Présentation de la séquence

Après la confrontation avec les rats, la main parvient à accrocher un wagon pour s’enfuir et reprendre sa course. Cette séquence en montage parallèle met directement en relation les parcours des deux personnages.

Pistes d’analyse
– Naoufel et la main : correspondances symboliques et formelles


Du métro au vélo

Au rythme d’une musique de synthétiseur lancinante, le trajet en métro de la main décline les cadrages évoquant un parcours rapide, et répétitif : défilement du sol en plongée et des lampadaires en contreplongée, et rotation des roues sur les rails rectilignes. Le plan de transition qui amorce le montage alterné est organisé de manière imperceptible afin d’associer les deux temporalités. Un plan en contreplongée sur les lampadaires raccorde ainsi dans le mouvement avec un plan similaire : seule la progressive entrée dans le champ de la main de Naoufel, accolée à son corps, témoigne du flash-back. Les trois plans suivants montrant les livraisons de Naoufel (plans sur le défilement du sol, balancement rythmique des pizzas) instaurent le parallèle symbolique entre les deux personnages engagés dans un parcours rempli d’obstacles.
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Montage parallèle : alternance de plans sur plusieurs actions distinctes et autonomes à des fins de comparaison. Il se distingue du montage alterné qui montre en alternance des actions simultanées à des fins dramatiques.


Naoufel et la main : deux parcours distincts

Si les deux parcours sont mis en parallèle, ils ne sont pas de nature identique. Celui de la main, de nature symbolique, est tendu avec détermination vers l’objectif de restaurer l’unité corporelle perdue : il représente l’élan vital de Naoufel. Le plan montrant la main enserrant le grillage exprime de manière dramatique, en claire référence aux films de prison, cette volonté d’échapper à la coercition du monde. Le contrechamp en plan subjectif sur la grue dominant Paris qui s’inscrit dans la lointaine profondeur de champ, désigne à la fois le lieu géographique des retrouvailles mais aussi le lieu symbolique d’un espace de liberté désiré, surplombant les vicissitudes de la réalité quotidienne.
Les déplacements de Naoufel sont au contraire soumis au temps circulaire de la livraison des pizzas et témoignent de son engluement dans une réalité blafarde par une série de courts plans elliptiques et répétitifs.


La ville comme espace hostile

Le quotidien urbain ordinaire et maussade du petit matin est représenté comme un espace dangereux et rempli d’obstacles. Sous la dérisoire protection de son armure de fortune, la main est confrontée à un environnement rendu hostile par sa petite taille : la ville nocturne est peuplée de figures furtives qui constituent autant de menaces virtuelles ou réelles (le skate, l’homme ivre). De nombreux cadrages insolites témoignent de la démultiplication des distances pour le minuscule céphalopode cherchant à se fondre dans l’environnement : plan subjectif sur la bouche de métro dans la profondeur lointaine du champ, plongée verticale en plan général sur le bout de rue ou encore vue des couloirs déformés par le prisme d’un miroir de sécurité.



Accident(s)

La scène de la rencontre de la main avec la mouche témoigne avec force de la logique de déplacement symbolique qui gouverne le film. Tandis que la main s’avance dans un parc d’enfant déserté, elle découvre une petite voiture verte renversée dans laquelle la mouche s’est réfugiée. La disproportion des protagonistes et les battements de la musique solennisent cette confrontation silencieuse qui évoque l’épisode traumatique fondateur du film : l’accident des parents.

À l’envol de la mouche, succède un raccord cut sur la roue de Naoufel dérapant pour éviter une voiture verte avant le choc. La séquence évoque donc quatre accidents : l’accident inaugural, la voiture renversée du parc et l’accrochage du scooter qui répète le renversement de la boite de conserve par le skate-board (couleur rouge du scooter, projection des pizzas en écho à la projection de sauce tomate). De manière alternativement réaliste ou fantasmatique, le récit multiplie ainsi les représentations du trauma initial comme autant de variations d’un scénario de vie immuablement répétitif.

Le dernier plan de la séquence, montrant Naoufel en plongée dans la rue désertée avec son scooter rouge, fait ainsi écho à la frêle boite de conserve confrontée à la solitude nocturne dans une métaphore de la fragilité du personnage face à l’acharnement du destin.