Colère et violence
Une lumière rouge orangé, répondant à l’état émotionnel de l’homme, nimbe la scène. Du sommet de la colline, il vient de pousser un cri de colère et d’impuissance. Engagé dans un rapport de force contre la nature dont il est sorti vaincu, l’humain dominateur veut sa revanche.
La descente vers la plage se fait à nouveau selon un axe Est-Ouest. La latéralité de la mise en scène est soulignée par les entrées et sorties de cadre du personnage et sa disparition momentanée hors champ pour se saisir d’une canne de bambou comme arme qui n’est pas sans rappeler le langage du théâtre de marionnettes. L’acte de violence est amplifié par la pudeur qui entoure sa représentation : soudaineté du coup porté et fuite du regard vers les oiseaux dont le tumulte inhabituel exprime la rupture de l’ordre naturel. L’homme monte sur le ventre de la tortue pour affirmer sa domination.
Puis il se baigne dans la mer comme pour se laver de son crime, mais la lumière rouge colore la mer de sang, signe d’une purification impossible.
Un nouveau radeau
La lumière du crépuscule dessine des ombres sur le visage de l’homme. Les petits crabes font leur entrée en scène selon une trajectoire latérale, jouant leur petite pièce de théâtre à la fois burlesque et macabre, celle de la vie et de la mort. L’homme rassemble à nouveau des bambous sur la plage, mais dans la retombée de sa colère apparaissent les signes de sa fatigue corporelle et de sa lassitude qui préparent le remords.
Remords
La lumière est crue, le soleil intense, la plage blanche, les contrastes de couleur accentués. Dans le face-à-face mortel de la tortue avec le soleil s’interposent les regards de l’homme. Ce dernier plonge à l’eau, cette fois pour harponner un poisson. Les deux morts s’opposent : l’une est sans histoire , elle relève de l’ordre naturel: celle du poisson pêché pour se nourrir et dont les crabes viennent chercher leur part. L’autre, celle de la tortue, est inutile : le produit de la violence pour la violence. La marche de l’homme, lente, pesante, hésitante, son dos courbé, son agenouillement devant la tortue et finalement sa caresse à sa nageoire expriment le remords qui le gagne, mais aussi la pitié et l’empathie nouvelles pour l’animal.
Élévation de la tortue
La nuit, en noir et blanc. Un ciel rempli d’étoiles. Chaque nuit , comme chaque jour, est différente par sa lumière. L’homme court à nouveau d’Est en Ouest. Mais un nouvel axe fait concurrence à sa trajectoire horizontale : l’élévation verticale de la tortue dans les airs. Scène de nuit, scène onirique, scène d’envol qui rappelle le « pont de rêves », mais aussi l’image de l’homme juché sur le ventre de la tortue ; cette fois, c’est la tortue qui est en haut et l’homme en bas, signe d’un retournement de perspective entre domination physique d’une part et supériorité spirituelle de l’autre.
L’homme essaie en vain de retenir la tortue. Il se réveille et, comme s’il écoutait son rêve, il tente de ramener l’animal à la vie en l’aspergeant d’eau. Tentative illusoire, réparation impossible. L’empressement de l’homme, rendu par une série de raccords dans le mouvement, est regardé à distance par la caméra, car voué d’avance à l’échec.
L’enjeu n’est pas un retour inespéré à la vie de la tortue, mais l’expression du remords de l’homme, de sa prise de conscience, de son désarroi, et finalement de son affection pour l’animal qu’il regarde « sous un jour nouveau » et d’où procède sa métamorphose, c’est-à-dire sa « renaissance » sous la forme d’une femme.
On peut faire l’hypothèse que c’est un geste qui en est le déclencheur, un peu comme le baiser sur les lèvres de la Belle au bois dormant. Ici, c’est une caresse sur la nageoire de la tortue : premier geste d’amour et première partie du corps que l’on verra transformée à l’écran.