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Swagger, d’Olivier Babinet (2016) – 84′
C’est amusant: il est impossible de retrouver ce « Yacine AlgerZoo » qui like une photo sur Facebook au début de Swagger. Qu’il s’agisse d’un compte créé pour un centième de seconde de film ou que le propriétaire ait changé de pseudo, on imagine assez bien Olivier Babinet vérifier le nom des comptes qui allaient apparaître à l’écran : « Celui-là est très bien. On coupera juste après. »
Dans le portrait des jeunes racisés d’Aulnay-sous-Bois, pétris malgré eux d’un racisme intériorisé d’une violence inouïe – rendu d’autant plus choquant qu’il est enrobé de sourires et de rap détendu –, le zoo est forcément une image, violente elle aussi, que l’on a dans un coin de la tête, avec ce qu’elle implique de volonté d’en sortir et d’impossibilité de le faire. Tout fanfarons qu’ils puissent être, ces jeunes transpirent la détresse et le sentiment d’injustice, de cette petite qui n’arrive pas à dire son nom à cette autre qui s’insurge contre Mickey, venu décapiter les familles.
Et pendant ce temps-là, Babinet filme des animaux : une quantité folle d’oiseaux, quelques lapins, un chameau. Aucun d’eux ne semble laissé au hasard, ou à l’improvisation documentaire – aucun des lapins, pour commencer, n’étant monochrome, jusqu’à celui que l’on voit tourner la tête, lui découvrant trois tons : noir, blanc, caramel, forcément.
Ces lapins interviennent à deux reprises dans le film, toujours dans l’enclave du collège. Le lapin, c’est en effet l’animal casanier par excellence, par opposition au lièvre qui court les champs : il reste, lui, souvent près de sa famille et du terrier qu’il s’est creusé. Que ces lapins apparaissent au collège relève ainsi d’un emploi appliqué et cohérent (scolaire?) de la métaphore.
Olivier Babinet filme des animaux : une quantité folle d’oiseaux, quelques lapins, un chameau. Aucun d’eux ne semble laissé au hasard, ou à l’improvisation documentaire.
Or les premiers lapins du film apparaissent juste après le titre et le titre, lui, juste après l’unique image qui n’ait probablement pas été tournée à Aulnay : un énorme hibou fondant, serres grandes ouvertes, sur l’objectif. Qui est ce prédateur nocturne ? La société, le destin, les préjugés ? Nouvelle métaphore scolaire ? Peut-être, mais au sens premier du terme : la proie de choix du hibou n’étant autre que les lapins, paisibles habitants de la cour de récré.
On n’en voudra pas à Babinet de jouer à ce point sur l’imaginaire animalier : les élèves eux-mêmes, comme on le découvre dans le prologue, rappellent volontiers qu’avant Aulnay-sous-Bois, il y avait, justement, des bois. Hiboux et lapins en somme. Seulement voilà : Babinet ne filme aucun autre animal des bois. Pas une biche, pas un écureuil. On ne verra pas non plus le bestiaire des banlieues tel qu’on l’avait repéré dans Chouf, de Karim Dridi : pas un corbeau, pas un chien, pas une pie – pas un chat.
L’accent est mis sur les oiseaux, implicite migratoire oblige. Des posters en classe aux paroles du générique de fin (Rejjie Snow, 1992), ils sont partout et surtout sont tous, à l’exception du hibou, immigrés ou descendants d’immigrés, à commencer par les immanquables perruches à collier.
Échappée d’un conteneur d’Orly dans les années 70, celles-ci ont en effet colonisé la région parisienne : ces jolis oiseaux colorés ponctuent d’abord Swagger de leurs cris, puis apparaissent au ralenti, en contrechamp du regard rêveur d’un gosse né au Bénin ; ils introduisent ensuite la discussion sur l’amour (deux perruches se câlinent, puis l’une s’en va) ; se posent sur les fils électriques et symbolisent du coup ces jeunes, ne connaissant d’autre milieu que le mobilier urbain – jusqu’à la séance d’observation ornithologique en classe, qui surligne le parallèle.
Les perruches ne sont pas, cependant, les seules projections possibles des petits humains. Sur la porte rose, derrière cette ado à la fois loquace et réservée, trône un colibri comme un totem ; lorsque les élèves tournent au ralenti sous le préau, ce sont des cris d’hirondelles qui retentissent ; au-dessus de l’église St Jean planent quelques goélands. Le premier vient d’Amérique, les secondes sont connues pour se moquer des frontières (et en particulier de la Méditerranée), les derniers sont, à Aulnay, bien loin de leurs littoraux. On cherche encore les pigeons.
Et la règle du bestiaire immigré s’applique même aux mammifères : Babinet ne filme en effet ni chien, ni chat, ni rat, mais un chameau de Bactriane, traîné ici par un cirque quelconque. Un trio de gosses fuit le collège après avoir déclenché l’alarme : à eux la liberté. Ils détalent dans un terrain vague et dépassent l’animal attaché, qui les regarde. Alors Babinet cale quelques plans de repas en famille, d’humains heureux, puis revient sur le chameau : les trois gosses aussi sont revenus le voir, et lui donnent à manger. La libération n’est pas pour tout de suite, mais voilà peut-être un début.