Le Café en revue Pierre Salvadori : Cinquante réflexions sur la comédie
En salles

Pierre Salvadori : Cinquante réflexions sur la comédie

par Le Café des Images

Voir les 3 photos

Pierre Salvadori était au Café en juin, pour présenter 5 ans de réflexion (The Five Year Engagement), de Nicholas Stoller. La soirée venait à la suite de la programmation consacrée à la Nouvelle Comédie Américaine du Centre Pompidou, et d’une première rencontre parisienne en mai, entre le cinéaste et Emmanuel Burdeau. Salvadori parle de comédie avec une intelligence rare : l’improvisation, le rythme et les relâchements, la grâce de Jason Segel, l’évolution du genre, l’amour de Lubitsch… Il lui arrive alors souvent de laisser ses propres films dans l’ombre — Les ApprentisAprès vousDans la cour,… —, bien qu’en vérité ce soit toujours d’eux, et de leur position unique dans le champ de la comédie française, qu’il est aussi question. 


Emmanuel Burdeau : L’univers de la comédie américaine contemporaine s’apparente à une galaxie. Il suffit de citer le titre d’un film, pour commencer à tirer comme une pelote le nom de gens ayant travaillé ensemble sur divers projets. 5 ans de réflexion a ainsi été produit par Judd Apatow. Au début de sa carrière, Nicholas Stoller et lui ont d’ailleurs collaboré à de nombreuses reprises. Ce phénomène est aussi frappant au niveau du casting.

Pierre Salvadori : Tout est beaucoup plus cloisonné en France. Il y a des familles, mais pas de porosité. Les gens ne se prêtent pas leurs comédiens, leurs auteurs. Cette ouverture démocratique était en revanche très présente dans la comédie italienne. Mario Monicelli, que j’ai eu la chance de rencontrer lors d’un festival à Montpellier, me disait qu’en période d’écriture, il lui arrivait de retrouver Dino Risi ou Federico Fellini pour partager ses difficultés. Il ajoutait peut-être un peu de romantisme à ce souvenir énoncé sur le ton de la confidence, mais la porosité était cependant bien réelle.

E.B. : C’est une des réussites les plus vives de l’œuvre d’Apatow : avoir su s’entourer de talents polyvalents, d’acteurs qui sont aussi scénaristes et de scénaristes qui peuvent passer derrière la caméra. Comment expliquer l’inexistence de cette modalité de travail en France ?

P.S. : Parce que l’auteur est roi, j’imagine. Encore que cela est à nuancer. Nous sommes maintenant plus détendus sur cette question. Avec de jeunes cinéastes, à l’image de Thomas Cailley, qui a réalisé Les Combattants, il est possible de parler « métier » ou technique. On quitte le champ du sacré qu’induit le statut d’ « auteur » pour s’enquérir très concrètement de ce que fait l’autre, avec une grande curiosité. Les Américains ont un rapport désacralisé à la pratique. Sur un tournage, la jubilation et le plaisir gouvernent.

E.B. : Dans 5 ans de réflexion, perçoit-on concrètement cette approche du travail ?

P.S. : Une grande curiosité pour les compétences de chacun me semble perceptible. Le cinéaste laisse de la place aux acteurs. Le pouvoir n’est pas centralisé et intolérant, cela se ressent à chaque instant. Pour ma part, j’ai commencé à faire des films en me disant que j’étais obligé d’écrire et de réaliser. Dans cette perspective, on est moins curieux de ce que peuvent proposer les acteurs, lesquels se reposent alors sur vous. J’ai eu un choc en visionnant certains bonus du DVD de 40 ans toujours puceau. Pour chacune des prises, Jonah Hill improvise un dialogue différent. C’est incroyable. Le réalisateur et l’auteur s’en remettent entièrement à l’acteur et à son talent.

E.B. : Cette pratique ne vous est-elle pas familière ?

P.S. : Pas du tout. Je travaille énormément mes dialogues. Sur le tournage de mon premier film, Cible émouvante, Jean Rochefort me faisait tout de même des propositions. J’ai réussi à laisser libre cours à l’ivresse d’une parole, à accorder des digressions. C’était comme une brèche dans ma mécanique. Un acteur aussi inspiré que lui pouvait y prendre place. Mais il m’a fallu du temps pour comprendre que l’enjeu de la précision était d’accroître la liberté. Guillaume Depardieu par contre n’avait aucun sens de l’improvisation : je le laissais détruire mon scénario.

Cible émouvante (Pierre Salvadori, 1993).

