Pages arrachées
– par Maud WylerNE PAS CHAUFFER LE MERLE + FAUX-SANG • 2008 Stage avec Youri Pogrebnitchko, 3ème année du Conservatoire Supérieur d'Art Dramatique. Travail sur un texte de Volodine.
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Depuis toujours, Maud Wyler consigne dans des carnets des notes, des remarques, des pensées… Pour le Café en revue, elle en a sélectionné quelques pages, qu’elle a prises en photo et légendées. Afin d’accompagner ces documents, elle a également répondu, par écrit, à quelques questions sur son travail et sa conception de celui-ci. Ces éléments viennent à la suite d’autres (voir les « Cailloux » et les « Nouveaux cailloux pour la route »). Ce sont de nouveaux jalons à l’aventure commencée en compagnie de Maud Wyler en janvier, avec Monika, et poursuivie bientôt avec Léa Seydoux et La Maison dans l’ombre (6 mars), puis avec Nicolas Maury et Poussières dans le vent (20 mars). Avant d’autres cailloux, d’autres jalons, d’autres séances. À suivre.
Comment travaillez-vous ?
Maud Wyler : Il y a deux débuts.
La lecture et la rêverie.
La lecture, parce que je suis interprète. Ça commence donc souvent par un texte à lire, à apprendre. Parfois il y a très peu de choses, je pense aux séries par exemple, dont le scénario est tenu secret jusque tard par la production, ou par la chaîne. A ce moment-là, j’apprends le texte, une scène ou deux. Mes seuls indices pour le travail du personnage seront dans ces quelques dizaines de lignes de dialogue. Autrement dit, pas grand-chose.
Au théatre, pour préparer une audition, je lis la pièce en entier. Oui oui, c’est mieux pour pouvoir travailler. Le théatre c’est moins la loi de la jungle, quelle qu’elle soit. C’est plus immédiatement une histoire de travail, ça simplifie le rapport aux choses, aux autres, à soi.
Parce que si on me choisit, ou pas, pour être l’interprète d’un rôle, je choisis aussi sur quoi et avec qui je vais travailler. Il me faut aussi des éléments pour comprendre le projet. C’est une rencontre.
Vient la rêverie. Ce mot n’est pas exactement le bon mais il évoque ce dont il s’agit. Car outre le travail « à la feuille », de lecture, de compréhension, d’apprivoisement de la langue d’un auteur, qu’il soit contemporain ou mort en scène au XVIe siècle, jeune scénariste, ou écrivain scandinave récemment traduit en français, bref, outre ce travail presque technique, il y a un nouvel espace qui se crée (pardon pour le côté ésotérique), dans le corps, la tête, autour du personnage et de l’histoire. On se met à rêver autour de ce nouvel espace-temps fictif, on se demande comment l’habiter. Travail d’imagination.
Ensuite, la rencontre avec le metteur en scène. Ouh la. Le royaume du tacite. On arrête de penser. L’animalité au travail, cette fois. Remiser ses jugements au placard. (Il y a intérêt à en avoir un immense, et recyclable).
Arriver nu. Devant l’autre nu. C’est une image. Mais c’est l’idéal. Pour voir comment on s’écoute, comment on se comporte. Si on s’est trouvé bien à la fin d’une rencontre, c’est que l’autre y est pour quelque chose, que ce metteur en scène a la capacité de vous rendre meilleur. C’est suffisamment précieux pour être loué. Cette rencontre est aussi grave et légère que la première rencontre avec un autre enfant dans la cour de récré de CM1. Et en même temps, elle est la promesse d’un nouveau domaine de jeu, créé, pensé ensemble, fichu de sens, d’erreurs, de panique, de sensible, c’est-à-dire de fiction.
Je ne parle pas de séduction. C’est exprès. On m’a reprochée de ne pas être dedans. C’est de l’orgueil. Une comédienne qui laisse penser que quelque chose pourra se jouer aussi en coulisses, me paraît plus banale qu’une banane sur un étal de fruits, et j’aime les bananes. Je m’égare, pour dire : je préfère la rencontre qui se fait autour des idées, des propositions, des impressions sensibles; du travail, déjà, comme il aura lieu.
Comme actrice, ressens-tu (allez !) aussi parfois un tel manque, le manque de vraies paroles — sincères, articulées, humbles — sur le travail, dont tu pourrais te nourrir pour le tien ? Une actrice doit-elle aussi lutter contre l’image faite aujourd’hui de ce métier ?
