Présentation

La première séquence installe le pacte de lecture entre le film et le spectateur. Elle en affirme l’ancrage dans une esthétique documentaire qui semble refuser toute esthétisation de la réalité filmée comme prise sur le vif. Elle pose par ailleurs les jalons de l’expérience de la migration par des éléments narratifs qui trouveront des investissements dramatiques au cours du film : c’est le cas du secret de Sara sur son identité de genre réelle et de l’argent caché par Juan.

Proposition d’activité
Analyser le souci d’authenticité documentaire (décor, bande sonore, cadrage) dans la séquence proposée.




Juan et son environnement

Quatre plans moyens introduisent le personnage principal du film, Juan, et son environnement de départ. Le spectateur le suit alternativement de face (travelling arrière) et de dos (travelling avant), par l’intermédiaire d’une caméra portée à l’épaule qui donne à la séquence une atmosphère prise sur le vif résolument documentaire, d’autant que rien ne nous est dit de ce personnage qui marche à vive allure et le visage fermé. La trajectoire narrative et dramatique du film est lancée : Juan est le premier et le dernier personnage qui apparaît dans le film, seul survivant à atteindre les États-Unis. La profondeur de champ est réduite crèe un effet de perspective suscitant une sensation d’enfermement par la présence de murs en tôle ondulée de part et d’autre du chemin emprunté par le personnage.

L’environnement dénote la misère d’un bidonville d’Amérique centrale : bâches, murs écaillés et tagués, vêtements suspendus, caisses en plastique empilées, objets entassés et à l’abandon. Juan croise un chien errant, des militaires dont la présence traduit l’insécurité ambiante, et des enfants jouant avec des armes factices, annonciatrices du destin de violence qui les attend dans la vie adulte. La bande son confirme l’ancrage documentaire du film en refusant toute forme d’esthétisation, puisque seuls des bruits ambiants désagréables sont audibles : aboiements, cris d’enfants, sirènes policières hurlant au loin.




Le changement d’identité de Sara

Un plan moyen énigmatique, assez long et silencieux, sur un bébé au visage grave dans les bras d’une jeune fille (sa sœur ? sa jeune mère ?) entourée de deux garçons dont on ne voit pas le visage, sans aucune profondeur de champ, sert de transition entre Juan et Sara. Elle apparaît d’abord de dos avec ses cheveux noirs mi-longs et des bretelles de soutien gorge roses apparentes, tirant une porte en bois avec l’inscription « Damas » qu’elle referme derrière elle. D’apparence anodine, l’inscription renferme en réalité un enjeu dramatique majeur du film : l’occultation de l’identité de genre de Sara, dont nous allons assister à la métamorphose pendant les 3 plans suivants où elle est filmée, toujours dans un mouvement tremblant de caméra à l’épaule, en train de se couper les cheveux devant un miroir. Une brève ellipse temporelle débouche sur un plan en plongée qui montre la masse des cheveux coupés de Sara avec un effet de focalisation marqué suscitant l’empathie pour le personnage. Elle est ensuite cadrée en plan rapproché en train de contempler d’un air résolu dans le miroir sa nouvelle apparence, qui doit lui permettre parcourir le long chemin vers le nord en évitant les dangers auxquels les femmes sont particulièrement exposées.

Les 12 plans suivants, qui s’enchaînent de façon beaucoup plus rapide, montrent la fin de la transformation de Sara en jeune homme androgyne : des bandelettes pour cacher sa fragile poitrine adolescente sous son t-shirt ample et une gestuelle de boxeuse prête au combat ; de l’eau pour plaquer ses cheveux désormais coupés à la garçonne ; une casquette pour parachever le tout ; sans oublier la prise d’un comprimé contraceptif qui souligne le risque de viol auquel l’expose sont parcours migratoire. Sans avoir prononcé un mot, elle referme la porte désignant son ancienne identité de genre.



Préparatifs de Juan

Sans transition, nous retrouvons Juan, dont on voit ainsi s’affirmer le statut de protagoniste, cadré en plan rapproché frontal, l’air absorbé. Les 13 plans suivants, plus rapides et rythmés, montrent son passage à l’action consistant à coudre de l’argent pour le cacher dans la ceinture de son pantalon, de façon déterminée et sans un mot. Ils permettent en outre de visualiser l’extrême dénuement de l’étroite pièce dans laquelle il vit emmuré (parois de tôle ondulée, cartons pour isoler et jonchant le sol, matelas sans draps posé sur une planche…). L’argent et le plan montrant les bottes qu’il se fera voler un peu plus tard servent à la fois de référence à la réalité matérielle de la migration, et d’introduction d’éléments narratifs qui réapparaîtront plus tard dans le récit. Juste avant de sortir du champ, Juan marque une très courte pause pour regarder cet environnement qu’il s’apprête à laisser derrière lui sans remords, signe de sa détermination à fuir la misère.