Jean Rochefort et Guillaume Depardieu, dans Cible émouvante (Pierre Salvadori, 1993).

E.B. : Sa personnalité et ses rôles nous feraient pourtant penser qu’il était très bon en improvisation.

P.S. : Je laissais entrer son côté incontrôlable. Il déstabilisait les passages trop écrits. Et ce qu’il apportait s’inscrivait dans le registre de l’émotion, de la fragilité, de la maladresse. Chez les acteurs américains de comédie, on sent au contraire une verve solide, pleine d’assurance. Bon nombre ont pratiqué l’exercice du stand-up. Aussi, face à une dramaturgie cadencée, ils décèlent des interstices et proposent pléthore d’interventions cohérentes.

E.B. : Savez-vous distinguer spontanément les scènes improvisées ?

P.S. : Je crois. Prenons par exemple la scène où Violet, jouée par Emily Blunt, annonce à son petit ami Tom, incarné par Jason Segel, qu’elle est engagée pour un poste de professeur à l’Université de Detroit. Segel lui demande une nuit de folie. Elle se met alors à faire du mime. Je sens de l’improvisation dans le champ-contrechamp. A mon avis, il y a deux caméras et il lui dit : « ça, c’est du mime » et elle commence alors à improviser. Il aime cette actrice, il lui fait confiance. Segel a lui-même écrit le scénario, il sait donc où il met les pieds. Les scènes avec Kevin Hart ou Randall Park comportent aussi à mon avis beaucoup d’improvisation. Ce sont plus que des interprètes : ce sont des acteurs qui saisissent le moment du tournage pour écrire leur rôle.

E.B. : Dans quelle mesure un dispositif à plusieurs caméras change-t-il la donne ?

P.S. : On croit gagner du temps en disposant de deux, voire trois caméras sur un plateau. En réalité, cela peut être source de difficultés. Lorsque je tourne un champ-contrechamp avec deux caméras, je vois les deux acteurs sur deux moniteurs différents et cela me déconcentre. Je suis incapable dans ces conditions de proposer de nouvelles idées aux comédiens. Avec des acteurs créatifs, je peux cependant me permettre ce dispositif à deux caméras. En leur laissant libre cours, je sais que je vais pouvoir me servir de leur inventivité au moment du montage. Dans un film d’auteur rigoureux, on se laisse de la place pour ce phénomène.

E.B. : On pourrait penser que l’improvisation a un impact sur la dramaturgie. Or, le récit ne progresse que peu dans ce film. Le titre, 5 ans de réflexion, ne fait pas de fausses promesses : il s’agit d’un mariage qui n’aura de cesse d’être repoussé. Aucune nécessité narrative forte ne gouverne la dramaturgie. Cela se retrouve dans les réalisations de Judd Apatow, qui se caractérisent par leur longue durée. D’ailleurs, ce n’est pas sans poser problème. Funny People durait initialement 2h20. On lui a conseillé de couper pour arriver à 2h10. Apatow ne comprenait pas : « Si les gens se déplacent pour voir mon film », disait-il, « quitte à affronter les embouteillages, pourquoi ne pourraient-ils pas rester dix minutes de plus ? » Pour une comédie, une telle durée a longtemps été suspecte.

P.S. : On croirait entendre les propos d’un auteur radical européen des années 1960 qui va égorger son producteur. Cela prouve que ces comédies populaires sont bel et bien des films d’auteur. C’est pour cela qu’on parle d’une révolution. En France, les critères sont très normatifs. Pour une comédie, il faut un personnage antipathique, et que le film dure 1h30… Or, 5 ans de réflexion nous offre le sentiment que nous accompagnons les personnages. Le film parle du temps qui passe, du temps passé ensemble, à travers le concubinage, l’ennui, la lassitude, les projets toujours repoussés, l’utopie… La manière dont Stoller laisse entrer le temps m’intéresse beaucoup, moi qui essaye toujours de compresser, d’« ellipser ». Stoller présente une chronique et y intègre une représentation de l’ennui. Filmer l’ennui sans être ennuyeux : voilà une question que je me posais lors du tournage des Apprentis. Nicholas Stoller la transcende en proposant de l’aborder à travers le prisme de la comédie romantique. Cette manière de faire coexister le burlesque et l’outrancier dans la chronique est une des choses qui me fascinent dans la nouvelle comédie américaine. Je me sens terriblement en retard face au résultat de ce courage : un film de plus de deux heures qui ose aborder l’ennui, qui digresse, montre une fausse course-poursuite avec deux imbéciles qui se courent après… Le film aborde des sujets que je n’oserais pas évoquer autrement qu’en filigrane. Le mot « démocratique » me revient souvent à l’esprit.