M.W. : Oui. Un des frères Dardenne (Luc, je crois ) disait ce malheur. Un acteur fait un film pour pouvoir en faire un autre. On pourrait d’ailleurs dire la même chose des réalisateurs. On organise sa survie. Le mot est trop fort.
On cherche le rôle qui sera suffisamment performatif pour en obtenir un autre, mieux payé ? Encore plus intéressant ? A l’international ? Pour décrocher un gros contrat pub ? Je dis « on ». Je ne sais pas. Il y a quelque chose de morbide dans cette volonté, à tout prix. Cette recherche du parcours parfait. Sportif. Telle actrice, championne olympique tous terrains, terre et mer, ciel / enfer. Une moisson d’or et de lumière.
Je crois que chacun gère comme il peut, sa peur. Ses peurs. La grande (la mort) et toutes les petites.
Moi. Je suis nulle en projection. C’est valable aussi dans ma vie privée. Je suis toujours collée au présent. C’est un deal passé avec mes cinq sens. Ils sont très exigeants.
Alors ce qui m’amuse, c’est là, tout de suite, pendant la prise, ou devant les spectateurs. Comment on va cheminer, un peu, ensemble. Avec cette histoire, avec cette lumière, ces mots.
La plupart du temps, s’il est sincère, un acteur pensera que ce qu’il fait, est raté, qu’il est à mille lieues de ce qu’il aimerait faire. Dans les meilleurs moments, on est encore loin du compte.
Artiste, c’est accepter d’être tout le temps en échec. Je ne sais plus qui disait ca. Je pense que les meilleurs, potentiels, acteurs, ont dû vite arrêter d’essayer. Ceux que vous voyez, doivent être ceux qui sont d’accord d’être nuls, le plus souvent. A partir de là, on peut travailler.
C’est mon sentiment.
Concernant le manque de paroles sincères, oui il existe peut-être, s’il s’agit de paroles publiques, disons médiatiques. Je me souviens d’un film que j’avais fait, pour lequel la production nous avait donné deux pages de phrases à dire en promo. Mais on est en France et ça reste relativement rare. Ou alors c’est la responsabilité des magazines de chanter les louanges des artistes qu’ils interviewent. À la moulinette thé vert détox. Mais là, c’est le jeu, à nous de faire le tri, la part des choses, en tant que lecteur.
Franchement, j’espère que les acteurs de ma génération, ceux qui n’ont pas tout de suite été biberonnés au succès, j’espère que ceux-là ont une parole sincère. Je trouve que oui.
S’ils ont des paroles articulées ? Bon, c’est un autre débat. Je ne voudrais pas faire de jugement de valeur. C’est souvent une question de curiosité… Parfois, bien sûr, elle fait étonnamment défaut.
Est-ce que votre (ta) manière de travailler a évolué avec les années ?
M.W. : Évolué ? Pas tant que ça. Au moment où on se met à jouer, ça part toujours plus ou moins de cette même concentration, de cette même spontanéité. Mais j’espère avoir progressé sur un point : la volonté. Au début, on veut faire ce métier, on est passionné par ça, on le restera d’ailleurs j’imagine / espère, donc la volonté se lit partout, dans les gestes, les postures. Il faut calmer ça, sinon le spectateur ne verra rien d’autre que l’acteur qui voulait être plus gros que le bœuf, et c’est encore une autre histoire…
En quoi la rencontre avec le metteur en scène marque-t-elle l’entrée dans » le royaume du tacite » ? Quel est ce tacite qui ne doit pas cesser de l’être ?
M.W. : Ce que je veux dire par là, c’est que de tous les mots que l’on prononcera, il ne restera pas grand chose. Les impressions comptent. Surtout lorsqu’on va travailler ensemble, autour des émotions, donc de l’intime. Peut-on s’entendre, au sens propre ? Suffisamment pour se faire confiance ? Pour se perdre ensemble ? Ce qui doit être tacite, ce qui ne doit pas l’être… Je ne sais jamais en tout cas, pourquoi on me choisit, ou pas. Tant mieux. J’imagine que souvent, c’est quand même à cause de la tête qu’on a, et ça dans les deux cas. J’ai compris que j’étais rousse, et donc pas brune, ni blonde, quand j’ai passé mes premières auditions. Avant, je ne me posais pas la question. Quelle couleur ? Quelle image, je renvoie ? Je ne veux pas tout savoir. Que celui qui m’a racontée pourquoi les sensations de déjà vu existent, ou pourquoi les étoiles filantes filent, se taise à jamais.
Propos recueillis par Emmanuel Burdeau.
[1]Voir les « Cailloux » et les « Nouveaux cailloux pour la route » publiés par Maud Wyler.