Pollution américaine
La naissance de la créature est liée d’emblée au thème de la pollution. Cette origine s’inspire d’un faits divers survenu en Corée au début des années 2000 : un entrepreneur de pompes funèbres, Albert McFarland, employé de la morgue d’une base américaine de Séoul avait ordonné à son équipe d’évacuer 120 litres de liquide d’embaumement par les égouts se déversant dans le fleuve Han. Le film part de ce fait réel pour imaginer qu’un animal du fleuve aurait muté suite à cette pollution des eaux. Ce n’est pas la seule réalité dont s’inspire le film : l’invention américaine du virus propagé par le monstre, relayée par les médias, est directement inspirée de la propagande américaine sur les armes de destruction massive pour justifier la guerre d’Irak. Cette séquence introduit ainsi une critique de la présence américaine en Corée du Sud : le monstre est la conséquence d’un ordre donné par le responsable américain de la morgue et son existence va justifier un déploiement des Américains sur place dans la gestion de la crise.
Ce médecin légiste condescendant qui présente son obsession hygiéniste comme de la « largeur d’esprit » est le premier des trois personnages d’Américains présentés dans le film comme autant d’archétypes du genre du film de monstre hollywoodien : le personnage du soldat qui fonce tête baissée dans l’action lors de l’attaque de la créature et le « savant fou » (au strabisme évocateur) qui décide d’opérer Gang-du. Le film propose donc la critique de la présence américaine réelle en Corée du Sud en jouant des codes du genre auquel son titre « Gwoemul » (« Monstre ») le rattache mais dont il ne cesse de s’affranchir, notamment en nous donnant à voir la créature très tôt dans le film, en plein après-midi ensoleillé, et non à l’issue de furtives et dramatiques apparitions distillées au cours du récit en jouant sur le hors champ, comme dans Alien, par exemple.
Contamination
Quand le laborantin rappelle au médecin américain qui lui demande de verser le produit dans l’évier qu’il s’agit de formaldéhyde, le médecin américain précise : « dirty formaldéhyde », ce que l’on peut à la fois voir comme la critique d’un hygiénisme absurde, affirmant la contamination du contenu des bouteilles par la poussière accumulée à leur surface.
Cette idée de contamination qui traverse tout le film (la fausse piste du virus) est introduite de différentes manières : on la retrouve également dans le fondu enchaîné qui fait passer des cadavres de bouteilles de formaldéhyde aux eaux du fleuve ou encore dans le plan d’ensemble qui donne à voir la vastitude du fleuve où se trouvent les pêcheurs dans lequel le brouillard à l’arrière-plan parait tout à la fois phénomène naturel, nuage de pollution et rappel des vapeurs de formaldéhyde.
Par ailleurs, superposant la verticalité des bouteilles à l’horizontalité de l’eau, le montage entre le premier et le deuxième segment introduit aussi le fait que l’arrivée du monstre va venir casser, bouleverser, rompre avec le cours normal des choses. On retrouvera dans le montage, entre le deuxième et le troisième segment de cette introduction ce type de rupture : on passe de l’horizontalité de l’eau du fleuve à la verticalité de la course des hommes sur le pont.
Cette contamination passe aussi par la manière dont, petit à petit, l’eau envahi la séquence : du liquide versé dans l’évier au cours paisible du fleuve Han avant le déluge final montrant l’eau tombant du ciel comme le formaldéhyde tombait de la bouteille, gouttant et s’écrasant sur le sol et les personnages. Par un effet de fondu sur un plan en plongée verticale sur le fleuve, le titre semble émaner du monde liquide : désignant implicitement le fleuve Han comme « l’Hôte » du titre français , qui accueille le monstre mais aussi les déchets, la colère et l’amertume du peuple coréen assujetti à la présence américaine mais probablement aussi à la pression d’une société capitaliste telle que semble l’incarner ce « Monsieur le directeur » qui décide de s’y noyer.
Une créature paradoxale
Dans le deuxième segment de l’extrait, les pêcheurs regardant la (petite) bête dans une tasse nous en offre une première description : elle est « dégueulasse » (le terme revient à deux reprises) ; elle est une mutation (explicité un peu plus tard par le fait qu’elle ait deux queues) ; on pourrait la croire morte mais « non, ça a bougé ». Ce ne sont que quelques éléments qui disent l’hétérogénéité de ce monstre dont à la fois on comprendra et verra bien l’horreur mais en même temps qui semblera résister à une description exhaustive : il est lourd mais agile ; vient du fleuve mais se déplace aussi sur terre (et ne sera jamais « poursuivi » sous les eaux) ; est agressif mais aussi protecteur.
On retrouvera cet aspect paradoxal de la créature dans le segment suivant où le suicidaire regarde dans les eaux du fleuve et voit une forme sombre que les autres ne voient pas mais qui, nous le savons, est bien présente. Ce paradoxe de morte mais vivante, absente mais présente ne sera pas une spécificité du monstre mais sera également formulé par Gang-du à propos de sa fille à l’hôpital et s’incarnera dans la scène où la famille fait une pause pour manger dans le snack et où Hyun-seo, pourtant enfermée dans les égouts, se redressera au milieu d’eux. En fait, la créature et Hyun-seo sont liées dès ce début : lorsque la bête s’enfuit et qu’il laisse échapper sa tasse avec elle avant de la rattraper, un des pêcheurs affirme en la récupérant : « J’ai failli la perdre c’est ma fille qui me l’a offerte ». Dans la traduction française, le « la » de « la perdre » prête un court moment à confusion entre la bête (elle aussi au féminin dans la traduction) et la tasse associée à la fille et nous signale déjà que les deux, dans le film, seront liées : trouver la bête voudra dire retrouver la fille.