Filmer l’ennui sans être ennuyeux : voilà une question que je me posais lors du tournage des Apprentis.

E.B. : Ce n’est pas très « lubitschien ».

P.S. : Pas du tout. Judd Apatow est beaucoup plus un enfant de Blake Edwards que de Lubitsch. Edwards parle dans ses chroniques de personnages alcoolisés, de conjugalité, comme dans l’excellent Skin Deep (1989).

E.B. : Skin Deep est surtout connu pour la scène du préservatif fluorescent.

P.S. : Je peux vous la raconter avec plaisir. Le film raconte l’histoire – un peu autobiographique – d’un auteur, alcoolique, qui passe son temps à tromper sa femme bien qu’il l’adore. Le récit est complètement digressif, et ponctué de burlesque voire de cartoon. Dans la séquence en question, une femme vient de se disputer avec son petit ami, une sorte de rocker. Le personnage principal la rencontre, et la drague. Alors qu’ils s’apprêtent à coucher ensemble, elle lui offre un préservatif fluorescent. Quand la lumière s’éteint, on ne voit plus que cette capote. A ce moment-là, le copain de la fille revient, et l’auteur doit se cacher dans un placard. On est véritablement dans un mélange de Tex Avery et de vaudeville. Je vous passe quelques détails, mais à la fin les deux capotes se retrouvent face à face et se poursuivent. Edwards a ainsi réussi à intégrer de façon cohérente et acceptable un peu de dessin animé dans un film. Et, à la scène suivante, on annonce au personnage principal le suicide de son agent. Ce mélange de gravité et de légèreté, on le retrouve chez Apatow dans Funny People, avec le personnage de comique atteint d’un cancer.

E.B. : On dit souvent que Lubitsch était un vrai metteur en scène, au sens où il faisait beaucoup d’ellipses. « Dans le gruyère lubitschien, même les trous sont géniaux », disait Truffaut. Il avait un sens de l’économie narrative et visuelle. A contrario, un film comme 5 ans de réflexion est souvent considéré comme intéressant, drôle, peut-être neuf par certains aspects, mais cinématographiquement pauvre. On comprend pourtant que, chez Nicholas Stoller ou Aptaow, dont les films ont vraiment pour objet la vie quotidienne, l’ordinaire et l’ennui, le travail de la mise en scène se situe à un niveau différent de Lubitsch. De ce point de vue, le cinéma de Blake Edwards fonctionne comme une charnière. Il fait coexister le burlesque et la chronique d’une vie ennuyeuse.

P.S. : Il n’y a que dans Le Ciel peut attendre (1943) que Lubitsch est proche de cette veine comique. Le film suit un couple sur 20 ans, avec cette petite différence que le personnage arrive en enfer et fait un bilan de son existence. La conjugalité et l’ennui en sont les sujets, même si Lubitsch garde le souci de l’ellipse. Pour revenir à 5 ans de réflexion, il faut dire à quel point la construction du récit est intéressante. Au début, Tom et Violet sont en voiture. Il est très mal à l’aise car il doit faire sa demande en mariage. Voyant qu’il n’a pas l’air bien, elle lui demande ce qui se passe. Il lui dévoile alors la surprise qu’il avait organisée pour elle. Pourtant, quand le couple entre dans le restaurant où cette surprise devait avoir lieu, Tom et Violet demandent à ce que tout le monde joue son rôle comme prévu. L’intérêt cinématographique, évidemment, est que le spectateur se trouve désormais intégré dans cette mise en scène. C’est assez proche en cela du suspense hitchcockien : on sait qu’il y a une bombe sous la table, et tout par conséquent prend davantage de relief, d’intensité. N’importe quelle comédie romantique hollywoodienne aurait joué sur l’effet de surprise. Stoller au contraire, en déshabillant ce principe de surprise au profit du suspense, nous fait assister à cette scène avec deux fois plus de plaisir. Pour moi, c’est vraiment une ode à la fiction et à l’écriture.

