Café des Images

Work in progress

par Antoine Cordier

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Cet article fait partie d’un cycle

Dans le cadre de la rétrospective que le Café consacre à Alain Guiraudie, Antoine Cordier présentera le dimanche 28 août, à 18h15, Du soleil pour les gueux.


Alain Guiraudie est à l’affiche du Café des images pour une double occasion : la sortie de son nouveau film, Rester vertical, et une rétrospective de ses moyens et longs métrages. De l’un à l’autre, du présent au passé, se dresse le postulat même de l’œuvre du cinéaste. Ses films visent en effet à rassembler ce qui est disjoint, que ce soit par le temps, l’espace ou les coutumes. Rassembler en un lieu ce qui n’était pas censé se rencontrer, c’est le sujet même du film qui ouvrira la rétrospective, le premier moyen-métrage de Guiraudie sorti en 2001: Du soleil pour les gueux.

Alain Guiraudie a souvent souligné le fait que chacun de ses films fonctionnait comme une réponse aux précédents, voire comme l’occasion de «  reprendre  » ce qu’il avait raté. Ainsi, Rester vertical offre une réponse à L’Inconnu du lac au niveau de la construction de l’espace – un lieu «  clos  » d’un côté  ; des lieux multiples et variés raccordés «  cut  » de l’autre. En outre, il reprend au premier long-métrage du cinéaste, Pas de repos pour les braves, le problème du passage entre phases oniriques et phases «  réalistes  ». Dans Pas de repos, la frontière entre rêve et réel n’avait selon le cinéaste pas été rendue assez perceptible.

Du soleil pour les gueux (2001) constitue le centre d’une « trilogie » dont La force des choses (1998) et Voici venu le temps (2005) forment les autres pans. Dans le passage du court au moyen, puis au long-métrage se joue un développement toujours plus vaste d’un univers mêlant des temps obscurs proches du Moyen-Âge et une époque qui pourrait être la nôtre. Du soleil est, comme son titre l’indique, le film le plus lumineux des trois. Cette clarté a à voir avec un dénuement généralisé : quatre personnages, un lieu aride, désertique, seulement traversé par la route qu’emprute au début le personnage de Nathalie. Le geste d’épure, presque expérimental, dévoile le cœur du travail de Guiraudie  : placer quatre êtres ici et voir ce qui se passe. Garder l’espace le plus vierge possible, ne préserver que l’essentiel.

Du soleil est comme une étape d’un travail en cours autour d’un même univers légendaire. Une étape de la construction d’une mythologie, d’un monde nouveau qui questionnerait le nôtre par l’intermédiaire du détour. Ce monde fertile et imaginaire, Du soleil le fait exister uniquement par le dialogue. Les mots comme première étape de la reconstruction, de la création du lien. Plus que la vraisemblance de l’histoire, ce qui importe ici est la façon dont les personnages tissent des liens, entrent en contact. Du soleil répond parfaitement à cette idée : mettre dans ce lieu semblable à tant d’autres des personnages qui à eux seuls portent le monde qui les définit et les forcer à se rencontrer. Les contraindre à passer le temps ainsi face à l’immensité désertique, l’ennui et la solitude.

Les personnages se lient, volontairement ou malgré eux. Nathalie Sanchez et Djema Gaouda Lon sont à la recherche des ounayes du second. Carol Izba est poursuivi par Pool Oxanosas Daî. A chaque couple son allure, son mode de fonctionnement et ses questionnements. Le premier marche, le second court. Même tacite, comme entre le bandit et son poursuivant, la convergence est nécessaire. Il est important de ne pas être seul. Si l’un fuit ou s’arrête, l’équilibre est rompu, le couple se détruit et le film cesse. Ce qui fait vivre finalement, c’est l’occupation qui rapproche de l’Autre. Une fois celle-ci disparu, l’intérêt disparaît, le film s’arrête. Tous cherchent ce qui leur échappe, les ounayes, le bandit ou la liberté.

L’accomplissement des quêtes de chacun questionne la notion même d’utopie, puisque celle-ci cesse d’exister dès qu’on y accède. La course-poursuite entre Carol Izba et et Pool Oxanosas prend fin lorsque les deux hommes se trouvent réunis dans le même plan. La rencontre, la confrontation qui peut permettre le dialogue, rompt la course et fait basculer les personnages dans un autre type de rapport. A l’inverse, après avoir couché avec le berger, Nathalie manifeste sa déception face à ce fantasme qui disparaît. Tout comme on peut percevoir sa déception lorsqu’elle découvre enfin les ounayes et s’écrit : «  Ah, c’est ça les ounayes, je les imaginais plus gros ». L’accomplissement de sa quête se déroule hors-champ, la fait sortir du cadre et du film. Voir ce qui constitue le rêve, l’idéal ou l’utopie amène fatalement sa destruction puisque se confrontent alors l’imaginaire et le réel. Par cette fin, Guiraudie annonce Voici venu le temps et scelle le destin de Nathalie. L’accomplissement du désir achève la pensée en marche, le groupe et le rêve et plonge dans l’immobilité.

Du soleil pour les gueux (Alain Guiraudie, 2001).

Du soleil pour les gueux (Alain Guiraudie, 2001).