Satire politique
La mise en scène de la diffusion massive de l’agent jaune destiné à éradiquer le monstre convoque plusieurs références historiques à valeur de dénonciation politique :
– l’aérosol de l’agent jaune est filmé en plongée verticale afin d’en souligner la puissance de propagation et la forme du nuage s’abattant sur la place évoquent à la fois l’agent orange déversé pendant la guerre du Vietnam et la bombe nucléaire d’Hiroshima par les Etats-Unis.
– la fumée recouvrant les manifestants pour la libération de la famille Park fait référence aux manifestations étudiantes qui ont émaillé la dictature du général Chun Tuhwan entre 1980 et 1988, dont l’oncle Nam-il est un vétéran.
À cet égard, l’irruption de Gang-du frappant le policier est filmée en caméra portée dont les soubresauts dans l’atmosphère enfumée confère à la scène un fort effet de réalité, convoquant l’esthétique des reportages de guerre pour évoquer les violentes contestations du régime autoritaire coréen.
Un accouchement tragique
Les efforts désespérés de Gang Du pour extraire Hyun-Seo de la gueule du monstre sont filmés de manière dramatique. La musique angoissante et la succession de plans cut montrant alternativement Gang-Du et la créature contribuent au caractère tragique de la tentative de sauvetage qui prend la forme d’un accouchement paradoxal. Gang-Du accouche en effet le cadavre de sa fille, dans une métaphore saisissante de son incapacité paternelle à assurer sa survie. La caméra s’attarde ainsi, en caméra portée, sur la main de la jeune fille, qui tenait le téléphone associé à l’appel du père, gisant maintenant inanimée dans un rappel cruel de la méprise fatale de Gang-du lors de la première apparition du monstre.
Du tragique au pathétique
La représentation du désespoir de Gang-du et de sa famille recourt à de nombreux effets de pathétique :
– la lente marche de Gang-du avec le cadavre dans les bras en longs plans frontaux dont l’arrière-plan encombré de fumée accentue le caractère funèbre.
– l’usage d’une musique orchestrale illustrative
– le contre-champ au ralenti sur le visage atterré de la tante, qui emphatise sa détresse
– le lent travelling vertical allant de Gang-du debout au frère et à la tante enlaçant le cadavre, inscrit dans un même plan rapproché le désespoir de toute la famille.
Le registre pathétique est accentué par plusieurs motifs mortifères : les convulsions du monstre qui expulse un poisson agonisant et les épanchements de sang des manifestants exposés à l’agent jaune. Outre leur valeur émotionnelle, ces motifs prolongent la dénonciation écologique et politique présente dans le début de la séquence.
Un combat cathartique
La déploration de la mort de Hyun-Seo laisse place à la colère et au combat face au monstre. La scène exprime la capacité de résistance des oubliés, des impuissants (non seulement la famille mais aussi le SDF qui prend l’initiative de déverser de l’essence sur le monstre).
Les gestes des membres de la famille se répondent : le jet de cocktails molotov du frère précède la flèche enflammée de la sœur au sein d’un enchainement qui s’achève avec la lance de fortune de Gang-du embrochant la créature. Les membres de la famille, galvanisés par la vengeance, parviennent dans cette scène à surmonter leur névrose d’échec :
– le passé de manifestant de Nam-il s’actualise de manière efficace, en dépit d’un ratage burlesque relevant du piksari ;
– Nam-Joo touche sa cible avec rapidité et précision ;
– Gang-du renverse son inaptitude constitutive en un comportement héroïque à hauteur d’un exploit mythologique.
Dans ce combat, le panneau dont s’empare Gang-du pour attaquer la bête répond à celui de la première séquence : il rejoue ainsi la piteuse première attaque en s’armant d’un panneau attestant du trajet accompli : au sigle (ironique) d’interdiction de son d’alerte a fait place un panneau (sérieux) « Biohazard. Extremely Dangerous». Le cercle qui s’imprime dans sa paume à l’issue du face à face symbolise dès lors le trajet et la force de la famille réunie dans le deuil et le combat.
Une chorégraphie martiale
L’usage du ralenti, de cadrages obliques et de nappes de musique orchestrale en contrepoint d’une action spectaculaire, irréalisent la scène en l’inscrivant dans un registre chorégraphique. Ces choix de mise en scène appellent moins l’implication émotionnelle du spectateur dans l’action que la contemplation du combat héroïque des personnages, dont les mouvements magnifiés suggèrent leur valeur d’accomplissement individuel et collectif.
(Re)devenir père
À la fin de la séquence, Gang-du se penche sur le petit garçon et le contre-champ se fait sur Hyun-seo ; le garçon ouvre les yeux et c’est Hyun-seo que le père tient dans ses bras, dans un court flash-back du début de la séquence qui substitue le petit orphelin à la fille défunte. En portant dans ses bras le petit See-joo comme il tenait sa fille au début de la séquence, Gang -du (re)prend sa place de père à l’issue d’une séquence en forme de rédemption, rompant avec l’incapacité atavique des pères de la famille Park (Hie-Bon et Gang-du) à s’occuper de leurs enfants. La dernière séquence du film, montrant un Gang-du attentif, protecteur et compétent préparant le repas du petit See-joo constitue ainsi une résolution apaisée à un récit initiatique porté par la question de la responsabilité parentale.