L’Esthétique de Philippe Faucon
Les films de Philippe Faucon développent toute une réflexion sur les questions du déracinement et de l’intégration, du métissage et de l’identité, que ce soit à travers L’Amour (1990), Samia (2000), Dans la vie (2008) ou Fatima (2015). Ces thématiques sont souvent abordées via le prisme de l’intimité des personnages, qui nous révèle en quoi ces questions pèsent sur leur quotidien. D’autres films, comme La Trahison (2005) et La Désintégration (2011) se montrent plus ouvertement politiques, et abordent la Guerre d’Algérie pour l’un, l’endoctrinement djihadiste pour l’autre.
Un regard à hauteur de personnages
C’est l’une des caractéristiques fondatrices du cinéma de Philippe Faucon : sa caméra se tient toujours à la même hauteur que les personnages, sur un pied d’égalité et d’écoute, et lorsqu’elle quitte cette position, c’est souvent pour signifier la pression sociale qui pèse sur eux. Filmer à hauteur de personnages, c’est aussi engager un dialogue avec le spectateur, qui n’est jamais mis en position de juge. Il s’agit plutôt, à travers la diversité des situations exposées dans ces films, d’être amené à éprouver ce que l’autre, celui que l’on ne connaît pas, celui qui diffère de nous par sa culture et ses origines, peut ressentir dans son quotidien. En mettant personnages et spectateurs sur un pied d’égalité, Philippe Faucon nous invite à partir à la découverte de l’autre dans toute sa complexité.
Des comédiens non professionnels
Ce regard à hauteur de personnages s’incarne également dans le choix de recourir en grande partie à des acteurs non professionnels. Dans le cas de Fatima, parmi les rôles principaux, seule Zita Hanrot (qui joue le rôle de Nesrine) est une comédienne issue du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Pour incarner Fatima, il fallait non pas une comédienne professionnelle, qui se serait positionnée en surplomb du personnage (en tentant par exemple d’analyser son vécu, ses émotions, ou de mimer son difficile apprentissage du français), mais privilégier la piste de recherche d’une femme qui partagerait une expérience de vie similaire. C’est ainsi que Philippe Faucon a trouvé Soria Zeroual, qui de par son vécu (née en Algérie, interrompant ses études à l’âge de 15 ans, installée en France en 2002 sans parler le français) se trouvait être assez proche du personnage.
Des fictions documentées
Les films de Philippe Faucon, bien que relevant d’un véritable travail d’écriture fictionnelle, sont de fait intimement documentés par le réel. Fatima est par exemple inspiré d’un livre, « Prière à la lune » de Fatima Elayoubi, qui est une sorte de journal intime tenu par l’auteure en arabe, se déclinant sous forme de pensées exprimant ses différents ressentis au quotidien. Le scénario du film est le résultat d’une collaboration entre le cinéaste et l’auteure, mais aussi de rencontres entre Philippe Faucon et des femmes au vécu proche du personnage, dont l’écriture s’est nourrie pour donner naissance à Fatima. À cela s’ajoute donc l’interprétation de Soria Zeroual, qui amène par son expérience de vie un regain de réel dans chacune des situations traversées par son personnage.
Des films qui se dévoilent par petites touches
Les films de Philippe Faucon se dévoilent progressivement, sans grands éclats dramatiques (la scène la plus intense de Fatima est celle de la chute dans les escaliers) : le scénario est une suite de situations du quotidien que traversent les personnages, et des actes qui peu à peu dessinent leurs traits de caractère et leur évolution. C’est véritablement l’écoulement du temps et la façon dont les personnes changent par petites touches qui caractérisent les récits de Philippe Faucon. Il y a une volonté de ne jamais surdramatiser le quotidien de Fatima et de ses filles : les séquences sont courtes, s’enchaînent avec fluidité, et chacune apporte sa petite pierre à l’édifice. L’essentiel de ces saynètes réside dans ce qu’elles montrent des rapports sociaux et familiaux.
Inscription des personnages dans le cadre
Ces rapports sont notamment explorés à travers la composition des cadres, et la façon dont le cinéaste inscrit ses personnages dans un environnement quotidien. Dans la séquence analysée pour la fiche intitulée « En périphérie de la société », la première partie de la scène se déroule entre Fatima et Souad en champ-contrechamp. Souad est cadrée en plan large et semble se moquer de sa situation d’échec scolaire, alors que Fatima est filmée en gros plan, le visage inquiet. Les deux personnages, opposés dans leur perception de la situation, le sont également par le choix du décor qui les entoure dans le cadre. Souad est clairement inscrite dans le présent, celui de sa vie d’adolescente, marquée par des photos, des affiches de spectacles et des pochettes de disques sur les murs et étagères de sa chambre. Fatima est cadrée avec un mur dénudé derrière elle, où l’on distingue un papier peint assez impersonnel. Elle semble comme perdue dans ce décor, mettant en avant sa difficulté, à ce moment du film, à se situer dans ce pays d’adoption dont elle ne parle pas la langue, et face à la situation de sa fille. En deux plans relevant d’une mise en scène très simple, presque imperceptible, ce sont deux rapports au monde très différents qui sont formulés avec une grande clarté.