Les mâchoires que les touristes peuvent acheter comme « shark souvenirs » en arrivant sur l’île ainsi que celles dont le vieux marin fait la collection convoquent bien sûr ironiquement le titre du film. Mais l’une d’elles donne lieu, par ailleurs, au plus remarquable procédé rhétorique des Dents de la mer, au moment où Brody, Quint et Hooper quittent le port à bord de l’Orca. Un premier plan donne à voir une fenêtre de la cabane de Quint, dont le surcadrage est redoublé par une énorme mâchoire, tandis qu’un travelling avant vient s’arrêter sur le bateau au moment précis où, grâce à l’effet de perspective, il est comme « enserré » par les dents du requin. L’effet de perspective transforme la mâchoire du requin en un gigantesque porche ouvrant sur le territoire mortifère du requin.
S’ensuit un plan pris depuis l’embarcation qui s’éloigne des habitations (avec Brody de dos et en amorce), puis une vue d’ensemble montrant le bateau qui traverse le port, sur laquelle apparaît bientôt en fondu enchaîné l’image d’une eau ensanglantée par les appâts de poisson que Brody jette, longtemps après, lorsqu’ils sont arrivés en pleine mer. Cette ellipse conclut ainsi un enchaînement de plans qui figure tout à la fois la dévoration des personnages et celle de l’image même, saturée de rouge, qui saigne pour eux.