effectue sa dernière année au sein du département « Image » de l’école de cinéma, la Fémis. Dans ce cadre, il travaille comme chef opérateur, assistant image ou étalonneur. Il écrit également un mémoire sur l’« Intérieur Jour » au cinéma.
Qu’est-ce qui t’a amené à l’image ? Pourquoi avoir fait une école, plutôt que de passer par la voie de l’assistanat ?
Maxence Lemonnier : C’est, sans aucun doute, la cinéphilie. J’ai toujours entretenu un rapport d’attirance – répulsion avec les images que je regardais. Attirance pour les contrastes, les teintes qui se répondent, les peaux incarnées mais également pour la place de la caméra, qui soutient le jeu d’un acteur, qui appuie un regard. Répulsion pour une technique – qui me semblait inaccessible pour un néophyte. C’est avec le cinéma de Jia Zhangke et son économie qu’une porte s’est ouverte dans mon esprit. Pour la première fois, je me suis senti proche d’un geste de création. Ce n’était plus la plastique des images qui me séduisait, mais l’idée du chef-opérateur derrière sa caméra, l’idée de la fabrication.
Mon envie de faire des images est passée, dans un premier temps, par l’apprentissage d’une technique « caméra et lumière » à travers des stages et des tournages. Cela m’a tout de suite absorbé, même si me manquait le rapport à un réalisateur, à une envie d’image. J’ai donc choisi de suivre la formation de la Fémis pour avoir une vue globale de la chaine de création, pour pouvoir communiquer et échanger sur l’image. Je voulais apprendre le métier d’assistant-caméra, mais aussi goûter aux plaisirs de la collaboration avec un réalisateur, du partage d’une idée esthétique, de la gestion d’une équipe, d’un plateau, comme chef-opérateur. Ces va-et-vient entre les postes et les différentes périodes de création d’un film, m’ont permis progressivement de comprendre les paramètres humains et techniques qu’il faut maitriser pour photographier un film.
Sur quoi porte le mémoire que tu es en train d’écrire durant cette dernière année à la Fémis ?
M.L. : Ce mémoire porte sur l’intérieur jour et la fenêtre comme frontière potentielle pour le chef-opérateur. Je m’intéresse, premièrement, à la manière dont un chef-opérateur peut incarner dans un intérieur jour, toute la richesse de l’espace extérieur. Cela passe par la reconstitution précise des effets de masse du hors-champ, par la prise en compte de l’évolution de la lumière et de sa complexité, avant qu’elle n’entre à l’intérieur. Cela passe, également, par un travail esthétique qui vise à abolir toute frontière, afin de jouer sur les effets solaires, pour mettre valeur le « sublime » de la nature. L’intérieur se pose comme miroir, mais également comme surface sensible aux variations de l’extérieur. La frontière intérieur-extérieur se dissout, perd son existence. La fenêtre est dématérialisée.
Je m’intéresse également aux intérieurs qui sont, au contraire, opaques. Ils matérialisent une frontière physique et esthétique avec l’extérieur. Cette frontière, marquée à l’image, amène un travail de lumière qui se base essentiellement sur les caractéristiques physiques de la fenêtre (sa taille, sa hauteur, son exposition) et sa matière (sa diffusion, sa teinte). La fenêtre est ici, à la fois, un trou mais, également ce qui va occulter ce trou. C’est une source de matière qui tend à remplacer l’extérieur. Cette superposition de l’extérieur sur la surface plane de la fenêtre amène à questionner la répartition spatiale de la lumière et l’arrivée de l’obscurité. Je m’intéresse dans ce mémoire au travail de E. Lubezki, J. Kaminski, R. Deakins, Y. Cape, S. Lancelin, E. Gautier, P. Lhomme, D. Pope, D. Chizallet…
Que t’inspirent les noms de H. Wexler et V. Zsigmond, disparus récemment – qui ont joué des rôles importants dans la mutation de l’image des films américains, avec le Nouvel Hollywood ?
M.L. : Les images du Nouvel Hollywood m’inspirent par la manière qu’elles ont d’osciller entre démesure et pragmatisme brut. V. Zsigmond est un chef-opérateur passionnant. Il a amené un réel documentaire à Hollywood. C’est une photographie à la fois artisanale et à grand budget, qui apporte un peu de noirceur, des extrêmes, dans le ciel californien. L’image de Délivrance de J. Boorman est surprenante par sa brutalité, par son engagement. Lorsque la caméra suit les corps en tension par exemple. L’ image de Zsigmond participe de la noirceur et de la beauté de Deer Hunter de M. Cimino. Progressivement, les budgets ont grossi et le réalisme s’est déplacé vers une imagerie poétique. Pourtant, à travers ces images travaillées, l’utilisation d’artifices comme la fumée ou les flaires, on reconnaît un engagement d’artisan dans le processus de fabrication, une présence humaine dans l’image. C’est cela que j’aime beaucoup dans Rencontres du 3 ème type de S. Spielberg. On est face à une lumière incarnée, loin de la froideur de certaines grandes productions, où les effets numériques séparent progressivement l’image du spectateur, coupant parfois le lien entre la lumière et l’émotion qu’elle procure.
Le Café des images projette bientôt le film de Caroline Champetier sur Bruno Nuytten. Qu’est-ce qu’évoquent ces deux noms pour toi ?
M.L. : Cela m’évoque une conception du métier de chef-opérateur qui intègre le processus de fabrication dans le travail d’image. Quand je pense aux films de Duras photographiés par B. Nuytten, on sent une justesse des moyens techniques pour soutenir le discours de la réalisatrice. Ce travail d’accompagnement rayonne à l’écran. De même pour le travail de C. Champetier, avec Suwa ou Carax par exemple. Au delà de cet aspect, il y a des images qui me viennent. Je me souviens d’une image couverte pour Le petit lieutenant, avec des directions de lumière peu marquées, qui déroutent le spectateur. On a l’impression d’un monde sous cloche, sans perspective de fuite. L’image de Villa Amalia est également très importante pour moi, avec sa luminosité soutenue qui envahit progressivement l’écran. Cette lumière solaire, douce et blanche, soutient le personnage, joue un rôle important dans la compréhension de ses émotions.
Propos recueillis par Félix Rehm.