Sur les rochers
Pour la première fois, le ciel est bleu, dégagé. L’homme, du haut des rochers, domine la mer. Une faille, entre deux blocs, annonce pourtant le danger. L’homme la franchit prudemment. Sa démarche mal assurée montre combien il est étranger à l’île, étranger à la nature qui l’entoure. A posteriori, sa maladresse apparaît d’autant plus flagrante que son fils adolescent franchira ce même obstacle avec une aisance tout aérienne. Les oiseaux dans le ciel renforcent ce climat d’étrangeté par leur présence sonore. Dans la mer, en contrebas, l’homme aperçoit un tonneau, comme son fils, enfant, apercevra plus tard une tortue. Mais autant cette dernière découverte sera riche de sens (l’enfant découvrant sa double nature en tombant à l’eau et y retrouvant la tortue), autant celle-ci est déceptive comme on le verra plus loin. Le pied de l’homme glisse. La caméra, jusqu’à présent fixe, l’accompagne dans sa chute.
Passage sous-marin
L’homme est pris au piège entre les parois abruptes. Dans l’ombre, l’image tend vers la monochromie. La caméra renforce la sensation d’enfermement par l’alternance de points de vue, créant un vis-à-vis entre l’homme et la falaise. Aux allers-retours de l’homme rythmant ses tentatives successives d’évasion répondent les rapprochements-éloignements de la caméra qui suggère une présence – absence : c’est celle de la nature, illustrée par le ballet des oiseaux indifférents au drame. La vie et la mort font partie de l’ordre naturel. L’homme, conscient de sa solitude, ne lance pas un seul cri d’appel. Acculé, il tente le tout pour le tout. La caméra change alors d’angle, de point de vue, pour le suivre dans sa plongée vers les profondeurs. On suit sa progression dans l’étroit passage sous-marin à la faveur d’une série de plans fixes et des entrées et sorties de cadre du personnage. La scène est métaphoriquement celle d’un enfantement, d’une mise au monde. Elle semble suggérer qu’il n’y a, pour le personnage, d’évasion possible qu’au prix d’une « renaissance à lui-même ». Mais le dernier plan montrant l’homme à nouveau naufragé sur le rivage, suggère que la véritable portée de l’épreuve lui échappe.
Le tonneau vide
À nouveau naufragé sur le rivage après avoir échappé de peu à la mort… variation de la scène introductive et de celle qui suivra le tsunami. L’homme récupère le tonneau que l’on suppose provenir de son bateau. Mais celui-ci, vide, se disloque sur le rivage. Contrairement à Robinson, le personnage est condamné à ne rien emporter sur l’île de la civilisation comme de sa vie antérieure : pas même son nom, ni le langage verbal. Le tonneau vide répond à la bouteille vide. Ses planches disloquées rappellent celles de la chaloupe sur les rochers. C’est déjà le dénuement de l’homme face à la puissance de la nature.
La présence du soleil couchant, l’angle de la lumière, l’ambiance particulière qui s’en dégage se lisent dans les ombres et notamment celle du personnage qui redouble sa solitude. Les allées et venues de l’homme entre la plage et la forêt de bambou s’ordonnent selon un axe Est-Ouest, orientation cardinale du récit. La construction d’un radeau n’est que suggérée. L’imagination du spectateur est sollicitée.
Un pont de rêve
Première scène de nuit pour laquelle le réalisateur utilise le noir et blanc, à contrario de l’usage dominant dans le dessin animé de la « nuit bleutée ». Les ombres sont présentes. À côté de l’homme, une tortue naît du sable : c’est la première du film. Trois vagues successives emportent les bébés tortues vers le large.
À l’immensité du cosmos répond celle de l’océan. Il y a comme une alliance des éléments qui est ici suggérée : la terre (le sable) enfante et la mer (la vague) emporte et élève. Une correspondance poétique s’établit à la faveur de deux plans entre le fait de nager et celui de voler. Ce sont les bébés tortues dans la mer vus en contre-plongée puis l’homme volant en rêve au-dessus du pont, avant que dans un fondu enchaîné le ressac ne le dépose sur le sable. Dormait-il ? Somnolait-il ? Quelle est la réalité de son rêve ? Première scène de réveil d’un film qui semble dire que les rêves font pleinement partie de l’expérience de la vie.
La caméra prend le point de vue inverse et l’homme se rendort comme s’il s’était retourné sur lui-même. Sa silhouette épouse alors celle de l’île dans un fondu enchaîné qui ramène le jour. L’enchaînement semble signifier que l’homme et l’île ne font qu’un. Autrement dit, sa solitude ne serait pas la conséquence de son naufrage sur une île déserte. L’île serait une métaphore de sa solitude.