Cela m’évoque une autre séquence incroyable, dans Comment savoir, de James L. Brooks (2010). Une femme vient d’accoucher. Son mari est absent, elle est simplement accompagnée d’un couple d’amis joués par Reese Witherspoon et Paul Rudd. Soudain, l’époux débarque et dit à Rudd : « Filmez, j’ai quelque chose à dire à ma femme ! » Elle est sur le lit avec le bébé et lui s’agenouille pour lui faire une déclaration magnifique. A la fin, le mari se tourne vers Rudd et lui demande s’il a bien enregistré. Or, il a été tellement ému qu’il a oublié d’enclencher la caméra ! Que fait alors James L. Brooks ? Une scène magnifique, qui montre la force de la fiction et de la mise en scène. Reese Witherspoon reprend les choses en mains : « C’est pas grave, on va la refaire ! Prends la caméra, on va recommencer. Tu étais dans cette position… » Le mari s’agenouille et essaie de se souvenir de ce qu’il a dit. Witherspoon l’aide, le corrige. « Non, tu as dit ça comme ça. » Et la scène rejouée s’avère encore plus belle. Une fois que l’on a extrait du réel sa substantifique moelle, il vaut encore plus la peine d’être vécu.

Dans le film que j’écris en ce moment, un personnage sort de prison après huit ans d’enfermement. Il sonne à la porte de chez lui ; sa femme qui était en train de préparer la maison pour son retour va ouvrir. Elle est est surprise de le voir, et s’étonne qu’il ne l’a pas prévenue. « Je ne me représentais pas nos retrouvailles comme ça, la surprise prend le pas sur l’émotion », lui dit-elle. Elle lui demande alors s’il ne peut pas rejouer son arrivée. « Sors, retourne dans l’entrée et reviens frapper à la porte. » Elle reprend son ménage et se prépare à être émue. Le moment de leurs retrouvailles est alors encore plus beau. Cette entrée en matière représente une façon de mettre en place le langage du film et de dire mon amour de la fiction. Je reviendrai au Café des Images pour montrer ce film.

Emily Blunt et Jason Segel, dans 5 ans de réflexion.

La rencontre d’Emily Blunt et de Jason Segel, dans 5 ans de réflexion.

E.B. : Dans 5 ans de réflexion, les images de la rencontre entre Tom et Violet revêtent aussi un statut particulier, puisqu’elles sont présentées en flash-back lors de la demande initiale, et qu’elles reviendront à travers tout le film.

P.S. : Elles se parent d’une dimension poétique. Les personnages se racontent constamment leur histoire, la genèse de leur couple, à la manière dont on raconte à ses enfants comment on a rencontré leur maman ou leur papa. J’ai essayé de le faire dans mon sixième long-métrage, Après vous (2003). Les amoureux vivent quelque chose d’interdit. Ils s’en font le récit le lendemain, ce qui en triple l’intensité. Cela m’intéresse de raconter deux fois la même scène dans un film : le moment vécu et le moment raconté. C’est un motif qui revient très souvent.

Spectateur : Votre travail s’inscrit dans la lignée de Lubitsch ou de Leo McCarey. Il comporte une précision qui m’a toujours frappée.

P.S. : Je regarde leurs films avec envie, et une certaine nostalgie. Un réalisateur devient vite prisonnier de lui-même. Je voudrais parfois arrêter de faire des comédies. Et parfois, je me dis que ce genre possède une grandeur à laquelle je ne parviens pas à échapper. Il fut un temps où je souffrais de faire des comédies. Aujourd’hui, c’est un genre complexe, respectable et glorieux. Mon tout premier choc esthétique fut Lubitsch. J’ai soudain compris ce qu’était un réalisateur. Quand j’ai vu Le Ciel peut attendre, j’étais un garçon timide qui ne savait pas exprimer ce qu’il aimait en art. Toute ma parole s’est construite à partir de ce film. J’ai réalisé mes films en pensant à lui, avec le désir de tendre vers cet idéal de beauté, cette rigueur, cet impératif de transmettre, à travers les personnages, une jouissance au spectateur. Les Apprentis est une chronique où surgit du poétique, du burlesque. Ce film comporte des dialogues très crus. Une amie m’a dit qu’elle trouvait cela merveilleux car le film lui donnait accès à des conversations privées entre hommes. Qu’est-ce qu’une une amitié masculine ? Je fais aussi le pont avec certaines comédies anglaises très politiques des années 1980 comme Whitnail and I (Bruce Robinson, 1987), ou Reefer and the Model (Joe Comerford, 1988). J’aime beaucoup cette manière à la fois triviale, crue et quotidienne de parler d’amour et d’amitié. Dans la cour (2014) raconte l’histoire d’un musicien toxico qui veut tout abandonner et se lie d’amitié avec une femme un peu folle. Je viens doucement à l’idée de pouvoir aborder tous les sujets. Mais peut-être qu’en France, certains sont trop sacralisés.

