Comme un lion en cage
La séquence démarre par Souad, seule dans sa chambre, qui roule sur son siège tel un lion en cage. Sa chambre est bien ordonnée, et l’on voit des photos et posters sur les murs. Elle porte un jean, un T-shirt et une veste en cuir. Ces éléments contribuent à la définir comme une adolescente ordinaire, ce que confirme l’utilisation répétée de son téléphone portable.
Postures de conflit
Fatima entre dans sa chambre, elle porte une chemise de nuit. Le contraste entre les vêtements des deux personnages vient marquer leur opposition. Ce conflit est clairement affirmé par la suite de la scène, filmée en un champ-contrechamp qui sépare la mère et sa fille, et où la posture désinvolte de Souad contraste avec l’air concerné de Fatima. Les échelles de plan utilisées renforcent cette impression : Souad est cadrée en plans larges témoignant de sa distance moqueuse avec sa mère, tandis que les gros plans sur Fatima soulignent son inquiétude. L’échange a lieu en français pour Souad et en arabe pour Fatima. Ainsi, lorsqu’elle menace sa fille d’aller voir ses professeurs pour parler de ses mauvaises notes, Souad invoque la barrière de la langue, et renvoie cruellement Fatima à son incompétence linguistique.
La réunion
Durant toute cette séquence, Fatima reste silencieuse, n’osant pas prendre la parole. Cette barrière de la langue, vécue comme un enfermement, est symbolisée par le recours au flou pour mettre en scène tous les autres personnages (professeure, parents d’élèves). Par ce procédé, ils semblent comme étrangers au personnage de Fatima, témoin attentive d’une parole d’autorité dont elle est exclue. La faible profondeur de champ fonctionne ainsi comme un révélateur de l’exclusion de Fatima dans l’espace scolaire.
La lettre de motivation
Le dialogue entre la professeure et les parents d’élèves est révélateur de cette mise à l’écart. En effet, ils évoquent des problèmes très éloignés de ceux que rencontre Fatima avec Souad : le contournement de la carte scolaire afin d’assurer la scolarité de leur enfant dans un lycée réputé.La posture méditative de Fatima, filmée en gros plan tandis que les interlocuteurs sont plongés dans le flou, invite le spectateur à mesurer son inaptitude à adopter les stratégies scolaires de réussite, encouragées par l’institution dans cette séquence. La scène est d’autant plus cruelle qu’elle se termine par l’évocation d’une lettre de motivation , que sa maîtrise approximative du français ne lui permettrait pas de rédiger pour sa fille.
De retour au travail
Fatima se trouve avec une de ses collègues, elles rangent les chaises de la cantine après avoir fait le ménage. Fatima se plaint de ne pas avoir pu dire ce qu’elle ressentait par rapport à la scolarité de sa fille, et mesure à quel point ses problèmes sont différents de ceux des autres parents. Elle admet également que la barrière de la langue représente un véritable carcan, et se désole de ne pas avoir pu faire plus d’études. Elle se promet de continuer à apprendre le français. Avec ce monologue en apparence anodin, Fatima formule un rapport au monde qui se transforme, où la compréhension des enjeux qui l’entoure devient plus précise, et lui permet donc de formuler plus concrètement ce dont elle a besoin pour continuer à avancer et résoudre ses problèmes. Elle prend conscience, par le langage, de ce qui l’enferme et la met à l’écart, et ne se résume pas qu’à un défaut d’expression. La tonalité finale de la séquence est plutôt positive car Fatima apparaît comme décidée. La composition du plan (un panoramique horizontal qui les suit en train de ranger les chaises qui encombrent le cadre) donne le sentiment d’un long travail à accomplir pour l’affirmation de son identité personnelle.