Présentation

Jeff Nichols revendique l’héritage du cinéma d’anticipation des années 80, en particulier des films de Steven Spielberg alliant la science-fiction et le questionnement des liens familiaux, comme en témoignent les séquences proposées :
Rencontre du 3ème type évoque l’obsession d’un homme suite à la vision d’une soucoupe volante.
Starman raconte le parcours d’un extra-terrestre poursuivi par l’État pour retrouver son monde d’origine.
Take Shelter narre les troubles familiaux et communautaires occasionnés par les visions d’apocalypse de son personnage principal.




Rencontres du 3ème type (1977) de Steven Spielberg

Spielberg est souvent présenté comme le cinéaste de la famille, tant parce qu’il s’adresse à un grand public, que par la récurrence dans ses films des représentations de la famille, qu’elle soit éclatée, problématique ou unie. Jeff Nichols, au fil de ses œuvres et particulièrement dans Midnight Special, assume l’héritage spielbergien autant qu’il s’en détache. On peut en effet considérer le film de Nichols comme un Rencontres du troisième type inversé. Alors que le cinéma de Spielberg privilégie une rhétorique de l’émotion très sensible des relations familiales, Nichols met en scène les affects avec sobriété, les laissant émerger dans les regards et les gestes retenus des acteurs.

L’inversion la plus spectaculaire reste celle de la représentation du père. Bien que partageant le même prénom, le Roy de Spielberg (Richard Dreyfuss) est caractérisé par son immaturité, en tant que mari et en tant que père. La séquence de repas met en scène la position problématique de Roy, face à son fils aîné , dans un plan jouant sur la profondeur du champ pour signifier la déchéance du père, soumis à des obsessions irrationnelles et puériles, sous le regard de son fils. Le Roy de Nichols est strictement l’inverse, ne cessant de multiplier les gestes et les actions de protection envers son fils, tout en acceptant qu’il vive finalement sans lui. Il assume son rôle de père en accompagnant son fils vers son destin.

Ces différences n’empêchent pas de considérer Spielberg comme une influence majeure de Nichols tant les deux réalisateurs sont également obsédés par la (re)constitution de la cellule familiale et par l’impact de l’Autre (extra-terrestre, dinosaure, requin, pirate, robot, géant, etc) sur ce fragile édifice.




Starman (1984) de John Carpenter

Thématiquement et esthétiquement, Midnight Special doit aussi beaucoup à ce film mal-aimé de John Carpenter. On y retrouve un extra-terrestre pacifique (interprété par Jeff Bridges) qui doit rejoindre un endroit précis pour retrouver les siens. Surtout, le film met en scène deux univers, celui du couple Jennie / Scott et celui des agences gouvernementales qui les poursuivent. Comme dans Midnight Special, les fuyards sont plutôt filmés dans les grands espaces américains, dans la nature, privilégiant une gamme chromatique chaude. Les poursuivants sont plus statiques, filmés dans des espaces confinés et technologiques aux couleurs froides. La narration du film se fait selon un montage alterné (que l’on retrouve à la fin de Midnight Special) mettant en scène ces deux mondes, qui ne partageront le même cadre qu’en fin de film, dans la contemplation de la planète extraterrestre.

On retrouve également le personnage clef, à la fois du côté des militaires et en marge, qui permettra la fuite de Scott dans Starman et de Alton dans Midnight Special. Cette figure de médiateur (joué par Adam Driver dans le film de Nichols et par Charles Martin Smith dans celui de Carpenter) porte sa marginalité dans sa tenue et dans son empathie pour l’individu poursuivi (Alton ou Scott), qu’il finit par croire et par aider, au risque de perdre son travail.



Take Shelter (2011) de Jeff Nichols

La cohérence esthétique et thématique qui unit les films de Jeff Nichols est telle que l’on pourrait considérer qu’ils sont tous une relecture de la même histoire, dans un genre différent. Cette parenté est particulièrement flagrante avec Take Shelter, le second long métrage du réalisateur. On y retrouve, dès la première scène, ce qui fait la force de Midnight Special. Tout d’abord l’intrusion d’un danger dans la cellule familiale (ici, la menace d’une catastrophe naturelle et de la folie). Ici encore, le personnage principal est un père (toujours joué par Michael Shannon, acteur fétiche de Nichols) animé par le désir de protéger sa famille, par tous les moyens. La nature et les grands espaces américains constituent le décor privilégié de cette fuite à domicile (le père va aménager un abri pour sa famille dans son jardin). Take Shelter est ponctué de plans de ciels à la fois menaçants et sublimes, de branches d’arbres ondulants doucement dans le vent ou terrassées par la tempête. La nature, comme dans Midnight Special, est un point d’ancrage rassurant, mais aussi une source d’angoisse. Enfin, Take Shelter, comme Midnight Special, privilégient les lectures multiples de l’œuvre, laissant au spectateur une grande liberté interprétative.