Si les pieuvres pouvaient écrire
– par Camille BrunelPremier contact (Denis Villeneuve, 2016).
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Premier Contact, de Denis Villeneuve (2016) – 118′
Aux dernières nouvelles, les singes pouvaient vraiment parler. Une étude du Princeton Neuroscience Institute, tombée début décembre 2016 dans un magazine appelé Science Advances, affirmait que les macaques ont tout l’outillage physiologique qu’il faut pour se mettre à bavarder – excepté l’inénarrable cerveau humain, puits sans fond de la pensée conceptuelle qui fait imaginer, entre autres excroissances charmantes de son activité, des histoires d’extraterrestres calligraphes, j’ai nommé : Premier Contact.
Faute de pouvoir expliquer clairement ce qui fait qu’un animal disserte et l’autre non, les plus bornés continueront d’hésiter : soit c’est le cerveau, soit c’est le larynx, mais en tout cas, ça coince quelque part. Les autres s’intéresseront à Premier Contact. L’alternative proposée est simple : chaque espèce extra-humaine, terrestre ou extra-terrestre, possède un mode de communication propre à son organisme et à la perception du temps et de l’espace qui en résulte. Inutile, dès lors, de chercher à aligner pour les comparer des choses qui ne sont pas parallèles.
Premier Contact raconte l’histoire d’une linguiste, Louise Banks, convoquée par l’état major américain pour décrypter le langage d’extra-terrestres fraîchement débarqués sur Terre. Leurs vaisseaux sont entièrement noirs ; dans les plans larges, ils percent un trou noir dans la fabrique du réel, ovale d’incompréhension absolue et angoissante.
Pour approcher leur langage, la linguiste doit se défaire de ses réflexes anthropocentriques, décentrement représenté deux fois : d’abord lorsqu’en traversant un long sas, elle quitte la gravité terrestre pour obéir à celle du vaisseau ; ensuite lorsqu’une caméra aérienne pivote lentement autour de l’ovale, et révèle sa forme lenticulaire de symbole optique. La boîte à langage est un œil géant : comprendre, s’exprimer, échanger, tout ça, c’est regarder et regarder autrement.
La boîte à langage est un œil géant : comprendre, s’exprimer, échanger, tout ça, c’est regarder et regarder autrement.
Le docteur Banks doit ensuite quitter sa combinaison : se présenter sous forme d’animal, sans aucun masque de technologie. Car les extra-terrestres sont, eux aussi, éminemment animaux : capables, comme les pieuvres, de cracher de l’encre, on n’en verra que sept tentacules géants ; dès lors que la caméra se rapproche et révèle la texture de leur peau et la largeur de leur appendices, on pense aux pachydermes. Premier Contact envisage le contact avec des espèces extra-terrestres sous l’angle de l’éthologie plutôt que du merveilleux ou de l’apocalyptique. Il faut comprendre des comportements, chercher où est le langage. On ne fait jamais que rêver d’animaux venus de l’espace.
Un oiseau en cage assiste également aux négociations inter-espèces. On peut imaginer que les ambassadeurs cherchent à apporter une preuve de la diversité de la vie terrestre, mais on ne sait jamais : le langage des extra-terrestres pourrait être plus proche de celui des oiseaux que de celui des humains. Les sons très graves produits par les géants s’avèrent néanmoins plus proches des infrasons de créatures immenses comme les girafes ou les éléphants – on a longtemps cru les premières muettes avant de comprendre qu’on ne pouvait tout simplement pas les entendre ; on a découvert récemment que les seconds écoutaient aussi le monde avec leur pieds, écoutant les sons qui vibrent dans le sol.
Pour être exact cependant, les sons de ces extra-terrestres évoquent autant ceux de girafes ou d’éléphants que de créatures strictement cinématographiques. Lorsqu’ils apparaissent, ils poussent le fameux barrissement sur deux notes des tripodes de La Guerre des Mondes de Spielberg – cri d’avertissement mécanique de quelque chimère aveugle. Puis, peu à peu, leurs sons s’animalisent, et deviennent les sourds raclements saccadés des beaux monstres ailés et amoureux du Godzilla de Gareth Edwards, sorti en 2014. Premier Contact fantasme alors l’animalisation de ses êtres imaginaires à un degré supérieur, et fait d’eux ces pieuvres capables d’utiliser leur encre pour écrire, comme si l’on tenait à ce que les macaques utilisent leur larynx pour parler anglais.
Or cela n’est ici qu’une option parmi d’autres. Comme le rappelle Banks au début, en évoquant le Moyen Âge portugais à ses étudiants distraits par l’invasion, le langage peut parfois être considéré comme un art – suggérant par là que ce n’est ni systématique, ni nécessaire. Celui des animaux de Premier Contact s’avère artiste et même un peu magique, mais le présupposé reste précieux : artiste ou non, le langage ne saurait être le propre de qui que ce soit ; et les vivisecteurs de Princeton perdent leur temps.