Présentation

Le Sommet des dieux est à l’origine un roman de Baku Yumemakura qui a ensuite été adapté par le dessinateur de manga, Jirô Taniguchi, en 5 volumes, parues de 2000 à 2003. Le making of du film rend compte du travail technique effectué par l’équipe d’animation pour adapter le manga original, dans le sens d’une recherche de réalisme



L’adaptation du récit

Le Sommet des dieux est le grand-œuvre de Jirô Taniguchi dans le registre de la BD d’alpinisme (où il a signé un certain nombre de travaux antérieurs, de K au Sauveteur, en passant par le récit bref Terre de rêve). Composé de 47 chapitres, publiés au fil de 71 livraisons en feuilleton, puis réunis sous la forme de cinq épais volumes d’environ 300 pages (pour un total d’un peu moins de 1600 pages), le récit du Sommet des dieux, par son envergure même, posait naturellement un problème d’échelle : « Adapter un récit aussi riche et foisonnant en un film d’une heure trente réclamait des choix. J’ai écarté bon nombre de péripéties, préférant retenir ces thèmes universels qui dépassent le contexte de l’alpinisme et sont emblématiques du travail de Taniguchi ». Patrick Imbert a donc décidé, avec ses scénaristes, de focaliser son long-métrage sur le lien entre les deux personnages principaux, Fukamachi et Habu Jôji dans leur confrontation aux défis physiques de la haute montagne en cherchant à conjuguer l’intimisme et le spectaculaire.

Le but du réalisateur est une recherche d’universalité à partir d’un récit d’aventure extrême à la tonalité désespérée, vers une vision moins sombre, destinée à un large public : la quête d’un défi aussi bien physique que mental, voire moral, en forme de dépassement de soi. La fin a été modifiée en ce sens : dans le manga, Fukamashi développe la pellicule photo découverte sur le corps de Mallory qui montre que ce dernier est bien arrivé au sommet de l’Everest en 1924. Dans le film, la vérité sur cette énigme n’est pas dévoilée, laissant le spectateur dans l’expectative sur le dernier plan du film montrant Fukamashi gravissant le sommet de l’Everest. Ce choix final est révélateur de la direction du récit : en supprimant l’énigme de Mallory, le récit substitue à l’enquête journalistique initiale la quête existentielle comme véritable enjeu du du film.







Stylisation des décors et rendu « impressif » du réel

Le dessin de Jirô Taniguchi étant très détaillé, le réalisateur du film a opté pour une simplification dans la représentation des visages et des décors (notamment citadins) permettant l’adaptation en animation du dessin original. Ce langage graphique, la ligne claire, est proche de celui du dessinateur Hergé : le trait est simple, net, d’épaisseur régulière avec des aplats de couleur sans effets d’ombres ou de hachures. Le dessin est « fermé », minimisant les plis des vêtements et des traits de visage.

 

Aidé par différentes photographies de montagne réalisées par des alpinistes, le style graphique adopté pour les décors parvient à rendre avec éclat l’impact visuel et la grandeur du milieu naturel. La pertinence de cette forme d’épure quasi-impressionniste, aux traits de contour effacés, est proche en cela des estampes modernes de Hasui Kawase ou d’Hiroshi Yoshida. Elle s’affirme en contrepoint de la minutie du manga, dont l’impact graphique des décors repose pour beaucoup sur un travail très tramé.

 

Pour l’atmosphère de la grande ville et quelques effets spéciaux, la 3D a été utilisée comme une aide à la perspective, pour modéliser certains décors d’intérieur de manière très schématique, sous forme de blocs géométriques par-dessus lesquels les décorateurs ont ajouté les détails et la vie du décor en 2D.



Le son au service du réalisme

L’autre aspect technique pour adapter le manga en film est sa création sonore. Patrick Imbert a décidé de se rapprocher d’un film en prises de vue réelles en enregistrant les voix des personnages, avec l’aide d’un perchman, en amont du travail sur l’animation. Ainsi, le jeu « sobre » des comédiens, accompagné par une bibliothèque sonore faite de bruitages des accessoires alpins, apportent toutes les sensations physiques vécues par les personnages.

L’utilisation d’un harmonica de verre, instrument de musique composé de bols en verre empilés sur un axe horizontal rotatif où le musicien en frottant les bords de ses doigts mouillés produit un son limpide, amène à ressentir des éléments organiques comme celui de la glace dans la composition originale du film.