Un vaisseau hanté
La découverte progressive du Nostromo, inaugurée par un travelling arrière, instaure d’emblée la présentation du vaisseau sur le mode de l’exploration. Se déplaçant de manière autonome dans ces coursives labyrinthiques au cours des plans suivants, la caméra incarne une présence fantomatique. Ces travellings annoncent ainsi la circulation furtive de l’indétectable Alien au cours du récit.
Un climat angoissant s’installe progressivement, suscité par la musique minimaliste qui évoque le bruit sourd des machines, mais aussi par les éléments intrigants qui ponctuent la découverte des lieux. Silencieux et désert, le vaisseau manifeste des signes indirects de présence : le son évoque les battements de cœur sous échographie, une poule-balancier oscille sur son axe, des combinaisons spatiales sont rangées au fond d’un plan, un appareil bouge de manière immotivée, les pages d’un livre et des blouses blanches sont agités par un courant d’air mystérieux, l’ordinateur s’allume brusquement … Ces éléments suggèrent une vie propre de la navette aux couloirs ponctués de diodes rouges comme autant de signaux d’alerte. Ces manifestations étranges suscitant une inquiétude diffuse l’apparentent à un vaisseau hanté.
La fin de la séquence est marquée par l’emballement de l’ordinateur de bord en une succession de plans fixes montrant en champ contrechamp l’écran et son reflet sur le casque « emergency helmet » sur lequel se reflètent des chiffres incompréhensibles. Ces plans annoncent clairement un péril imminent et anticipent la fin du film marquée par l’importance dramatique du casque et du processus d’alerte du vaisseau avant sa destruction.
La renaissance des astronautes
L’étrangeté de cet univers change de mode dans la séquence suivante montrant le réveil des astronautes comme une naissance métaphorique. Un lent travelling introduit la chambre d’hibernation, solennisée par le surcadrage du sas d’entrée. La pièce blanche, aseptisée, est ornée de figures octogonales, composées de motifs en forme de pétales imbriqués autour d’un foyer rougeoyant. La disposition des cellules dans lesquels dorment les astronautes fait écho aux motifs muraux. Par le caractère hiératique de sa scénographie et son unité formelle, cette pièce évoque l’intérieur d’un temple précolombien, conférant une dimension spirituelle à cette séquence. Les capsules dans lesquelles dorment les astronautes vêtus de pagnes blancs s’ouvrent comme des pétales de fleurs, et un des personnages se redresse lentement. La musique monte en puissance à l’ouverture des capsules, avec des accents lyriques de célébration : la mise en scène magnifie la renaissance des passagers du Nostromo.
Une série de fondus enchaînés nous présente le personnage de Kane, sous différents cadrages, qui sort lentement de l’hyper sommeil et de son cocon, dans une sorte d’état larvaire. Ces fondus enchainés manifestent par des ellipses visibles le caractère très progressif de cet éveil et la douceur de ce processus d’éclosion du personnage.
Il est très significatif, dans ce film qui a pour thème principal la phobie de la reproduction biologique, représentée de manière horrifique par l’Alien, que le réveil des personnages soit au contraire montré, via la métaphore végétale, comme un processus asexué, voire spirituel. Le film organise ainsi l’opposition entre deux univers : celui du Nostromo dans lequel la dimension biologique de la reproduction semble surmontée par le progrès technique (« Mother » est un ordinateur de bord) et le monde de l’Alien qui en fait un principe vital, à la fois violent et répugnant. La comparaison entre cette scène de (re)naissance et celle du facehugger sortant de son hibernation est à cet égard révélatrice : espace baigné d’une lumière bleue surnaturelle, musique d’introduction semblable, mais une éclosion mise en scène sur le mode du jump scare*, comme une agression brutale et terrifiante.
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* Le jump scare (« saut de peur ») est un procédé de film d’horreur consistant à faire sursauter le spectateur par le surgissement brutal d’un élément.
Portrait de groupe
Après son réveil, l’ensemble de l’équipage se restaure autour d’une table. Si la scène a quelque chose de familier (petit déjeuner du matin, un personnage se sèche les cheveux, un autre fume, d’autres râlent,), elle reste néanmoins troublante, notamment parce qu’elle ne fait émerger aucune figure de référence. La caméra montre les personnages en panoramique circulaire autour de la table, sans les hiérarchiser, mais le dialogue commence à les caractériser. Les revendications salariales des deux mécaniciens notamment témoignent du contexte social de l’équipage dans ce navire commercial, dont la mission ne relève pas de la glorieuse conquête de l’espace. La trivialité des dialogues et du comportement de ces personnages opère donc un décalage sensible avec l’horizon d’attente du spectateur, façonné par Star Wars et 2001, l’odyssée de l’espace.
La scène apparait troublante par les allusions programmatiques à la mort: « Je suis mort » affirme Kane lors de ce premier repas. « On ne t’a jamais dit que tu as l’air d’un cadavre ? » lui demande alors Parker. Troublante aussi parce qu’elle se termine par le départ d’un des personnages auquel « Mother » veut parler. Dallas apparaît alors comme ayant une position privilégiée, mais surtout, ces adultes sont présentés comme des enfants soumis aux instructions d’une mère mystérieuse.