– Quelle représentation de la montagne et de l’alpinisme est déployée dans ce proloque ?
– Relever les motifs formels et thématiques récurrents qui sont introduits dans la séquence.
Voyage en terre inconnue
Le film débute de manière très sobre par quatre plans généraux de montagne très réalistes (le travail d’animation a recouru au traitement numérique de photographie) alternant avec les cartons d’un générique en noir et blanc. Les sommets présentés en dégradés de gris sont exposés dans leur majesté intimidante, comme un univers inexploré, dangereux et fascinant. Le bruit du vent est accompagné d’une discrète nappe sonore au synthétiseur pour souligner la singularité de la haute montagne, présentée d’emblée comme l’enjeu mystérieux du récit.
Une voix off commente l’apparition en plan d’ensemble de deux alpinistes au lointain, avançant péniblement vers la caméra. Au rythme de leur difficile ascension, la voix off exprime sous forme d’aphorisme la condition de l’alpiniste : « Monter, grimper, grimper encore, toujours plus haut ». Relayée à la fin du film par la lettre testamentaire d’Habu, cette parole définit l’ascension, au-delà de l’exploit sportif, comme une quête existentielle : « Grimper, c’est la seule manière que j’ai de me sentir vivant. »
Les alpinistes sont présentés en trois plans fixes successifs (plan général, plan de demi-ensemble puis plan rapproché en contre-plongée), permettant de mesurer leur petitesse au sein de l’espace montagnard et la pénibilité de leur progression : pesanteur des gestes soutenus par le piolet et difficulté de la respiration du mystérieux personnage derrière son masque à oxygène. De manière elliptique, le récit suggère ainsi l’expérience concrète de l’ascension et la détermination des explorateurs. Leur équipement d’un modèle ancien (vêtements, lunettes et masque) et la teinte sépia de leurs vêtements évoquent une époque passée et contribuent à l’effet d’étrangeté de leur apparition en suggérant une analogie avec des astronautes explorant une planète inconnue.
Le Vest Pocket
À l’issue d’un champ-contrechamp confrontant un gros plan du visage mystérieux de l’homme et le sommet lointain de la montagne en plan général, celui-ci sort de sa poche un appareil photo à soufflet, pour faire un cliché avant de reprendre son ascension. Le Vest pocket, motif central du film, fait ici sa première apparition au sein d’un gros plan qui en annonce l’importance au sein du récit.
1. Du point de vue historique, le Vest Pocket fait référence à l’ascension de l’Everest par George Mallory et Andrew Irvine en 1924 qui s’est soldés par la mort des deux hommes, sans qu’on ait retrouvé leur appareil photo pour authentifier la réussite de leur expédition, bien avant la conquête officielle du sommet himalayen en 1953 par Edmund Hillary. La recherche de l’appareil par Fukamashi au cours du film reprend donc une authentique énigme historique, attestée par les photographies des deux explorateurs placardées sur son mur d’enquête. L’appareil photo permet d’inscrire la fiction dans la glorieuse histoire de l’alpinisme.
2. Du point de vue narratif, le Vest pocket fonctionne comme un MacGuffin, objet-prétexte dont la recherche enclenche et justifie la dynamique du récit. S’il motive le lancement de l’intrigue, comme enjeu d’un mystère historique à grande valeur médiatique pour Fukamashi, il est évacué dans la suite du récit jusqu’à sa restitution finale par Habu, qui s’avère déceptive : le contenu des photographies développées par Fukamashi n’est pas révélé au spectateur.
3. Du point de vue symbolique, la circulation de ce motif souligne le discours du film, qui met en avant dans un premier temps la gloire attachée à la performance sportive, avant de se concentrer sur l’engagement ascétique associé à l’alpinisme comme enjeu vital, à travers le parcours d’Habu. A cet égard, la suspension de la révélation attendue exprime métaphoriquement la vanité du témoignage historique, symbolisé par le Vest pocket, au profit de la leçon de vie transmise par Habu dans sa lettre testamentaire : l’alpinisme est une quête vitale sans autre enjeu que le sentiment de plénitude qu’elle procure.
La disparition
La fin du prologue évoque l’ascension des deux alpinistes affrontant la neige, la brume et le vent en direction du sommet inviolé avant de disparaître dans un effet de fondu sur l’Everest en majesté, qui clôt la séquence dans un effet de symétrie avec les premiers plans. Ce motif de la disparition, évoqué dans une ellipse poétique, constitue un leitmotiv du film, construit sur une représentation ambivalente de la montagne comme lieu d’une expérience vitale exceptionnelle, mais aussi comme espace mortifère. Comme Mallor et Irvine, Habu, Buntarô (l’épigone) et Hase (le rival mimétique) sont ainsi dévorés par leur passion pour la montagne. Ce prologue évoquant sous forme stylisée la disparition de deux alpinistes anonymes fonctionne donc comme une matrice du récit entier, représentant la conquête du « sommet des dieux » comme une aventure transgressive vouée à un destin tragique, au sein d’une mise en scène qui convoque par sa grandeur des figures mythologiques, d’Icare à Prométhée. À cet égard, la représentation de la mort d’Habu est clairement associée à celle de la mort de Mallory : disparition en fondu à l’issue de l’ascension d’un Everest battu par les vents et découverte de leurs deux cadavres enfoncés dans la neige, comme prix de leur passion inextinguible.