Présentation

La frontière États-Unis / Mexique constitue un réservoir inépuisable de fictions. Lieu de passage entre deux territoires et deux cultures, espace de migration et de trafic, elle a donné lieu à de multiples représentations fictionnelles , du western à la série Breaking Bad. Les extroits proposés de trois films récents témoignent de cette variété de regards sur la frontière : Desierto, Babel et Sin Nombre.

Proposition d’activité
– Quel aspect de la frontière est mis en scène dans chacun de ces extraits ?
– Évaluer le réalismes des chacun des extraits.




De la surprise au suspense | Desierto de Joans Cuarón (2015)

Le réalisateur de Desierto est le fils du Mexicain Alfonso Cuarón, connu pour ses films à succès qui lui ont ouvert les portes de Hollywood. L’affiche du film met en avant les deux acteurs incarnant les personnages principaux (dont la star latino Gael García Bernal), et la référence à Gravity, sur lequel les Cuarón père et fils ont travaillé ensemble. L’esthétique du désert, marquée par l’usage de filtres esthétisants, est un élément supplémentaire dans la caractérisation clairement fictionnelle de ce thriller frontalier qui gomme les éléments contextuels au profit d’une écriture s’inscrivant dans les codes du survival.

Analyse de la séquence
La rencontre entre les migrants et un sniper isolé se construit dans un rapport ambigu entre le suspense et la surprise : au départ, le récit fait alterner des plans filmant les migrants clandestins contraints de terminer leur voyage à pied suite à une avarie, et ceux montrant un américain blanc partant à la chasse avec son chien. Le montage alterné suggère qu’il vise les migrants d’ailleurs inquiets et sur leurs gardes, jusqu’à ce qu’il tue un lapin. La tension se trouve temporairement désamorcée, mais quelques minutes plus tard, une partie des migrants restés en arrière voit s’approcher un véhicule, tandis que les autres traversent un immense espace à découvert filmé en plan général avec l’homme en amorce : ses intentions ne font plus de doute, et il va les abattre un à un comme des lapins. Le reste du film est une chasse à l’homme entre le sniper entraîné et outillé (il possède des armes et des cartes de la zone) et les migrants restant (seuls deux survivront après avoir tué le sniper, happy end oblige). Le suspense garantit une identification émotionnelle du spectateur aux personnages et au récit, tandis que l’histoire est totalement décontextualisée. Le film se réduit à ces péripéties qui usent et abusent de la tension dramatique, abondamment soulignée par une musique non diégétique explicite.




Le passage de la frontière du Nord au Sud | Babel d’Alejandro González Iñárritu (2006)

Babel est le 3e long métrage d’Alejandro González Iñárritu, un cinéaste mexicain qui allie succès public et critique depuis son premier film Amours Chiennes (2000) et tourne à Hollywood avec des stars états-uniennes de premier plan. La séquence du passage de la frontière montre une nounou mexicaine qui, n’ayant pu faire garder les enfants états-uniens dont elle a la charge, décide de les emmener au Mexique pour le mariage de son fils. Elle s’y rend avec son neveu, incarné par Gael García Bernal.

Analyse de la séquence
1. Le passage de la frontière
Les 3 premiers plans montrent le mur qui sépare les deux pays ; les 7 suivants introduisent par le biais de panoramiques l’atmosphère qui règne sur la frontière, où coexistent les forces policières et les petits revendeurs mexicains. Ensuite commence une succession de travellings grâce à la présence de la caméra embarquée dans la voiture aux côtés des passagers, et surtout des enfants. Le passage de la frontière s’effectue en 4 plans raccordés par le mouvement de la voiture qui passe sans encombre.

2. Une perception négative
La séquence témoigne du poids des préjugés qui filtrent la perception que ces enfants ont du Mexique : par le dialogue, mais aussi par les échanges avec la nounou qui se veut rassurante (sourires, clins d’œil) tandis que défilent des plans motivés par des raccords regard qui montrent Tijuana comme un espace grouillant, saturé d’activités en tout genre, à l’hygiène douteuse. Un endroit menaçant parce que peu lisible, que les enfants contemplent d’un air inquiet depuis la voiture.




La menace intérieure | Sin Nombre de Cary Joji Fukunaga (2009)

Ce film distingué par la critique et au solide succès commercial met en récit le voyage vers le Nord depuis le Honduras de Sayra, qui accompagne son père et son oncle. Son chemin croise celui de Willy, alias Casper, un membre du redoutable gang Mara Salvatrucha. Bien des points communs permettent de relier ce film à Rêves d’or : l’ancrage documentaire, la caméra embarquée sur le train avec les migrants clandestins ; la vulnérabilité des personnages féminins, proies sexuelles faciles ; la longueur et les dangers du périple, etc. Toutefois, une part beaucoup plus grande est faite aux craintes des migrants, d’autant plus fondées que les mareros sont très présents dans le premier tiers du film qui met en scène la barbarie de leurs rituels. La violence est bien davantage associée à ce gang qu’aux autorités mexicaines et états-uniennes, largement absentes.

Analyse de séquence
La séquence de l’agression des migrants est introduite grâce à un montage alterné qui fait monter le suspense, entre les migrants entassés sur le toit du train qui démarre dans la nuit, et les mareros qui embarquent également, le tout dans une atmosphère très sombre et au son d’une musique non diégétique inquiétante. Suite à une ellipse, les migrants dont se détache le personnage de Sayra se sont abrités de la pluie sous des bâches, ce qui les empêche de voir le danger venir. L’assaut est donné silencieusement, le montage s’accélère et Casper utilise la machette dont il est armé contre le chef du gang lorsque celui-ci agresse Sayra, avant de le jeter par dessus bord au son d’une musique dramatique. L’essentiel de la narration se focalise ensuite sur la chasse à l’homme entre les membres de la Mara et Casper/Willy d’une part, et sur la naissance de l’histoire d’amour entre Willy et Sayra : autant d’éléments donnant au film une tonalité commerciale alliant violence, suspense et romance, où l’arrivée aux États-Unis a tout d’un happy end pour Sayra la survivante, au détriment de l’ancrage contextuel qui reste largement superficiel.