Présentation

La séquence de l’enlèvement de Sara constitue le point de basculement dramatique nodal du récit, qui va se recentrer sur les deux personnages restants, Juan et Chauk. Elle est emblématique de la construction du point de vue dans le film : pris par surprise comme les personnages, le spectateur est médusé par la sauvagerie du groupes criminel dont le surgissement est aussi inattendu que funeste pour les migrants désemparés.

Proposition d’activité
Relever les procédés exprimant la violence physique et psychologique exercée par le gang sur les migrants.



La vie sur le train

La séquence commence par 4 plans relativement longs au cours desquels on voit les candidats à la migration assis sur le toit du train. Les deux personnages filmés en plan rapproché dans le premier plan sont en train de manger des oranges qui ont été lancées aux voyageurs par des récolteurs bienveillants. Le plan suivant filme Chauk en gros plan en train de regarder autour de lui hors champ d’un air préoccupé, une prémonition de la menace qui plane que ni le personnage ni le spectateur ne peuvent pourtant décrypter à ce moment. Suite à un raccord regard inversé, nous voyons au plan suivant Sara en train de l’observer, avant que finalement un plan général nous les montre tous les deux sur le toit du train, Sara essayant d’attirer l’attention de Chauk (rappelons que celui-ci a manifesté son mécontentement après qu’elle a choisi Juan pour partenaire lors de la fête à la plantation). Le rythme initial est donc celui du temps long et monotone de la vie quotidienne sur ce train qui avance lui-même lentement, les migrants sont assis ou allongés, bavardent et rient comme on peut l’entendre sur la bande son. L’insouciance règne, et c’est justement cette atmosphère détendue qui prépare très efficacement l’effet de surprise qui va suivre.


L’arrêt

Un plan d’ensemble en légère plongée digne d’une scène d’attaque de western, dans lequel la silhouette du train se dégage dans un paysage vallonné et verdoyant, sert de transition avec la suite : le train s’arrête, et l’on entend le grincement de ses freins qui se transforme en un son strident et prolongé, introduisant une tonalité inquiétante.



Le débarquement

La caméra remonte sur le toit du train, aux côtés de Juan, et une série de 24 plans va mettre en scène des migrants totalement pris par surprise – et le spectateur avec eux – par l’assaut dont ils sont l’objet de la part d’un groupe criminel non identifié (racketteurs ? narcotrafiquants ?). Dans un premier temps, une succession de 14 plans courts traduit la stupeur et l’incompréhension qui saisissent les personnages et le spectateur qui reste en permanence à leurs côtés : la menace se manifeste tout d’abord sous la forme de voix hors champ qui leur ordonnent de descendre « rápido », avant de se matérialiser visuellement par la présence d’hommes armés de mitraillettes et de revolvers, qui encerclent le train par le haut et par le bas sans laisser aux migrants le moindre échappatoire. L’horizon s’est brutalement refermé, et la caméra bouge en tous sens, filmant tantôt les protagonistes, tantôt le reste des migrants, pour transmettre au spectateur la confusion qui règne. Une fois descendus, ils sont mis en rang, n’ayant d’autre choix que de se soumettre aux injonctions et aux insultes des hommes armés qui les acculent : les 4 derniers plans de cette partie illustrent le contraste entre les migrants alignés, immobiles et muets, et les hommes qui les dépouillent, dont les mouvements sont suivis par la caméra.


La sélection

Les 5 plans suivants, toujours ponctués des cris agressifs des assaillants, montrent la façon dont les femmes sont envoyées dans une camionnette : la structure en champ-contrechamp (les migrants alignés – le fourgon) souligne l’inéluctabilité et le caractère systématique de l’enlèvement, tout comme le dernier plan qui montre les femmes enlevées filmées en contre-plongée puis, suite à un panoramique latéral, le visage en gros plan d’un homme armé patibulaire qui les surveille. L’enfermement est consommé, la coupure avec les hommes et le monde qui leur était familier irréversible.



Sara démasquée

Désormais, le silence et l’immobilité règnent, le climax dramatique de la séquence se prépare : les migrants ont compris de quoi il retourne et sont totalement à la merci d’assaillants auxquels nulle résistance ne semble pouvoir être opposée. Les deux sbires qui ont procédé à l’enlèvement des femmes continuent de remonter la file, et, sous le regard de Juan à l’arrière-plan, l’un d’eux s’arrête sur Sara. Il soulève sa casquette à l’aide d’une machette avant de la faire sortir du rang, et la caméra tourne autour d’elle pour signifier qu’elle est entre les griffes d’un prédateur qui perce son secret en lui ôtant d’abord sa casquette, puis en soulevant son t-shirt. L’action se déroule sous les regards dérobés de Juan et de Chauk qui sont les seuls à oser lever les yeux, prêts à devenir les protagonistes de la résistance à la barbarie. Les formes féminines de Sara sont exposées et manipulées par son agresseur qui tient toujours sa machette brandie, signe évident des pulsions sexuelles violentes qui l’animent et que confirment ses répliques obscènes et menaçantes, prononcées en serrant les dents comme pour réprimer les ardeurs de son désir mortifère.


Tentative de résistance

Face à la menace d’agression sexuelle, Sara donne le coup d’envoi de la tentative de résistance : elle se débat pour se dégager, suivie de Juan qui prend au passage un coup de machette, et de Chauk qui est frappé : les armes se font à nouveau omniprésentes à l’écran. La violence diffuse mais contenue des plans précédents éclate, les plans se succèdent à un rythme rapide et la caméra suit le mouvement, traduisant la confusion et la brutalité de la confrontation. Sur la bande son, l’on entend les coups et les cris de Sara qui appelle Juan tandis qu’elle est conduite de force dans la voiture des criminels où elle disparaît, signe du traitement spécifique dont elle va faire l’objet de leur part.


Sara hors champ

Les 4 derniers plans de la séquence sont conçus pour être particulièrement poignants : la défaite des protagonistes est cuisante, la caméra filme longuement en plongée Juan et Chauk étalés au sol tandis que les criminels abandonnent la scène et prennent la fuite. À nouveau, l’immobilité et le silence des migrants contrastent avec l’agitation de leurs assaillants. Sur la bande son, le cri implorant de Sara (« Juan ! ») se répète de façon obsédante, et s’amenuise tandis que les véhicules (dont celui qui l’emporte) s’éloignent. Son espace sera désormais celui du hors champ, qui laisse aux personnages et au spectateur le macabre soin d’imaginer ce qui aura pu lui arriver.