Entre la ligne et la vision
– par Jean-Marie SamockiMiss Peregrine et les enfants particuliers (Tim Burton, 2016).
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Le récit du nouveau film de Tim Burton est très simple : pour honorer la mémoire de son grand-père mort dans des conditions étranges, un adolescent part à la recherche d’enfants mystérieux. Ceux-ci doivent se cacher pour ne pas être tués à cause de leur particularité, qui est en réalité une monstruosité physique. En quelques lignes, c’est davantage qu’un film qui est résumé : on retrouve en fait la synthèse de ce que Tim Burton a toujours fait depuis Pee Wee’s Big adventure et Beetlejuice, en passant par ses films les plus connus : Edward aux mains d’argent, Batman 2 le retour ou Big Fish. Cela pourrait donner la sensation d’un déjà-vu ; mais, cela peut aussi sonner comme une promesse et un retour.
La raison en est évidente : c’est que, pour ses admirateurs, Burton, depuis 2001 et La Planète des singes, se serait perdu. Ses films n’ont pas tous été des échecs, loin s’en faut puisque Charlie et la chocolaterie ainsi qu’Alice aux pays des merveilles ont même été de grands succès commerciaux. Mais une fracture existerait. Cette idée se fonde pour beaucoup sur ce qui a pu paraître original, risqué, voire novateur dans la première partie de sa carrière. Non seulement Burton a porté haut les couleurs d’une mélancolie artistique orgueilleuse et assumée, mais il a su mêler des imaginaires d’enfant avec une résistance au conformisme au sein même de l’industrie hollywoodienne. Il a réussi avec ses premiers films à inventer des corps d’acteurs émouvants, décalés et perdus et à les imposer dans des récits spectaculaires qu’il a évidés patiemment. Batman 2 en est, pour moi, le meilleur exemple : un blockbuster dérythmé, mal à l’aise dans la destruction et la vitesse, bouleversant dans ses détails, installant ses personnages du côté du ressentiment, dans un univers qui veut être toujours plus sombre. Les années 2000 ont alors été les années de la trahison, où Burton a paru démissionner devant l’industrie hollywoodienne et ses facilités. Chaque film transformait les signes de son imaginaire en vignette ou en logo, peinant à masquer la difficulté du renouvellement et la baisse d’inspiration.
Burton oscille souvent entre l’Auteur qui impose une vision et le Dessinateur qui trouve une ligne, une manière de souligner une figure comme on impose une marque.
C’est que Burton oscille souvent entre l’Auteur qui impose une vision et le Dessinateur qui trouve une ligne, une manière de souligner une figure comme on impose une marque. Miss Peregrine ne permet pas, à mon sens, de louer le retour d’un grand cinéaste, mais elle n’est pas non plus une œuvre indigeste, gouvernée par des producteurs sans âme. A vrai dire, j’irai même jusqu’à affirmer que le film est très représentatif de son cinéaste, avec ses forces et ses faiblesses. Je ne souscris pas toujours à la canonisation de ce cinéaste qui a su inventer des scènes insolites et poétiques au sein d’un champ qui ne le permet pas toujours. Mais peut-être que ses qualités aujourd’hui, comme avant sans doute, se situent un peu ailleurs.
Les défauts de Burton sont souvent liés à son rythme et à ses personnages. Il n’est pas un narrateur. Il cherche des ambiances qui brisent le récit, ou plutôt il développe des éléments clandestins, déséquilibrant les forces du scénario. C’est le cas ici par moments, surtout quand il semble résumer sa carrière à travers des clins d’œil appuyés. Le centre de son récit est curieusement mou : Miss Peregrine est-elle Mary Poppins perdu dans un monde d’horreur et de dévoration ou est-elle plutôt une épigone de Lilian Gish (la vieille dame de La Nuit du chasseur de Charles Laughton, une des grandes références classiques de ce film) égaré dans un enfer pour peluches ? L’équilibre entre la violence et les sentiments est rarement atteint : le résultat donne l’impression d’un compromis peu satisfaisant. Mais cela n’est pas seulement une caractéristique du film. C’est le problème de Burton depuis quinze ans. Il paraît partagé entre la victoire du ressentiment et de la rage d’une part (ce sont les meilleures parts de Charlie et la chocolaterie et de Sweeney Todd), et de l’autre la célébration de l’émancipation et de valeurs édifiantes. Miss Peregrine paraît sans cesse tiraillé entre ces aspirations différentes.
Cela n’en fait absolument pas un mauvais film. Miss Peregrine est un excellent divertissement hollywoodien, peut-être l’un des meilleurs blockbusters de cette année, mais sa qualité ne se trouve plus du côté de la fantaisie mélancolique et éplorée. Les meilleurs moments du film, trop présents ou trop peu développés c’est selon, relèvent de l’efficacité du film de genre. Burton sait créer la menace de l’invisible, mais aussi effrayer par des motifs cauchemardesques. La meilleure part du film se résume à un théâtre des horreurs anachronique, où le cinéaste sait donner vie à des silhouettes mythologiques, filmer un combat ou une confrontation maléfique. On regrette d’ailleurs que Burton s’attache à rechercher une atmosphère poétique légère et finalement désincarnée. Il paraît aujourd’hui beaucoup plus fort et tenace pour créer des personnages grotesques, des figures cabotines et effrayantes. Miss Peregrine devient un film d’horreur pour enfants là où il retrouve ces éléments simples qui créent les peurs enfantines. Peut-être a-t-il peur de la surenchère : c’est dommage, car il a les moyens de faire des films d’épouvante peu prétentieux où le spectateur retrouverait des délices nocturnes que le cinéma américain ne sait plus lui donner.