Un récit gigogne
Le début du film revendique le caractère réflexif du récit : à l’issue du défilement du générique, une mère accède au désir de son fils de lui raconter une nouvelle histoire, au cours d’un échange en voix off sur un lent travelling avant vers une mystérieuse porte fermée. De nombreux éléments associent l’histoire maternelle, et donc l’imaginaire enfantin, au dispositif cinématographique :
– le premier générique présentant le défilement vertical des partenaires du film sur fond noir possède la forme traditionnelle d’un générique de fin, comme pour renvoyer à la clôture de la précédente histoire évoquée par la mère : « Voilà, c’est fini », déclare Yvonne avant de céder à la prière de son fils
– l’enclenchement du nouveau récit est accompagné par le son off du démarrage d’un projecteur cinématographique
– la porte évoque des significations plurielles : la chambre d’enfant comme lieu de l’histoire du soir (voix off et photo de chaton), l’espace de l’artifice fictionnel (la frontière de l’imaginaire encadrée par un tapisserie rouge évoquant un rideau de théâtre), l’annonce du cadre du récit à venir (la porte de l’appartement des voyous avec graffiti, interphone et verrou).
L’espace derrière la porte n’est pas révélé : elle vole bientôt en éclat sous le choc d’une explosion, dans un sens contraire au travelling avant qui annonçait un franchissement. Un nouveau générique, scandé par des arrêts sur image affichant le nom des acteurs, impulse soudainement une dynamique typique du film d’action au rythme d’une musique tonitruante. L’incipit introduit donc d’emblée deux espaces narratifs : l’espace de la relation mère-fils en voix-off porte le déploiement d’une fiction policière exubérante au sein d’un dispositif d’emboîtement à l’artificialité revendiquée.
Une parodie de film d’action
La scène d’assaut de l’appartement reprend de manière parodique les stéréotypes des films et séries d’action des années 70-80 (Starsky et Hutch, les films de Belmondo, James Bond) du point de vue de la mise en scène :
– montage rapide de plan en caméra portée privilégiant les plans rapprochés
– musique très rythmée au sonorités caractéristique de l’époque : guitare électrique, cuivres et congas
– typographie colorée du générique sur des images gelées.
Les gags et les situations témoignent d’une volonté de grossissement ludique des stéréotypes du genre : un héros inépuisable échappant miraculeusement aux balles qui fusent de toute part, dont la dextérité sans faille (précision et rapidité des tirs) n’a d’égale que l’ingéniosité (l’utilisation du smartphone comme miroir), au sein d’une action multipliant les improbables rebondissements (le double gag du meuble de cuisine).
La mise en scène revendique une dimension burlesque par le spectacle jubilatoire de la destruction du décor et des performances physiques irréalistes de son héros, livrant notamment un double combat avec le corps prisonnier d’une cloison. Un travelling horizontal traverse le mur pour montrer ses adversaires, manifestant la toute-puissance d’une caméra dévolue au spectacle, au mépris de toute vraisemblance. La fin de la scène d’action constitue une illustration explicite du statut super-héroïque de Santi : à l’issue d’un saut de plusieurs étages, motif typique du genre, il affirme en toute décontraction avoir failli se fouler un poignet, alors même que les plans précédents montraient sa cuisse transpercée par un couteau, dont aucune trace de blessure ne témoigne. Cette exagération finale, ponctuée par une tape amicale dans le dos du collègue, met ironiquement en évidence le mécanisme de suspension volontaire de l’incrédulité mis en œuvre par la fiction, grâce à la complicité du spectateur.
Ressource : générique de la série Starsky et Hutch
L’espace de la fiction
Les voix-off s’incarnent dans deux personnages, Yvonne et son fils Théo. Le champ contrechamp construit un espace intime et protecteur : éclairage tamisé, dominantes des couleurs bleu et marron, motif alvéolaire omniprésent (couverture, pull, abat-jour, ombre portée de la lampe). Un léger panoramique accompagne la sortie d’Yvonne jusqu’au seuil de la porte-frontière, clôturant son rôle de conteuse après avoir assuré Théo sur la véracité de l’épopée paternelle.
La chambre du fils, dont il ne sortira jamais au cours du film, est un espace dédié à la mémoire fantasmée du père : la métaphore du lion évoquée par le dialogue s’incarne dans une lampe de chevet dont le halo de lumière protectrice est mis en évidence par le fondu au noir final, un super-héros s’affiche en lévitation sur le papier peint et une photo familiale exprimant l’amour père-fils orne le bureau.
Le récit ne sera pas un film policier annoncé par le générique, mais une histoire de réparation symbolique construite sur la croyance et l’imaginaire. Cet incipit apparaît donc aussi programmatique que piégé : c’est une promesse faite au spectateur en forme de fausse piste, une matrice cultivant l’art du récit sur le mode du palimpseste dont les relectures tenteront d’extraire une vérité dissimulée sous les oripeaux de la fiction.