Coup d’envoi (une prise en DV)
– par David VasseWho's that knocking at my door ? (Martin Scorsese, 1967)
Cet article fait partie d’un cycle
Ouverture d’un nouveau feuilleton, celui que David Vasse, critique et enseignant en cinéma, tiendra de ses séances au Café des Images et à Caen. DV en livre ici le programme, avant un premier épisode consacré à la journée Avi Mograbi qui s’est tenue mercredi 13 janvier à l’université et au Café.
Toujours le langage courant s’amuse de la confusion topographique pour dire l’accès traditionnel du spectateur aux films. Invariablement, le cinéma et la salle sont logés à la même adresse, le premier abritant la seconde en en faisant au choix une annexe, une antichambre ou une alcôve, une transition ou un coin secret, le lieu où l’on ne fait que passer ou au contraire celui où tout se passe. Au vrai, la nuance est affaire de seuil, de glissement sensible. On va au cinéma, on entre dans une salle. De l’un à l’autre, c’est comme passer du pluriel au singulier, de préférence à la première personne. Entrer dans une salle avec l’espoir que quelque chose de l’expérience du film agisse suffisamment pour ensuite être partagé.
Qu’est-ce qu’aller voir un film en salle ? Deux mouvements au moins président à cette activité, sans forcément s’opposer l’un à l’autre. Il y a les films qu’il faut avoir vus au nom de ce qui fait parler d’eux dans le champ culturel et médiatique et les films qu’il faut avoir vus pour soi-même, au nom de ce qui, dans le cinéma, importe profondément. Eternelle intrication de la demande et du désir, du collectif et de l’intime, qui a connu tant de grandes histoires d’amour, tant de malentendus aussi. Seulement à l’heure où le degré d’adhérence à l’événement n’implique plus obligatoirement le chemin des salles, où les modes de vérification se dispersent par d’autres voies en rendant facultative la fréquentation, il est particulièrement utile que la salle se redonne une force d’exceptionnalité à partir d’une conception quasi littérale de son mérite, celui de déplacer et de faire se déplacer. Déplacer les lignes de sa mission de programmation vers les multiples foyers de création sur quoi elle se fonde et dont elle s’inspire, déplacer les spectateurs en direction de ce qui fait bouger autrement sa vie et ses projets.
Tel est le beau souci du Café des images et de sa revue. Aller en salle, c’est sortir de chez soi, c’est sortir de soi. C’est un geste, dans sa plus pure définition. Et comme tout geste, il offre l’occasion de se comprendre un peu plus et un peu mieux au contact de ce vers quoi il tend. Avec sa revue en ligne, le Café des images n’imagine pas d’engagement plus excitant. Pouvoir entrer et sortir alternativement de ses salles selon un cycle de réflexions, de débats et d’actions qui commandent le sens d’un travail d’ouverture complémentaire aux séances, voilà sa visée. Cette revue, c’est justement une manière de sortir de la salle tout en restant dedans, c’est chercher à transposer en une série de focus réguliers ce qui auparavant a fait dépôt le temps d’un film ou d’un échange avec un cinéaste, un technicien, un acteur, un producteur, un critique, etc. Plus qu’une émanation, un nouveau faisceau de projection des deux côtés de l’écran au service d’une même idée : réduire les écarts entre le travail du film sur le spectateur et le travail ordinaire du cinéma, entre l’horaire d’une séance et le temps prolongé d’un discours sur ce qui a rendu possible cette séance, faire aussi que la salle ne se fige en rituel nostalgique en faveur d’une combinaison dynamique de rendez-vous pensés pour elle et en elle-même, bref que la dimension matérielle du lieu (salle et revue confondues) se confonde avec de nouvelles façons de montrer et de raconter le cinéma dans toutes ses dénominations. Et qu’à son tour la salle parvienne à se muer en récit au rythme de ceux qu’elle donne à voir et à écouter chaque jour.
C’est dans cette perspective que s’ouvre aujourd’hui cette rubrique. Régulièrement, il s’agira de revenir sur des moments choisis pour leur aptitude à se constituer idéalement en dates ou en chapitres au gré des rencontres et des films, avec, pour unique exigence, la portée critique qu’un tel retour autorise. Ni un billet d’humeur (bonne ou maussade, l’humeur ne mène jamais très loin), ni une chronique, juste un espace de décantation d’idées agitées ici (les rencontres) et là (les films), un espace de relance fixant sous forme de textes de taille variable l’inspiration critique suscitée par l’invitation faite à la vie du cinéma qu’on défend, vie technique et artistique, portée par la passion et l’intelligence de ceux qui savent en témoigner, en chair ou en images. Les contributions dans cette rubrique prendront alors la forme d’un journal rédigé au fil de l’actualité du Café des images et, plus largement, du cinéma à Caen. Une autre façon de diffuser le parfum de la salle en noir, en quelque sorte.
A suivre.