Montage auditif
En retrouvant le magnétophone, Gabrielle est mise en situation de témoin différé de la tentative de saut de Naoufel, dont l’enjeu est de « dribbler le destin » par un acte susceptible d’enrayer le scénario mortifère inlassablement vécu par le personnage. Cette volonté d’échapper à un passé traumatisant pour changer de vie est manifestée par l’effacement de l’enregistrement de l’accident des parents, remplacé par celui du saut.
La mise en scène recourt à un montage auditif très élaboré, dont Gabrielle constitue le point d’écoute subjectif. L’enchaînement des plans ne repose pas sur une série de flash-back, de retours en arrière bousculant l’ordre du récit, mais sur la visualisation au présent de la scène par Gabrielle à partir des éléments sonores diffusés par le magnétophone. On remarque à cet égard que les plans sur Gabrielle se focalisent sur son visage attentif et le magnétophone tandis que les plans fragmentaires sur Naoufel cadrent le micro et les sources sonores en n’offrant qu’une vue partielle du personnage. La représentation de l’espace est donc entièrement subordonnée à la perception auditive de Gabrielle qui reconstitue les actions de Naoufel à partir de la bande enregistrée.
Ce choix de mise en scène délaisse le caractère spectaculaire du saut de Naoufel pour l’inscrire dans l’ordre du témoignage intime, laissé comme une bouteille à la mer (ou dans la neige) à l’adresse de Gabrielle.
La grue libératrice
La mise en scène du saut est traitée de manière sobre et poétique, exprimant le sentiment d’accomplissement de Naoufel :
– la composition des plans met en valeur l’architecture géométrique de la grue dominant la ville, désignant la plate-forme comme le lieu d’une stabilité enfin atteinte.
– le montage auditif est suspendu au profit d’un champ contrechamp virtuel entre Naoufel et Gabrielle, témoignant de la communion différée des deux personnages.
– la lente chute des flocons au son de l’ample musique de synthétiseur contribue au sentiment d’harmonie et d’accomplissent qui domine la scène.
Naoufel a atteint, avec la grue, un lieu symbolisant à la fois la libération de la pesanteur du monde et la capacité à se bâtir une nouvelle existence.
Motifs de l’apaisement
Les dernières images revêtent une dimension fortement symbolique en articulant de manière apaisée les plans sur Naoufel respirant à pleins poumons sur la grue et les souvenirs d’une scène d’enfance à la plage. Le signe adressé au soleil, la course de l’enfant vers la mer filmée avec un cadre vacillant comme pour exprimer son sentiment d’apesanteur, et le bruit de la mer qui envahit la bande sonore , expriment le sentiment d’une insouciance retrouvée.
La mise en scène du motif de la main est à cet égard très suggestive. Dans les souvenirs comme dans le présent, elle est animée d’un mouvement de retrait avant de se réduire à une trace dans le sable filmée en plongée verticale. Associée tout au long du film à la lutte contre le destin adverse, cette main amputée était aussi associée à la culpabilité de Naoufel suite à la mort de ses parents. Le plan montrant la manche vide de Naoufel doucement balancée par le vent peut dès lors s’interpréter comme la figuration d’un deuil consommé, d’une amputation acceptée par le personnage au seuil d’une nouvelle histoire.