Carnets

Un homme pour l’homme

par Camille Brunel

Rester vertical (Alain Guiraudie, 2016).

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Rester vertical, d’Alain Guiraudie (2016) – 98′


L’ultime séquence de Rester vertical, si elle confirme ce qu’on avait traduit du titre depuis le début, y ajoute une nuance inattendue. Léo, noble héros comme l’indique l’animal de son prénom, rencontre enfin celui qu’il redoutait autant qu’il le désirait : le loup. Battant prudemment en retraite, il énonce le titre en guise de méthode de survie. Mais rester vertical, à ce moment-là, n’est plus seulement rester courageux, ou dignement érigé, comme les bâtons de bergers et les pénis : c’est rester bipède, par opposition au loup, qui retrouve par là son éternelle aura négative.

Résultat ? Pour Chro, les loups sont les « émissaires » d’un réel « normé et sans désir« . Pour Le Monde, ils désignent symboliquement « la ligne obscure de toutes les forces qui menacent le vivant » et pour les Inrocks, les contingences financières (« les loups dévorent les moutons, les finances bouffent ceux qui ont besoin de souffler« ). Pour Télérama encore, les loups forment une « métaphore lumineuse de bien des terreurs actuelles » (le loup en djihadiste des pâturages, il fallait y penser). Pauvres bêtes.

Face à l’homme-lion, le loup a rarement le beau rôle – on ne se remet pas facilement de 2000 ans d’anthropomorphisme. Guiraudie est cependant plus fin qu’il en a l’air. Dans l’univers homo-érotique de ses films, la quadrupédie ne saurait être entièrement négative : les personnages de L’Inconnu du lac passent notamment d’excellents moments à quatre pattes comme à l’horizontale. L’animal du lac, silure énorme, poisson phallique par excellence, était déjà à la fois redouté et désiré : pourquoi le loup ne serait-il qu’un symbole univoque ?

Les loups de Rester vertical, en dépit de leur horizontalité, sont eux aussi des résistants – car eux aussi sont des parias.

La scène finale va plus loin qu’une confrontation avec l’ennemi. La jeune bergère du début, qui se plaçait dans un antagonisme assumé, un fusil à la main (« on n’a pas envie de nourrir le loup !« ), est précisément celle qui, par la suite, se montre cruelle envers Léo, refusant finalement de nourrir son bébé. Guiraudie lui-même, dans le dossier de presse, n’a pas l’air très catégorique non plus : « Je suis plutôt du côté des éleveurs, mais de ce point de vue, il ne faut plus de loup. Si l’on va plus loin, cela signifie plus de loups du tout […] J’étais tiraillé par ces questions. »

A quel point antagoniser l’animal ? A quel point donner raison aux critiques qui n’y voient que l’adversaire par excellence ? A vraiment regarder l’individu de la scène finale, on trouvera qu’il n’a rien d’un prédateur : sur le promontoire minéral où l’a placé le dresseur, il trépigne face aux humains qui jouent. Veut-il jouer à son tour ? Pourquoi ne tient-il pas en place ? Quant aux autres loups, qui cernent soudain les personnages, ils n’ont pas l’air une seconde d’être en train de chasser. Il aurait pourtant été facile, pour le réalisateur, de demander à ce qu’un animal dressé montre les crocs, de casser l’impression de bonhomie de la meute par un insert bien placé.

Ici toutefois, le loup regarde Léo de façon assez inoffensive, si bien qu’on est moins dans Le Petit Chaperon Rouge qu’à la fin de Fantastic Mister Fox, de Wes Anderson : le héros, renard anthropomorphisé, y croise un loup noir resté sauvage, qui dresse le poing en signe de résistance. Emu, le renard répond par le même geste. Les loups de Rester vertical, en dépit de leur horizontalité, sont eux aussi des résistants – car eux aussi sont des parias. Leur quadrupédie ne leur épargne pas la nécessité de rester verticaux : si ce loup final ne symbolisait que l’adversité, pourquoi Léo tenterait-il de le toucher en soufflant : « j’y suis presque » ?

Lors de son apparition diurne, le loup perd son voile mythologique. Il n’est plus un monstre, plutôt un idéal. Le rapprochement, réel et symbolique, des humains et des bêtes, permet ainsi une forme d’exorcisme de l’échec des relations humaines : n’ayant pu garder son bébé faute d’argent, Léo affirme que c’est au moins son boulot « de garder les brebis », jusqu’à la scène finale qui le voit rejouer son attaque par une meute de SDF sous un pont de Brest, avec cette fois un agneau dans les bras à la place du bébé.

S’il est un animal négatif, dans Rester vertical, c’est plutôt la mouche. Présente sur le poignet du héros qui n’arrive pas à bander, aux côtés d’un fusil resté abandonné, elle est la compagne de la triste chair de ceux qui ne tirent que pour apporter la mort. Retournement moderne : contrairement aux hommes, le loup, lui, épargne sa proie, offrant enfin à Léo un peu d’humanité.

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