Présentation
La scène de première rencontre constitue une figure narrative répondant à des paramètres constants. Les films proposés, dont l’intrigue est fondée sur la passion amoureuse, répondent aux motifs attendus du premier échange de regards tout en proposant des variations remarquables : Titanic, Gilda et Vertigo.
Titanic (James Cameron, 1998)
Le film Titanic est une histoire d’amour tragique qui se déroule à bord du célèbre paquebot lors de son voyage inaugural en 1912. Rose, une jeune femme de la haute société, rencontre Jack, un artiste bohème et en tombe amoureuse malgré leurs différences sociales.
1. L’apparition
L’arrivée de Rose sur le pont du bateau est représentée en plan subjectif à partir de Jack, manifestant son intérêt immédiat. La beauté de la jeune fille est soulignée par l’accompagnement d’une musique romantique off, rythmant sa lente avancée, en robe de dentelle, jusqu’à la rambarde. Son visage de trois-quarts, éclairé par les rayons du soleil, se détache sur le ciel sans nuages. Rose est mise en scène comme une figure fascinante à la beauté irréelle, dont le visage tendu vers l’horizon évoque l’image d’une figure de proue, impassible et sculpturale.
2. L’effet
L’impact de l’apparition de Rose se manifeste fortement par l’immobilité soudaine de Jack, dont la fascination est soulignée par une succession de plans subjectifs et un travelling avant sur son visage. Son saisissement est par ailleurs remarqué par ses compagnons, dont l’un se retourne et l’autre passe le bras devant ses yeux.
La réaction de Rose se caractérise au contraire par un premier regard curieux se détournant rapidement dans une attitude d’indifférence affectée, avant qu’un second regard vers Jack manifeste discrètement son intérêt pour le jeune homme.
3. La distance
La distance entre les deux personnages est renforcée par la rambarde et l’effet de contre-plongée : elle exprime la barrière social manifestée par la hiérarchie des ponts sur le bateau. Le dialogue souligne le caractère impossible de la relation avec Rose : « Des anges te sortiront du cul avant que tu puisses t’approcher d’elle », affirme Charlie Ryan.
Gilda (Charles Vidor, 1946)
Johnny Farrell, joueur professionnel, débarque à Buenos Aires et se lie d’amitié avec Ballin Mundson, le propriétaire d’un casino, dont il devient l’associé. À l’issue d’un voyage d’affaires, Ballin revient marié avec la belle Gilda, ex-fiancé de Johnny. Film noir emblématique, Gilda consacra Rita Hayworth comme l’incarnation parfaite de la femme fatale, désirable et maléfique.
1. L’apparition
L’introduction de Gilda est annoncée par les paroles de Ballin et la chanson emblématique de Gilda en son hors-champ. Afin de stimuler l’attente du spectateur, son entrée en scène est retardée : les deux hommes regardent à partir de l’encadrement de la porte et Ballin lance un appel vers le hors-champ : « Gilda, es-tu décente ? ».
L’apparition du personnage de Gilda est très théâtralisée : un ample mouvement de chevelure révèle subitement son visage rayonnant en gros plan, sublimé par l’éclairage trois points hollywoodien. Cette mise en scène a pour double enjeu de motiver la fascination de Johnny Farell pour Gilda mais aussi celle du spectateur, comblé par l’irruption de la star.
2. L’effet
La surprise de Johnny Farell est manifestée par son expression de saisissement, la fixité de son regard et son attitude figée, tandis que Gilda affecte un léger mouvement de retrait après avoir reconnu son ancien amant.
3. La distance
La distance se manifeste dans la suite de la scène qui inscrit le personnage de Gilda dans un décor de star : un immense miroir encadré de rideaux s’inscrit dans un ameublement aux tissus brillant. Filmée en amorce à partir de Johny Farell, Gilda apparait comme la femme interdite, par son double statut de vedette du casino et d’épouse de son patron.
Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958)
Le détective Scottie Ferguson est engagé par un vieil ami pour enquêter sur son épouse, Madeleine, qui semble possédée par l’esprit d’une femme décédée. Fasciné par la beauté de Madeleine, Scottie se retrouve plongé dans une spirale obsessionnelle où réalité et illusion se confondent.
1. L’apparition
L’entrée en scène de Madeleine est introduite par une lente trajectoire de la caméra, qui part de Scottie en plan rapproché avant de cadrer la salle de restaurant en plan de demi-ensemble puis de se rapprocher de Madeleine de dos. Cet ample mouvement est empreint de subjectivité : il illustre la recherche par Scottie de cette femme mystérieuse, dont la robe verte contraste fortement avec la couleur écarlate de la tapisserie. Ce contraste de couleurs complémentaires constitue un leitmotiv plastique du film qui exprime l’intensité pathologique de la passion de Scottie. Par ailleurs, la musique élégiaque de Bernard Hermann ponctue l’entrée dans le champ de Madeleine, en suggérant l’impact émotionnel immédiat de son apparition dans le champ alors même que son visage demeure soustrait au regard. Lorsqu’elle rentre dans la salle où se trouve Scottie, celui-ci détourne les yeux : le gros plan sur profil de Madeleine est donc offert au seul spectateur, au cours d’une rencontre manquée qui ne propose aucun échange de regards.
2. L’effet
L’intensité de la fascination unilatérale de Scottie s’exprime par la seule mise en scène : le visage immobile de Madeleine de profil est représenté comme une image mentale, illustrant la cristallisation passionnelle par un crescendo de la musique et la soudaine montée de l’intensité lumineuse.
3. La distance
Filmée dans le dos de Scottie, Madeleine s’enfuit rapidement d’une démarche flottante et comme fantomatique qui introduit son statut de femme fantasmatique, support d’une obsession mortifère.