Grâce à Lubitsch, j’ai soudain compris ce qu’était un réalisateur.

Spectateur : Dans 5 ans de réflexion, l’amour ne peut se concrétiser que dans le mariage. Est-ce le signe du conservatisme de ce cinéma ? Cela révèle-t-il un romantisme, une nostalgie ?

P.S. : J’y ai beaucoup réfléchi, et je pense qu’il faut simplement y voir un point de dramaturgie. Voici le nœud de la question qui se pose fondamentalement, et ce dès le titre : ce couple parviendra-t-il à s’engager ? Aux États-Unis, le mariage est beaucoup plus important qu’en France. Pour nous, Européens, cet enjeu est presque exotique. Mais il ne s’agit là que d’un enjeu dramatique posé dès le début, qu’il faut accepter pour mieux l’oublier.

E.B. : La question du mariage est délicate. Aux États-Unis, on place une grande valeur dans le mariage en tant qu’institution. Par ailleurs, il y a un rapport à d’autres institutions beaucoup plus impertinent qu’en France, comme l’Université par exemple. On oscille perpétuellement entre une irrévérence extrême et un amour du mariage. C’est un paradoxe qui m’a toujours frappé.

P.S. : Je considère ce mariage comme un happy end. Ce dont il s’agit, au fond, c’est du couple, de l’alliance, de l’enjeu de la compréhension mutuelle. Dans une histoire d’amour française, si les personnages ne se marient pas à la fin, ils s’embrassent – cela revient au même.

E.B. : Nous n’avons presque rien dit de Jason Segel.

P.S. : Je l’aime énormément. Je l’ai découvert dans Sans Sarah rien ne va. De la douceur, de la bonté émanent de ce personnage. Il gagne le spectateur en insufflant quelque chose de respectable et de beau, qui a à voir avec la gentillesse. C’est un héros, pour moi. Il y a quelque chose de l’ordre de la persévérance dans sa bonté. Elle ne semble pas forcée. Il me fait penser à James Stewart. Ou à Louis CK, de la série Louie, dans cette bonté rattrapée par un soupçon de folie, de libido, de cruauté, d’alcoolisme… Jason Segel est peut-être plus angélique, mais Louis CK est un personnage extrêmement civilisé. Il incarne la courtoisie, la politesse, la conversation, et entre en conflit avec les personnages qui représentent autre chose.

Sans Sarah rien ne va / En cloque, mode d'emploi.

Jason Segel nu, dans Sans Sarah rien ne va (Nicholas Stoller, 2008) et En cloque, mode d’emploi (Judd Apatow, 2007).

E.B. : Je l’aime beaucoup aussi, je le trouve même exceptionnel. J’ai beaucoup d’affection pour How I met your mother. On y retrouve une foi en la possibilité du couple.

P.S. : Elle est également à l’œuvre dans Sans Sarah rien ne va. Son personnage apparaît souvent comme une victime, mais il s’obstine et finit par accéder à quelque chose. Jason Segel est un auteur. Il faut, pour cela, avoir une grande conscience de soi. Les films de Valeria Bruni-Tedeschi, me fascinent : comment parvient-elle à être si consciente de sa propre folie et à en tirer des récits si ordonnés ? C’est tout à fait différent pour Jason Segel, qui se connaît, qui a appris à s’accepter, avec ses limites. Il connaît son identité et travaille dessus. C’est l’apanage des plus grands auteurs ou des plus grands comiques américains : connaître « sa petite personne », « son clown », son être absolu.

E.B. : Comme Louis CK, il ne fait pas partie de ceux que les gens admirent le plus facilement. Il est à part dans le paysage de la nouvelle comédie américaine. Seth Rogen, Will Ferrell ou Ben Stiller interprètent souvent des personnages arrogants, agressifs, bêtes… Le seul qui n’a pas une grande carrière dans la comédie, c’est Michael Cera, qui jouait dans Supergrave. C’est un adolescent ; Jason Segel est plus âgé. Mais il a vraiment une place à part.

P.S. : Je sais que Seth Rogen a du talent mais je suis plus touché par Jason Segel, Steve Carrell ou Will Ferrell. Tous ces comédiens sont profondément humains. Ils possèdent quelque chose de semblable aux grands acteurs de la comédie italienne, comme Alberto Sordi. Ils doivent très bien se connaître et ont un grand sens du pathétique. Le résultat est terriblement drôle.