L’escalier
Le premier plan de la séquence est une plongée qui présente l’entrée de Fatima et son employeuse dans l’appartement. Le choix de cet angle de caméra est loin d’être anodin : il induit une certaine idée de la pression qui repose sur les épaules de Fatima en rentrant dans ce lieu, et installe la notion de domination qui va traverser toute cette séquence. Dès le premier contact, la femme se montre très directive (« Posez votre parapluie », « Allez vous changer »), et la précède en montant les escaliers, afin de lui faire visiter l’appartement. L’escalier exprime la distance sociale entre Fatima et son employeuse qui guide l’échange et se place littéralement en position de supériorité en la précédant à l’étage.
Le plan se clôt sur le visage de Fatima dont le visage inexpressif témoigne de sa soumission au cadre imposé mais invite surtout le spectateur à partager le point de vue au cours de la séquence.
Distance sociale
Le plan est composé pour rendre compte de la distance sociale entre les deux personnages :
– les vêtements : la femme porte une belle robe bleue et un collier couleur or en opposition avec la blouse de femme de ménage ;
– le discours d’autorité : l’employeuse précise avec une minutie condescendante les tâches à réaliser sans prendre en compte l’expérience de Fatima ;
– la composition est symétrique et désigne le pouvoir de l’employeuse par le recours aux miroirs : elle borde le cadre de chaque côté et se reflète en majesté dans le miroir principal. Fatima demeure à l’arrière-plan, et son visage est surcadré par un miroir secondaire au dessus des ustensiles de toilette. La place de Fatima dans l’image symbolise sa soumission à un rapport de domination : elle est réduite à une fonction utilitaire au sein de cet univers cloisonné.
Une tâche supplémentaire
Dans la profondeur de champ, assise sur un lit, se trouve le personnage de la mère. Elle vient s’inscrire dans le cadre entre la maîtresse de maison et Fatima, car elle est implicitement présentée comme une charge de travail supplémentaire. Ici, la patronne fait appel à des compétences de service à la personne qui excèdent le cadre de travail de Fatima. Elle abuse ainsi de manière tacite de sa position de supériorité. On remarque que ce long plan définit un espace coercitif en articulant deux espaces rigoureusement fermés dans lesquels seule l’employeuse a l’initiative du mouvement comme de la parole.
Le billet de banque
Dans le plan suivant, Fatima est seule dans la buanderie. Elle fouille consciencieusement dans les poches d’un pantalon avant de le mettre dans la machine à laver. Fatima semble comme enfermée dans son travail : la profondeur de champ est très réduite, et le cadre est obstrué de chaque côté. Elle découvre un billet de 10 euros dans le pantalon, et le glisse dans la poche de sa blouse. Ce geste provoque un court suspense à l’intérieur de la séquence, qui repose sur un questionnement moral : Fatima va-t-elle conserver ce billet qui ne lui appartient pas, ou le rendre à son propriétaire ?
Un espace bourgeois
On retrouve la maîtresse de maison, assise sur un canapé en cuir, écoutant de la musique classique. L’aisance bourgeoise de l’employeuse et le standing culturel qui lui est associé sont soulignés par une statuette en stuc et la bibliothèque en arrière-plan. Ces éléments permettent d’inscrire le contraste entre l’oisiveté de la femme et le labeur de Fatima comme des marqueurs de distance sociale entre les deux personnages, dans cet espace où sa présence est mise en scène comme une intrusion.
La valeur de l’argent
Lorsque Fatima entre dans la pièce, la femme se lève, se remettant ainsi à la même hauteur que sa femme de ménage. Philippe Faucon met très vite fin au suspense, car Fatima rend honnêtement le billet. « Faire attention avec l’argent », comme le dit la femme, est une préoccupation très secondaire pour le fils négligent alors qu’il est un élément déterminant dans la vie de Fatima. L’attitude des deux femmes à l’égard du billet est à cet égard révélatrice : l’employeuse le tripote nerveusement avant de le replier avec soin tandis que Fatima ne le quitte pas des yeux avant d’être congédié par un sec remerciement.
Marge de manœuvre
La séquence se conclut deux minutes plus tard (après une scène entre Souad et son père), alors que Fatima attend dans l’entrée de l’appartement que sa patronne lui donne sa paie. Fatima est encore enfermée dans le cadre, dans un espace sans profondeur, alors que sa patronne arrive du fond du champ, figurant ainsi la liberté financière que l’une possède et l’autre pas. La femme déclare qu’elle ne pourra lui déclarer que deux heures de travail (on apprendra plus tard qu’elle se sert de l’argent qui lui est versé pour sa mère par le conseil général afin de se payer une femme de ménage), mettant ainsi en avant la marge de manœuvre naturelle que s’octroient les classes aisées en usant du rapport de subordination dans le travail.